Déclarations de paix

Déclarations de paix

Dans la rivalité exposée avec la Chine, les États-Unis disposent de tous les atouts. La capacité financière, l’innovation technologique, une culture dominante, une démographie positive, des alliés nombreux, un système politique consensuel. Systématiquement, la nouvelle administration sape ces avantages. Tandis que Trump menace ses alliés, laisse les Chinois investir les organisations internationales, il déclare la paix aux Russes. Pactiser avec l’ennemi dispense d’aimer ses amis.

Il en est des déclarations de guerre comme des déclarations d’amour. Dire « Je t’aime » : l’amour est là. « Je déclare la guerre » : c’est la guerre. Soit, il est possible d’aimer sans le dire, de faire la guerre sans déclaration. Les Russes n’ont toujours pas reconnu qu’il y avait une guerre en Ukraine. Y a-t-il seulement des déclarations de paix ? Dites:« Je fais la paix », vous mettez bas les armes. Le résultat porte un nom : capitulation. En 40, Pétain demanda de cesser le combat. Les soldats français obéirent, pas les Allemands. Il y eut des masses de prisonniers, forcément. L’armistice, pire que n’importe quelle capitulation, entraîna mécaniquement une collaboration.

Pactiser avec l’ennemi dispense d’aimer ses amis

Ainsi Trump déclare-t-il la paix. Son envoyé spécial a expliqué que l’Ukraine ne recouvrerait pas ses territoires occupés, n’entrerait pas dans l’Otan, n’aurait pas d’accord de défense avec les Etats-Unis. « Youpi » a crié Poutine en lui-même. Que peut-il espérer d’autre ? Être reçu en Arabie comme un maître du monde ? Ce sera fait. Virer Zelenski ? Ce sera fait. D’autant que Zelenski a refusé le contrat unilatéral proposé sur les minéraux rares.

France, Allemagne, Espagne, Italie, Pologne, Royaume Uni, Union européenne ont publié une déclaration pour assurer l’Ukraine de leur soutien,« jusqu’à ce qu’une paix juste, globale et durable soit atteinte » ajoutant : « la sécurité du continent européen est notre responsabilité commune. Nous travaillons donc ensemble pour renforcer nos capacités de défense commune. » Une déclaration, encore. L’envoyé spécial américain a fait savoir que les Européens ne participeraient pas aux négociations, mais qu’ils participeraient plus tard, en payant.

Se déclare-t-on « puissance » ? L’Europe génère un PIB de 17.000 milliards d’euros. La Russie, moins de 2000. L’Europe représente 21% du PIB mondial, les États-Unis: 24%. L’Europe n’a aucune raison de trembler devant la Russie, de s’incliner devant les États-Unis. Et l’Europe s’effacerait des affaires de l’Europe ? Youpi.

L’Europe n’a aucune raison de trembler devant la Russie, de s’incliner devant les États-Unis.  

 « Vous ne pouvez pas supposer que la présence américaine durera éternellement», a déclaré le nouveau secrétaire d’Etat, Pete Hegseth. Jusqu’à présent, chaque pays choisissait sa dépendance et la payait. Pas assez.

Il n’est pas certain que Trump abandonne l’Ukraine. Il a lâché l’Afghanistan, l’Irak, la Syrie. Ces pays n’intéressent plus les Américains depuis qu’ils ont du pétrole et du gaz à en revendre. Abandonner l’Ukraine, c’est abandonner les alliances européennes, fondamentales pour les États-Unis. Quel pays verrait dans les États-Unis un soutien fiable ?

Que se passera-t-il si la Russie engrangeait le deal de Trump ? Quoiqu’en disent les renseignements danois ou britanniques, la Russie n’envahira pas l’Europe. Il n’y aura pas de guerre « conventionnelle ».  Elle procédera par grignotage et infusion. Grignotage de territoires des Pays baltes, enserrée entre saint Pétersbourg et Kaliningrad. Infusion en Slovaquie, Hongrie, Bulgarie, Roumanie, Moldavie. Et même l’Allemagne, l’Italie, la France : Poutine a tant d’amis !  Il ne cherche pas à renverser les régimes européens, mais à avoir des complices dans ces régimes, à reconstituer son aire d’influence.

N’est-il pas logique qu’un pays pauvre et surarmé soit payé pour ne pas utiliser ses armes? Que demandent les Etats-Unis ? Qu’on leur achète des armes et du gaz. N’est-il pas logique que celui qui vous protège soit payé en retour ? Mieux vaut payer les deux.

La France doit bouger, entraîner. Ou choisir le destin d’une Suisse pauvre et manipulée.  

Personne ne pense l’Europe comme une alliance militaire. 80% des armements européens sont américains. La France en sait quelque chose. Parce que personne ne pense que la France pourrait apporter une garantie supérieure à celle des Etats-Unis.

Longtemps, le pré carré africain qui assura la place de la France dans le concert géopolitique mondial fut un obstacle à une diplomatie conjointe européenne. La France n’était pas considérée comme fiable parce qu’elle prétendait à une politique autonome, notamment en Afrique.

Chassée (par les Russes) de l’Afrique, la France peut repenser ses engagements. La France est la première puissance de la Méditerranée. À l’est aussi, la France peut prendre l’initiative. Elle ne peut être menacée par la Russie, sinon par des déstabilisations internes, déjà en cours. « Avec le recul, nous nous reprocherons de ne pas avoir aidé l’Ukraine assez tôt et suffisamment » dit Friedrich Merz, potentiel futur chancelier allemand. Un cessez-le-feu provisoire fera de l’Ukraine un foyer permanent de risque pour la Pologne et l’Allemagne.

Des troupes ? Bonne question. Pourquoi s’impliquer demain et pas aujourd’hui ? 

Aujourd’hui, les Européens, selon la déclaration conjointe, seraient prêts à bouger. Alors la France doit bouger, entraîner. Si la première puissance militaire européenne ne le fait pas, qui le fera ? Ou choisir le destin d’une Suisse pauvre et manipulée.

Les États-Unis ont demandé à chaque pays européen ce qu’il apporterait comme garanties de sécurité pour l’Ukraine, notamment en termes de troupe. Un accord de cessez-le-feu, qui n’est pas la paix, nécessiterait une force d’intervention mobile, garantie de sécurité, de 25.000 hommes.

Des troupes ? Bonne question. Pourquoi s’impliquer demain et pas aujourd’hui ? La France vient d’envoyer des Mirages, elle pourrait, dès maintenant, envoyer des détachements sur la frontière biélorusse, des batteries de protection pour protéger Kiev, Odessa, Kharkov, Kherson.

Si nous devons être seuls en Ukraine, soyons le dès maintenant, à nos conditions de cessez-le-feu.

Défendre l’Ukraine par des actes.  Avant la négociation, puisque les États-Unis ne veulent pas s’investir, curieusement, se constituera une force européenne, avec un commandement unifié, une organisation politico-militaire. Trump conduit l’Europe à son autonomie stratégique. Si nous devons être seuls en Ukraine, soyons le dès maintenant, à nos conditions de cessez-le-feu.  

Devancer cette obligation modifiera la discussion : Les États-Unis devront compter avec nous, en Ukraine et ailleurs. L’accord doit être global. Sinon ne pas lever les sanctions. Mener des contre-attaques aux cyberattaques russes, puisque la cyberguerre est un fait depuis trois ans et plus. Les Russes ne sont pas en position de force. Les Ukrainiens peuvent tenir, l’Europe aussi, la Russie coule.  Sans le miracle Trump, ils ont perdu.

Nous sommes dans une situation de « ni guerre, ni paix. Tant que l’Europe ne déclarera pas la paix, faire savoir qu’il n’y aura pas de paix. Une vraie paix, justement, est à ce prix. On peut laisser la Corée du Nord dans un coin. On ne peut laisser une Russie pauvre, armée et belliqueuse. On ne peut laisser les Russes désespérer : Navalny a été assassiné il y a un an.

Tant que l’Europe ne déclarera pas la paix, faire savoir qu’il n’y aura pas de paix. Une vraie paix, justement, est à ce prix.  

Cessons de maudire le lâchage de Trump. C’est à l’Europe de défendre l’Europe. Les erreurs diplomatiques sont plus meurtrières que les batailles perdues. Toute déclaration de paix qui ne désarme pas l’agresseur est un leurre. Changer la mauvaise donne maintenant, avant toute discussion dans notre dos, sur notre dos. Et montrer au monde qu’il existe une autre voie entre la Chine et les Etats-Unis.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app bancaire France Pay

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