La première ministre finlandaise, Sanna Marin, a été dénoncée pour avoir été filmée en train de danser au cours d’une soirée. Elle a trente-six ans, elle en aurait 96, serait-ce moins scandaleux ? Le scandale est-il le film -toute figure du pouvoir est publique- ou la danse ? Elle est la première ministre d’un pays qui collectionne les premières places dans tous les classements de développement humain : liberté, environnement, éducation, santé… Même dans ce paradis du nord, danser pourrait être incompatible avec sa fonction. Staline dansait avec les membres du Politburo (que des hommes), susurrant à l’oreille du valseur que le lendemain il pourrait être mort. Aurait-elle proféré de telles menaces ? Elle a reçu une bise sur la joue.
Une femme au pouvoir qui danse, c’est léger, dangereux
Elle s’est soumise à un test anti-drogue. La soupçonnerait-on d’avoir blanchi l’argent des Narcos comme Juan Orlando Hernandez, ou Maduro ? Détourné des millions de dollars, comme Cristina Kirchner ? Touché de l’argent d’un pays étranger, comme Clinton, Biden, Sarko ou le roi d’Espagne ? Arrêté un évêque comme Ortega, emprisonné des opposants, comme Sissi, Erdogan, Xi Jinping ? Découpé un journaliste en rondelles, comme MBS, ou l’avoir empoisonné ? Bombardé des civils, comme Poutine, Assad, Bush, Obama, Netanyahou, Erdogan et bien d’autres plus discrets ?
Ce n’est pas la danse qui choque, c’est la féminité : une femme au pouvoir qui agit comme un homme, soit. Une femme au pouvoir qui danse, c’est léger, dangereux. La mise en scène hiératique du pouvoir serait dégradée.
Pendant l’étalage du scandale finlandais, d’autres femmes subissaient d’autres accusations, d’autres condamnations, autrement cruelles et scandaleuses, bien plus discrètes.
Au Salvador, Esme a été condamnée à 30 ans de prison pour une fausse couche. Le juge y a vu un avortement camouflé. Or l’avortement y est strictement interdit, comme dans quinze autres pays dans le monde, pour quelque raison que ce soit. Le Salvador est le pays des Maras et des cryptomonnaies. Aux Etats-Unis, depuis la décision de la Cour suprême, quatorze Etats ont passé des lois interdisant l’avortement. Un juge a interdit la demande d’avortement d’une mineure, la considérant trop « immature » pour décider d’avorter ; mais pas pour élever un enfant. 1000 femmes ont saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour contester l’application de la nouvelle législation polonaise restreignant le recours à l’avortement.
34 ans de prison pour des messages pour les droits des femmes
En vacances en Arabie saoudite, Salma al Shehab, qui vit au Canada avec ses deux enfants, a été condamnée à 34 ans de prison pour avoir posté sur Twitter des messages pour les droits des femmes, considérés comme hostiles au régime. Elle rejoint d’autres femmes, comme Loujain al-Hathloul, emprisonnée et torturée pour avoir réclamé le droit de conduire, avant que le Prince ne l’accorde. Elle s’était filmée au volant d’une voiture. Image de la féminité, toujours. A cacher, à bannir, à voiler.
En Égypte, Amal Fathy, ayant critiqué l’inaction des autorités face au harcèlement sexuel, a été condamnée à un an de prison.
En Inde, au Gujarat, onze hommes condamnés à vie en 2008 pour un viol collectif ont été libérés : remise de peine.
Peut-on espérer une telle clémence pour deux « influenceuses » égyptiennes, Hanin Hossam (un million d’abonnés sur Tiktok) et Mawada el Adham (trois millions d’abonnés), condamnées pour incitation à des contenus « contraires aux bonnes mœurs ». Selon le juge, elles saperaient « les valeurs et la morale égyptiennes ». On les voit danser avec une petite fille de six ans.
Condamnée à la lapidation pour adultère
Au Soudan, Maryam Alsyed Tiyrab, 20 ans, a été condamnée à la lapidation pour adultère. En Iran, 17 femmes ont été exécutées. Trois ont été pendues le même jour. Souvent, elles sont condamnées pour le meurtre du mari. La famille est invitée à participer à l’exécution : ainsi, Maryam Karimi, condamnée pour avoir tué son mari qui refusait de lui accorder le divorce, a vu sa fille participer à son exécution en mars 2021. En Iran toujours, le port du voile étant obligatoire, les jeunes femmes qui l’ont enlevé pour manifester ces dernières semaines ont été arrêtées.
La police a aussi arrêté le mari de Mona Heydari, 17 ans. Il l’avait décapitée en pleine rue et brandissait fièrement sa tête en souriant. Il plaidera qu’il s’agissait d’un « crime d’honneur ». Selon The Lancet, cité par Human Rights Watch, il y aurait eu, entre 2010 et 2014, plus de 8000 crimes d’honneur en Iran. L’agence officielle ISNA estime que les crimes d’honneur, ou plutôt d’horreur et déshonneur, représentent 20% des assassinats en Iran.
Dans les régimes policiers le meurtre prolifère. Dans les régimes sans police aussi : en Haïti, où règnent les gangs, le viol est devenu une arme de guerre pour le contrôle des territoires entre bandes rivales.
Le droit des femmes, un signe de décadence occidentale ?
Au Maroc, Fatema Karim, 39 ans, s’est moquée des versets du Coran sur sa page Facebook. Elle a été condamnée à deux ans de prison. En Afghanistan, les femmes sans marham, sans accompagnateur masculin, sont arrêtées. Etc., etc., etc.
Parfois, il y a de bons signes : L’Ukraine, en pleine guerre, a ratifié la Convention d’Istanbul, traité international contre la violence faite aux femmes. La Convention établit des normes minimales de protection, de prévention et de poursuites judiciaires contre les violences domestiques. La Turquie, qui faisait partie de premiers signataires, s’en est retiré. L’Ukraine, en pleine guerre, signe. La Russie, elle, n’a jamais voulu signer Le droit des femmes, un signe de décadence occidentale ?
Sanna Marin a rompu avec 70 ans de « paternalisme russe » sur la neutralité finlandaise en décidant l’adhésion de son pays à l’OTAN. Elle a osé. Sa danse scandalise forcément les admirateurs du pouvoir fort, rigoureux, antidécadent, « antioccidental » de Poutine. Tout est toujours une bataille de civilisation.
La mère de Sanna Marin avait été élevée dans un orphelinat. Elle s’était réfugiée dans un centre pour femmes battues pour échapper à son mari. Sa fille a accumulé les petits boulots, financé ses études, adhéré à un parti, été élue, est devenue la plus jeune dirigeante d’un pays moderne, paisible, courageux, à bien des égards, exemplaire.
En France, en 2021, 122 femmes tuées par leur conjoint
En quelques générations, en Europe, dans de nombreux autres pays qui suivent le « modèle occidental » le sort des femmes a changé, comme celui de la mère de Sanna Marin. Les femmes continuent de subir violence, mépris, haine sur tous les continents. En France, en 2021, 122 femmes ont été tuées par leur conjoint. 84% d’entre elles avaient porté plainte pour violence conjugale. Plus d’attention -de justice- aurait pu les sauver.
Peu à peu, lentement, le principe d’égalité homme-femme, les droits des femmes, les féminismes, sont apparus. Surtout, presque exclusivement à vrai dire, en Occident, qui le diffuse avec son impérialisme, qui est méprisé pour sa décadence supposée. Le wokisme, pur produit de l’autocritique occidentale, ira-t-il coloniser les décolonisés ? Ses excès ne sauraient occulter ses raisons : même en Finlande, l’image du pouvoir serait dévaluée par celle d’une femme qui danse, ou, simplement, d’une trop grande liberté. A surgi, dans un des pays les plus policé de la terre, la revanche malsaine de remettre une femme à sa place parce qu’elle est au pouvoir.
Les guerres contre les femmes
Louis XIV dansait, imbéciles ! Faut-il assez de bêtise, de cruauté, pour interdire aux hommes et aux femmes, de danser ? Si une fatwah mentale allégeait le monde de quelques ayatollahs, censeurs, corrupteurs, juges, assassins, violeurs, et autres tyranneaux de village, il gagnerait moins en légèreté qu’en grâce. Dansez donc, madame la première ministre, dansez ! Quelle tristesse de vous voir seulement vous excuser à la télévision. Toujours ces procès par les images. Où sont, à la télévision, les excuses des vrais criminels, les reportages pour toutes ces guerres contre les femmes ?
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice des Français de l’étranger
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