De la désinflation à l’inflation ?

De la désinflation à l’inflation ?

Pour endiguer la crise sanitaire et la crise économique qui en résulte, les États, épaulés par les banques centrales, multiplient les plans de soutien. Quand l’incertitude sanitaire s’atténuera, quels seront les effets réels des mesures prises dans l’urgence sur les prix ?

Depuis le milieu du mois de mars, les prix sont orientés à la baisse en raison de la diminution de la demande. Les prix de l’énergie et des matières premières ont fort logiquement diminué. Certes, certains biens comme les produits frais ont pu connaître des hausses mais cette progression reste marginale. Les contraintes sanitaires – adaptation des postes de travail, distanciation, gel, masques – génèrent des surcoûts qui peuvent contribuer à des hausses de prix.

Avec la reprise, des augmentations de prix peuvent se produire en raison de goulets d’étranglements dans les chaînes d’approvisionnement. Ce phénomène peut s’amplifier si les tendances protectionnistes prennent de l’ampleur. Les augmentations salariales en faveur de certaines catégories d’actifs jouent également en faveur d’une reprise de l’inflation tout comme les plans de soutien à l’activité.

Le chômage pèsera lourdement

À l’inverse, le fort taux de chômage pèsera sur le niveau des salaires comme ce fut le cas entre 2009 et 2019. Si la désindustrialisation se poursuit, en France, la tendance baissière des rémunérations s’amplifiera. La France connaît depuis vingt ans un processus rapide de diminution des emplois industriels (-25 %) contribuant à une stagnation des revenus. Cette situation pourrait s’accentuer si le secteur financier qui offre aujourd’hui les meilleures rémunérations était contraint de revoir sa politique salariale.

La transition énergétique que les gouvernements entendent accélérer est également inflationniste car elle aboutit à un renchérissement peut-être temporaire mais réel du coût de l’énergie. Le recours aux énergies renouvelables pour la production d’électricité, énergies pouvant fluctuer en fonction d’aléas climatiques, suppose la réalisation de capacités de production excédentaires en raison de l’impossibilité de stockage en grande quantité. Ces redondances sont, par nature, inflationnistes.

La crise risque de réduire la concurrence sur les marchés. Les entreprises les plus fragiles disparaîtront ou seront rachetées par des concurrents. Dans un marché d’oligopoles, les prix ont tendance à augmenter plus vite. Par ailleurs, le protectionnisme latent réduit également le nombre de concurrents et favorise donc la hausse des prix. Lors des deux dernières décennies, le développement de l’e-commerce et des plateformes de services en ligne a compensé l’effet inflationniste de la concentration accélérée des entreprises dans les grands secteurs d’activité (automobile, sidérurgie, médicaments, finances, etc.).

Liquidités injectées

Depuis le début de la crise sanitaire, les banques centrales ont multiplié les injections de liquidité afin d’éviter tout blocage financier et assurer la solvabilité des États. Pour la zone euro, la base monétaire devrait passer de 3 200 à 4 500 milliards d’euros de 2019 à la fin de l’année 2020. Cette dernière, pour mémoire, était de 500 milliards d’euros en 2002 et de 1000 milliards d’euros en 2009. A compter de 2021, cette abondance de liquidités pourrait avoir les mêmes conséquences qu’entre 2015 et 2019, à savoir une forte augmentation du prix de certains actifs et en particulier de l’immobilier.

Depuis 2002, en France, le prix des maisons a été multiplié par 2,2 quand la progression des salaires n’a été que de 0,4. Il convient de souligner que la hausse est intervenue surtout entre 2002 et 2009 même si, depuis 2018, les prix avaient tendance à accélérer. La progression des salaires nominaux par tête s’est arrêtée en 2009 et n’a pas réellement repris depuis. Il en résulte une perte de pouvoir d’achat pour l’immobilier, en partie compensée par la baisse des taux d’intérêt. Les banques commencent à resserrer l’accès aux crédits par crainte de défaillance de l’emprunteur. Une légère augmentation des taux est en cours du fait de la majoration de la prime de risque. Ces deux facteurs devraient atténuer la tendance haussière des prix de l’immobilier. Elle pourrait être également freinée par la diminution de la demande internationale du moins en ce qui concerne les biens premiums (bureaux au cœur de l’agglomération parisienne, logements de standing à Paris et lieux touristiques recherchés).

Le retour d’une inflation maitrisée est souhaité par les États afin de réduire le poids de leur endettement. Cependant il pose plusieurs questions. Cette inflation sera-t-elle maîtrisable ? Échappera-t-elle aux contrôles des banques centrales ? Par ailleurs, est-ce que cette inflation s’accompagnera d’une croissance forte ou pas ? Si la croissance fait défaut, l’inflation sera synonyme de pertes de pouvoir d’achat pour tous ceux dont les rémunérations ne seront pas indexées. Elle pourrait alors contribuer à une augmentation des tensions sociales.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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