Demain la fête !

Demain la fête. L’argent gratuit. Enfin ! On croyait que le coronavirus avait réalisé le rêve de Greta Grunberg : décroissance, arrêt des usines, paralysie des échanges, c’était voir à court terme. Le Coronavirus 19 a accompli ce que les Marxistes les plus idéalistes avaient en vain dessiné dans leurs écrits confus : Pour se sauver, le capitalisme, pris dans ses contradictions, se précipite dans l’appropriation par la Collectivité de tous les moyens de production.

Le vrai propriétaire des banques, des sociétés, ce sont les Banques centrales. Ces émanations de la puissance publique ont inventé l’argent gratuit, le crédit illimité. La quasi-totalité des salaires est payé par l’Etat. Les chiffres d’affaire réglés, compensés, alimentés –ou non– par l’Etat. Les patrons peuvent faire les intéressants, ils savent qui est le Big boss. Tous se taisent et attendent la manne des crédits. La dépense publique atteindra en France plus de 65% du PIB. C’était 32% sous De Gaulle, 50% sous Mitterrand. Seul le Royaume des Iles Tuvalu, un paradis qui s’enfonce lentement dans le Pacifique, fait mieux. Serait-ce le socialisme réel ?

Il y a évidemment quelques légers biais dans l’application de la doctrine. Déjà, les libertés publiques, à commencer par celle d’aller et de venir, sont « protégées » par une surveillance collective et personnelle. Voisins, gendarmes et hélicoptères surveillent les joggeurs. Ensuite, le centre du monde n’est pas le Soviet suprême, ni même le Bureau politique du PCC à Pékin, mais la Réserve fédérale américaine : elle est devenue le préteur en dernier ressort des banques mondiales. Et les Banques centrales prêtent aux banques commerciales, aux Etats, lancent des crédits quasiment illimités pour que les économies ne s’effondrent pas.

Hier on vous disait qu’il fallait économiser, équilibrer, restreindre les dépenses, oubliez tout cela. Les gouvernements peuvent vous proposer d’aller sur la lune, c’est à crédit.

Seconde entorse au « demain on rasera gratis » : ce ne sera pas pour tous les pays. Pas pour les pays trop pauvres. La Réserve fédérale américaine peut garantir les pays à peu près solides, comme les pays européens, et quelques autres. Mais certains seront oubliés. Il y a déjà 80 pays qui, comme l’Argentine hier, ne pourront pas honorer leurs dettes.

Le Club de Paris – club des pays prêteurs – vient d’annuler une partie de la dette des pays africains. Avec l’approbation pressée du FMI. Personne n’a jamais vu le FMI aussi allant : Le défaut de paiement guette, une cascade de défaut de pays. Selon l’OIT, Organisation Internationale du Travail, cela concerne, environ, un milliard et deux cent cinquante millions de travailleurs. Rien que çà : 1.250 millions de personnes au chômage. Surtout dans les Etats fragiles.

L’Europe tiendra parce que la moitié de l’Europe, celle des pays du nord, globalement, a du répondant. Quant aux pays du sud, France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce, elles ont désormais le droit de dépenser sans limite. Le crédit à crédit est inventé. Les taux d’intérêt négatifs sont installés. La masse monétaire créée par les banques centrales gonfle facticement les actifs, ce qui permet d’emprunter. Et de recommencer. De même que l’inflation s’était autoalimentée, la désinflation s’autoalimente.

Certains esprits archaïques contestent le succès surprenant de cette Nouvelle Théorie Monétaire, avancée depuis quelques temps par la gauche de la gauche américaine, celle qui a porté Bernie Sanders. Ils n’ont rien compris : la question n’est pas de savoir si la théorie est juste, elle est nécessaire.

Le patron de la Bundesbank a beau rappelé « les règles », la BCE a mis sur la table, pour commencer, 1000 milliards. A-t-on déjà vu pauvres ou riches refuser l’argent qu’on leur demandait de dépenser ? Les gouvernements vont devoir secourir les plus démunis, soit par des primes et des allocations sociales, soit par des politiques d’investissements et de grands travaux. Ceux qui ne pourront pas le faire affronteront une crise à laquelle ils ne résisteront pas.

Dans les pays européens, il serait suicidaire (pour la France) que les uns investissent dans l’économie du futur et les autres dans les allocations de subsistance. Car le divorce viendrait vite.

Dans les pays pauvres, à la monnaie incertaine, sans Etat providence, la situation sociale sera explosive. Ceux qui seront au pouvoir n’auront d’autre moyen que de s’y maintenir par la force.

Restent quelques questions majeures. La première est celle du rôle de l’Etat. Même s’il est probable que le premier effet d’une crise est un changement de dirigeants, le pouvoir de l’Etat, quel qu’il soit, sera renforcé. Or une capacité de dépense sans limite génère une logique de clientélisme et de lobbies plus souvent qu’une logique d’investissements. Et l’autoritarisme avec. Et l’arbitraire. A grand pouvoir, grands contrôles. Les Etats démocratiques doivent renforcer leurs pouvoirs de contrôle.

La deuxième est économique. A la fin, comment se résout un système monétaire qui ne repose plus sur rien ? A force de liquidités, l’inflation peut-elle renaître, les taux d’intérêt remonter, la banqueroute s’imposer, sinon demain, après demain ? Et puis qui décidera, in fine ? Ceux qui dépensent ou ceux qui financent ?

La troisième question est géopolitique : le centre du monde s’est vraiment recentré sur Washington. C’est mieux que Moscou ou Pékin. Mais est ce vraiment rassurant ?

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