Les pays du Golfe n’étaient pas, jusqu’à peu, des destinations de rêve pour les cadres à fort potentiel américains ou européens. La situation est en train d’évoluer. Les fonds souverains de ces pays ainsi que les établissements financiers attirent de plus en plus les jeunes talents occidentaux.
L’année dernière, un des responsables d’Amundi, le plus grand gestionnaire de fonds d’Europe, a accepté d’intégrer l’Abu Dhabi Investment Authority (Adia) qui gère plus de 1 000 milliards de dollars d’actifs. La Qatar Investment Authority (QIA) qui développe des infrastructures dans le pays recrute des cadres de haut niveau en Europe tout comme le Public Investment Fund (PIF) d’Arabie saoudite, ces deux fonds gérant plus de 1 000 milliards de dollars.
Les pays du Golfe ne sont pas les seuls à bénéficier de la rente générée par les hydrocarbures. En 2022, la Norvège, grâce à ses exportations de gaz vers l’Europe a perçu 161 milliards de dollars, une recette en hausse de 150 % par rapport à 2021. Même la Russie a réussi à augmenter ses recettes d’exportations d’hydrocarbures de 19 %. Elles ont ainsi dépassé les 210 milliards de dollars. Mais en raison des faibles coûts d’exploitation, les pays du Golfe sont les grands gagnants de la hausse des prix des hydrocarbures.
Un accord tacite qui a vécu
En augmentant les prix du pétrole et du gaz, la guerre en Ukraine a accru les recettes des pays pétroliers. Lors des chocs précédents, ces pays avaient tendance à les recycler sur les marchés de capitaux occidentaux. Ils achetaient des actifs, hôtels de luxe, clubs de sport, entreprises, obligations, etc., en passant par des établissements financiers situés à l’étranger. À la base de ce recyclage, il y avait un accord tacite, les États occidentaux achetaient les hydrocarbures et garantissaient une sécurité ; en échange de quoi les pays pétroliers comblaient les déficits du budget de l’État et de la balance des comptes courants grâce aux pétrodollars. Ce schéma a vécu.
Redevenus indépendants, les États-Unis ont moins besoin du pétrole des pays du Golfe. Ils sont, en outre, de plus en plus focalisés sur l’Asie dans le cadre de leur rivalité avec la Chine. Les pays du Golfe sont également conscients que la rente pétrolière est censée prendre fin d’ici quelques décennies et qu’il convient d’en tirer le meilleur parti en maintenant un prix élevé et en gérant au mieux les recettes. Le 2 avril dernier, l’Arabie saoudite et ses alliés ont provoqué la colère des États occidentaux en accentuant les réductions de production de brut à près de 4 millions de barils par jour, soit l’équivalent de 4 % de la production mondiale afin de faire pression sur le prix du baril. En 2022-2023, l’excédent du compte courant des États pétroliers du Golfe pourrait atteindre 666 milliards de dollars.
Préparer l’après-hydrocarbures, influencer les politiques occidentales
L’allocation de la rente pétrolière reste relativement opaque en raison de la multitude de bénéficiaires (compagnies pétrolières locales, fonds souverains, États, banques, etc.). Selon l’hebdomadaire The Economist, les États pétroliers utilisent ces recettes pour réaliser des infrastructures sur leur territoire avec comme objectif la préparation de l’après-hydrocarbures et pour influencer les politiques occidentales (politique d’influence). Ces États sont directement ou indirectement investis dans de nombreux clubs de football européens.
Malgré la baisse des prix du pétrole depuis le début de l’année 2023, les pays du Golfe devraient continuer à engranger d’importants excédents. Afin de les maintenir à un haut niveau, l’OPEP a décidé de réduire à nouveau sa production. Le Koweït, le Qatar, les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite devraient obtenir un excédent de leur balance commerciale de plus de 300 milliards de dollars en 2023, soit un cumul de 650 milliards de dollars sur les deux ans.
Depuis un an, les pays du Golfe utilisent leurs excédents pour réduire leur endettement qui s’était accru en 2014 et 2020. En 2014, avec l’arrivée du pétrole de schiste sur le marché, les cours du baril s’étaient effondrés, passant rapidement de 120 à moins de 30 dollars. L’Arabie Saoudite avait décidé de mettre en suspens le système de régulation de l’offre. Ce dernier a été restauré avec l’appui de la Russie en 2016. La crise sanitaire a également provoqué une chute des cours. Le baril à terme s’échangeait, au mois d’avril 2020, en valeur négative. Face à cette baisse des prix, les pays du Golfe ont liquidé des avoirs à l’étranger et ont été contraints d’emprunter. Depuis 2021, Abu Dhabi a remboursé 3 milliards de dollars depuis, soit environ 7 % de sa dette totale selon l’agence de notation Moody’s. La dette du Qatar a diminué de 4 milliards de dollars, soit environ 4 % de son endettement. Celui du Koweït a diminué de moitié en deux ans.
Soutenir leurs alliés : Egypte, Pakistan, Turquie
Les pays du Golfe soutiennent financièrement plusieurs de leurs alliés comme l’Egypte qui a reçu, en 2022, une aide de 13 milliards de dollars en provenance du Qatar, de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis afin d’acheter des céréales. L’Arabie saoudite a également autorisé le Pakistan à différer le paiement de factures pétrolières portant sur plusieurs milliards de dollars d’achats. Ces aides ne sont pas des dons. L’Arabie saoudite a ainsi demandé à l’Égypte et au Pakistan de mettre en œuvre des réformes économiques permettant le remboursements des sommes avancées. Les pays du Golfe prennent fréquemment des participations dans des actifs appartenant aux États aidés.
Parmi les États les plus aidés par les pays du Golfe figure, depuis quelques années, la Turquie. Dans le passé, cette dernière se tournait vers les États-Unis et le FMI en cas de difficultés économiques. Recep Tayyip Erdogan a décidé de réduire sa dépendance à l’Occident et de se tourner vers les riches pays arabes. Après le tremblement de terre, le 6 mars, l’Arabie saoudite a annoncé qu’elle renflouait les réserves de change de la Turquie à hauteur de 5 milliards de dollars à la Turquie. Le Qatar et les Émirats arabes unis ont également mis en place 19 milliards de dollars de swaps de devises avec la banque centrale turque. Ces pays ont pris l’engagement de souscrire aux émissions obligataires turques afin de faciliter le financement de son déficit public.
Les fonds souverains investissent en actions aux Etats-Unis et en Asie
Les fonds souverains des pays du Golfe achètent moins d’obligations – en particulier américaines – que dans le passé mais plus d’actions. En 2022, le montant des achats d’actions par le Qatar, l’Arabie Saoudite et le Koweït a atteint près de 200 milliards de dollars. Les fonds souverains investissent en grande partie dans des actions via des fonds indiciels, qui sont peu coûteux et offrent une forte diversification. Ils ont également investi dans des fonds de capital-investissement, immobiliers ou d’infrastructures. Ces investissements représentent de 23 à 37 % du total des actifs des trois plus grands fonds souverains du Golfe. Ces derniers ont également procédé à des investissements directs. En 2022, ces derniers ont atteint près de 20 milliards de dollars. Les fonds souverains du Golfe ont une gestion de plus en plus dynamique et professionnalisée. En recourant aux techniques modernes de gestion, ils effectuent des arbitrages en fonction des évolutions des marchés. Ainsi, depuis la fin de l’année 2022, ces fonds s’allègent en actions européennes au profit de celles cotées aux États-Unis. Ils sont de plus en plus actifs sur les marchés asiatiques.
Energies renouvelables
Compte tenu des tensions sino-américaines, ces fonds estiment qu’ils ont une carte à jouer. Les établissements financiers du Golfe n’hésitent plus à sortir de leurs frontières. Ils multiplient les succursales ou les filiales dans le Proche et le Moyen-Orient mais aussi en Asie. Conscients de la fin de la rente pétrolière, les pays du Golfe investissent de plus en plus dans les énergies renouvelables. Le Qatar, riche en gaz, a inauguré sa première centrale solaire le 18 octobre dernier. Le fonds qatari QIA a acquis 10 % de RWE, un producteur d’électricité allemand afin de l’aider à financer un projet de ferme solaire aux États-Unis. En octobre dernier, Mubadala, un fonds souverain émirati, a investi 2,5 milliards de dollars dans un projet éolien allemand. L’année dernière, Lucid, un constructeur américain de voitures électriques, détenu à 61 % par le fonds public d’Arabie saoudite (PIF) a annoncé qu’il construirait sa première usine à l’étranger à Riyad. PIF finance également la création d’une ville nouvelle Neom au milieu du désert, ville autonome sur le plan énergétique et n’émettant pas de gaz à effet de serre.
Un rôle opaque et diplomatique
Les fonds souverains s’intéressent également de plus en plus aux secteurs stratégiques : la défense, les transports ou l’alimentation. La montée en puissance des structures financières des pays du Golfe s’effectue par de nombreux canaux qui peuvent donner l’impression d’un manque de transparence. Les frontières entre les fonds souverains, les « family offices » des dirigeants, le patrimoine personnel de ces derniers, ne sont pas toujours claires.
Des services de renseignement occidentaux estiment qu’une partie des revenus pétroliers de la Russie serait gérée par des structures dépendant des pays du Golfe. Si les fonds souverains de ces derniers poursuivent des objectifs avant tout économiques et financiers, ils peuvent également être des outils diplomatiques de premier rang que les Occidentaux ne peuvent pas ignorer.
Laisser un commentaire