Ainsi l’Algérie a rappelé son ambassadeur. Il y a quelques jours, la France avait rappelé les siens d’Australie et des États-Unis. Je me souviens moi-même avoir été ainsi rappelé après un Coup d’état. Dommage : J’étais en train de négocier (avec l’opposition, les putschistes, le gouvernement renversé et l’église), le retour à un ordre démocratique et constitutionnel. Crise diplomatique ou crise de nerf, les « rappels » sont plus des messages à destination des opinions publiques que des chancelleries.
Faux rappels, vraies failles
Les Ambassadeurs sont toujours utiles, évidemment, mais surtout en cas de crise. On l’a vu récemment de façon dramatique en Afghanistan. Les rappels d’ambassadeurs entrent plus dans le registre de la gesticulation que de la vraie crise. Ils révèlent néanmoins des vraies cassures, des failles fondamentales.
Dans l’affaire des sous-marins par exemple, la crise est profonde. Moins entre la France, l’Australie et les États-Unis (un coup de fil aurait donc suffi) que dans la seule France. Quelle est la vraie place de la France, a-t-elle une stratégie crédible dans le Pacifique ? L’alliance « européenne » existe-elle ? Que devient l’OTAN ?
Exiger une réunion d’urgence de l’Otan aurait été plus efficace que le rappel de l’ambassadeur à Washington, vite revenu at home. D’autant que la Turquie vient d’annoncer sa volonté d’accroitre ses achats d’armes à la Russie. Quelques clarifications s’imposeraient.
Le rappel de l’Ambassadeur algérien, qui s’inscrit après la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc, révèle un mal profond : la crise existentielle d’un pays qui a du mal à se situer aussi bien vis-à-vis de la France que du Maroc. Les dirigeants algériens préfèrent les Turcs, qui ne sont pas des colonisateurs puisqu’ils viennent de l’Altaï. Au détriment des Berbères, ils s’imposent comme Arabes, qui viennent donc d’Arabie. Peu importe les mythomanies historiques, en attendant, les avions militaires de Barkhane ne survoleront plus l’Algérie.
Ces crises de nerf traduisent des échecs politiques
Pour la France comme pour l’Algérie, ces crises de nerf traduisent des échecs politiques. Comment peut-on bâtir un partenariat stratégique avec l’Australie et en être à ce point étranger ? Comment multiplier les gestes de repentance vis-à-vis de l’Algérie en arrivant à de telles impasses ? À force de vouloir calmer les brûlures du passé, on en a ravivé les blessures.
C’est à une remise en cause profonde de la politique étrangère telle qu’elle est menée qu’a procédé l’ancien ministre et Commissaire européen, Michel Barnier, considéré comme un modéré : « En politique étrangère, à la prétention impuissante dont Paris offre trop souvent le spectacle, je préfère l’humilité efficace », dénonçant « une sorte de marque de fabrique de la diplomatie macronienne : des ambitions grandioses en forme d’incantations, mais au final, une solitude française, car ce gouvernement ne parvient ni à convaincre nos partenaires, ni à nous faire respecter. »
L’état de nos relations avec nos voisins et amis inquiète
Jean-Yves Le Drian appréciera. A juger l’état de nos relations avec nos voisins et amis, il est vrai qu’il y a de quoi s’interroger : nous sommes devenus la bête noire du Royaume-Uni, pourtant notre principal client et premier allié militaire depuis les accords de Lancaster House. Incapables, depuis le vote du Brexit, de tisser une relation saine et fructueuse avec eux. La Belgique a refusé notre « offre de partenariat » et a préféré, comme la Suisse, des F35 américains inadaptés et hors de prix à nos Rafales. L’Allemagne nous considère avec inquiétude et conteste le leadership aéronautique qui nous reste. Le Maroc nous fait la leçon, l’Algérie nous désigne comme « l’ennemi héréditaire ».
Heureusement la Grèce nous achète, à crédit, avions et bateaux, parce que la Turquie nous a choisis comme « tête de turc ». Nous insulter est devenu viral : ce fut le cas de l’Italie, la Pologne, la Hongrie, du Brésil, du Pakistan, de l’Indonésie, l’Iran, et des Etats-Unis, évidemment.
Certes, ils ont tort. Ce sont des malpolis. Mais le monde est peuplé de malotrus. Et c’est une mode très récente de se moquer de la France, qui est plutôt bienveillante, et, au vu des témoignages et des enquêtes internationales, plutôt bien aimée.
Certes, ils ont tort. Ce sont des malpolis. Mais le monde est peuplé de malotrus.
Le bon accueil réservé à l’installation de la Conseillère du Président à l’Institut Français d’Alger en est un signe. Peut-être l’attitude française est-elle simplement devenue plus agaçante, parce qu’incompréhensible?
Le Liban en est un exemple : après avoir tapé du poing sur la table, effectué plusieurs voyages, promis de l’argent, que reste-il de l’influence française et de l’espoir que l’on a fait naitre ? Que reste-il de nos efforts avec l’Iran ? Que reste-il, au Mali, de cette intervention censée installer la « démocratie », après deux coups d’état sous nos yeux, et cinquante soldats tués ? « Des insultes ! », s’étrangle le Président. Une manie : Un chef de bataillon autopromu dictateur passe par la case « insulter la France ». Les mercenaires russes remplaceront les Français dont le Président a annoncé le retrait.
Cela n’avait-il pas commencé avec le bon Kagame, au Rwanda, qui effaça le français des écoles, et auquel on donna la Francophonie, avant d’autres excuses et d’autres cadeaux ?
Au fond, il manque une véritable politique étrangère à la France. Elle manque partout. La faute n’en est pas aux diplomates, même s’ils pourraient essayer de sortir de leur zone de confort intellectuel, c’est leur rôle. Mais depuis que le Président a dénoncé « l’Etat profond » à la Conférence des Ambassadeurs, ils se le tiennent pour dit. La faute en est au ministre. Michel Barnier, qui l’a été, le sait.
Et encore. Plus qu’au ministre -oserait-on ?-, la faute en est au Président. A force de confondre action et parole, on perd son crédit en Europe, on s’enlise en Afrique, on coule en Asie, on disparait d’Amérique latine, on se fâche en Méditerranée. En dix ans, il est clair que l’influence de la France a régressé.
La diplomatie française s’est habituée à tout
La diplomatie française s’est habituée à tout, y compris à travailler pour le roi de Prusse, à conjuguer droits de l’homme et commerce, alliance atlantique et russophilie, anticolonialisme et interventionisme. Certes, le succès n’a pas toujours été au rendez-vous, mais la capacité du « en même temps » a été éprouvée au Ministère mieux que partout ailleurs. Au moment où il devient la doctrine officielle, le ministère est déboussolé. A lire la presse internationale, il est temps de refixer le nord sur les cartes du monde.
Laurent Dominati
A.Ambassadeur de France
A.Député de France
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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