Crise migratoire : les États membres paient les conséquences d’un système inadapté

Crise migratoire : les États membres paient les conséquences d’un système inadapté

Alors que la crise migratoire se prolonge en Europe, les dirigeants de l’UE se réuniront aujourd’hui, jeudi 9 février, pour un sommet spécial qui devrait se concentrer sur l’augmentation des retours de migrants plutôt que sur la recherche d’une solution globale.

Les responsables de l’UE reconnaissent qu’il existe des goulots d’étranglement à chaque étape du processus migratoire. Ainsi, un partage limité de la charge et des autorités migratoires nationales débordées, qui ne peuvent empêcher les migrants de déposer des demandes d’asile dans plusieurs États, ont abouti à un système en crise quasi permanente.

Faire pression au niveau européen

Le sommet du Conseil européen de cette semaine a principalement été motivé par l’Autriche et les Pays-Bas, qui ont récemment opposé leur veto à l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’espace Schengen, affirmant que les deux candidats n’étaient pas prêts à protéger correctement les frontières européennes.

« Nous avons maintenant remis cette question au centre de la discussion européenne », a déclaré le chancelier autrichien Karl Nehammer après la dernière réunion des dirigeants européens en décembre.

Selon un rapport de la Commission européenne, divulgué au journal Die Welt, l’Autriche occuperait la quatrième place parmi les États membres de l’UE qui accueillent le plus de migrants. Selon le ministère autrichien de l’Intérieur, 40 % des migrants seraient passés par la Bulgarie.

« Nous voulons aider la Bulgarie à protéger la frontière de manière plus efficace encore. La Bulgarie ne peut pas gérer davantage de contrôles à elle seule », a déclaré M. Nehammer lors d’une visite d’État dans le pays en janvier. Selon le chancelier autrichien, la Bulgarie devrait recevoir une aide d’au moins 2 milliards d’euros pour construire, entre autres, un mur à sa frontière avec la Turquie.

Le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, a quant à lui prévenu que « nous devons revenir aux règles de Dublin », faute de quoi Schengen « ne survivra pas ».

La commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson, a déclaré qu’elle souhaitait trouver une solution « pragmatique » sur les clôtures aux frontières, ce que M. Nehammer a décrit la semaine dernière comme « un pas dans la bonne direction ».

La polémique sur l’élargissement de Schengen est révélatrice d’un ensemble de services nationaux d’immigration qui, dans la plupart des cas, sont en grande difficulté.

Lenteur des processus décisionnels, accumulation des retards

Les difficultés rencontrées par les services nationaux d’immigration commencent par la lenteur des processus décisionnels.

En Allemagne, selon un rapport de l’agence fédérale pour la migration et les réfugiés, la procédure d’asile (de la demande à la décision) dure en moyenne 7,6 mois. Toutefois, ce délai atteint une moyenne de 26 mois si le demandeur fait appel de la décision devant les tribunaux.

L’Office fédéral allemand de l’immigration et de l’asile (BFA) est tenu de prendre une décision dans les six mois suivant la date de la demande d’asile. À la fin du mois d’octobre dernier, 110 385 dossiers étaient ouverts.

On observe des tendances similaires ailleurs, même si des améliorations ont été enregistrées en France, où le délai moyen de traitement d’une demande d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en 2022 était de 5,2 mois, soit une baisse significative par rapport à 2020 et 2021, lorsqu’il était supérieur à 8,5 mois.

Cela a entraîné une légère baisse du nombre de demandes en attente en France, à environ 47 000, selon l’OFPRA.

Selon les données du ministère autrichien de l’Intérieur, il y avait 44 935 cas en suspens en décembre 2022 en Autriche.

La République tchèque, où une décision doit être prise dans les six mois après le dépôt de la demande, n’a pour sa part signalé que 768 dossiers en suspens, mais elle a tout de même déclaré manquer de ressources.

Hana Malá, du ministère tchèque de l’Intérieur, a confié à EURACTIV que « l’autorité a atteint la limite de ses capacités. Toute fluctuation du nombre de demandes soumises rendrait impossible la mise en œuvre de la procédure dans les délais ».

En Italie, 72 423 demandes d’asile ont été enregistrées entre le 1er août 2021 et le 31 juillet 2022, soit près de 32 000 de plus que l’année précédente. Quelque 57 558 demandes ont été examinées.

En Croatie, qui a rejoint l’espace Schengen au mois de janvier, le Centre des études pour la paix (CMS), une ONG basée à Zagreb, estime que les demandes d’asile prennent « entre un et deux ans ».

En novembre dernier, le ministre croate de l’Intérieur, Davor Božinović, a déclaré que 36 000 migrants étaient arrivés en Croatie par la route des Balkans en 2022, soit une augmentation de 145 % par rapport à 2021. La majorité d’entre eux sont officiellement appelés à quitter volontairement l’UE dans les sept jours.

L’Espagne peine à gérer les demandes d’asile depuis la crise des réfugiés syriens en 2015, mais la situation s’est encore aggravée il y a quatre ans lorsque le nombre de demandes a commencé à croître de manière exponentielle.

Une fois la demande reçue pour traitement, la législation espagnole prévoit qu’une décision doit être prise dans les six mois. Toutefois, la procédure prend souvent jusqu’à un an, selon les ONG espagnoles.

Environ 94 500 demandes sont toujours en attente, selon l’Office espagnol de l’asile et des réfugiés.

La Grèce, quant à elle, prévoit un délai de 6 mois à 3 ans pour compléter le processus de demande d’asile.

Si les autorités déterminent que le demandeur vient de Turquie, il doit passer un premier entretien pour prouver qu’il n’est pas en danger en Turquie, puis un second pour recevoir ou se voir refuser l’asile.

En Finlande, le délai de traitement moyen de traitement de la demande est de 229 jours, et 3 136 dossiers – 4 814 si l’on inclut les demandeurs d’asile ukrainiens — sont encore en attente au service de l’immigration. Les Ukrainiens ont toutefois droit à une protection temporaire et leurs dossiers d’asile ne sont pas traités de la même manière.

En ce qui concerne la Belgique, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) vise également à rendre une décision dans un délai de six mois, mais la pandémie de Covid-19 a créé un important retard, en grande partie parce que les entretiens avec les demandeurs ont dû être suspendus. Parallèlement à cela, le nombre de migrants a augmenté.

En 2022, près de 37 000 demandes d’asile ont été enregistrées en Belgique, soit une augmentation de 40 % par rapport à 2021, les principaux pays d’origine des demandeurs étant l’Afghanistan, la Syrie, la Palestine, le Burundi et l’Érythrée.

En 2022, le CGRA a pris 20 514 décisions. Cela représente une augmentation de 10,8 % par rapport à l’année précédente.

Malgré cette augmentation, un membre du personnel de l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fedasil) a confié à EURACTIV que certains demandeurs peuvent attendre jusqu’à six ans avant que la décision du CGRA ne tombe. En outre, le nombre de personnes quittant les centres d’accueil est inférieur aux admissions dans ces centres, notamment en raison de la prolongation des procédures, et de plus en plus de demandeurs se retrouvent à la rue.

Un partage limité de la charge et des autorités migratoires nationales débordées, qui ne peuvent empêcher les migrants de déposer des demandes d’asile dans plusieurs États, ont abouti à un système en crise quasi permanente. [SHUTTERSTOCK/Alexandre Rotenberg]

Lenteur des retours

La lenteur de la prise de décision résulte également en une lenteur au niveau des processus de retour des demandeurs d’asile, qui sont renvoyés vers leur pays d’origine ou l’État de l’UE dans lequel ils sont initialement arrivés.

Selon les données de la Cour des comptes européenne (CCE), on compte au total 19 745 retours forcés et 2 183 retours assistés entre 2018 et 2021 sur plus de 136 000 migrants débarqués, soit respectivement 14,5 % et 1,6 % du total.

Cependant, plusieurs gouvernements tentent aujourd’hui de mettre davantage l’accent sur l’exécution de ces rapatriements.

Parmi eux, le gouvernement de centre gauche du chancelier Olaf Scholtz. Au cours du premier semestre 2022, l’Allemagne a rapatrié 6 198 migrants, principalement vers la Macédoine du Nord, l’Albanie et la Géorgie.

Du côté de la Belgique, Fedasil indique que 2 673 personnes ont effectué un retour volontaire dans leur pays d’origine en 2022. Parmi ceux-ci figuraient 1 402 migrants en séjour irrégulier, 763 demandeurs d’asile et 508 demandeurs d’asile déboutés.

Fedasil coordonne et paie le retour, et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) organise le retour par avion ou par bus.

En 2021, sur 3 420 personnes rapatriées par l’Italie, 1 945 étaient des ressortissants tunisiens. Cependant, les détails des accords entre l’Italie et la Tunisie en matière de migration n’ont jamais été entièrement rendus publics.

Selon la Cour des comptes européenne (CCE), basée à Luxembourg, le manque de coopération avec les États d’origine des migrants est la principale cause des mauvais résultats en matière de retours au niveau européen.

Un rapport de 2019 de la CCE a mis en évidence une série de lacunes en Italie, notamment l’absence d’un système viable de gestion des retours, les difficultés à localiser les migrants à rapatrier, la capacité insuffisante des Centres de permanence pour le rapatriement (CPR) et la coopération limitée avec les pays d’origine des migrants.

La Croatie a également conclu un accord sur la relocalisation des migrants hébergés dans des camps en Grèce et en Italie, et plusieurs centaines d’entre eux ont été relocalisés dans le pays des Balkans dans le cadre du mécanisme de solidarité de l’UE.

Cependant, comme ils sont libres de voyager pendant le traitement de leur demande, on estime qu’environ 75 à 90 % des demandeurs d’asile se rendent dans d’autres pays avant même que la décision ne soit prise.

À titre d’exemple, en 2020, près de 2 000 demandes officielles ont été enregistrées, et près de 1 700 ont été annulées parce que le demandeur avait quitté le pays avant que la décision ne soit rendue. Seules 42 d’entre elles — soit 2 % du total — ont finalement été accordées.

Les principaux pays d’origine des demandeurs sont l’Afghanistan, l’Irak, l’Iran, la Turquie et la Syrie.

Accords avec des pays tiers

Le système de retours déjà complexe est rendu encore plus compliqué par un réseau d’accords de réadmission bilatéraux entre l’UE et les pays tiers qui viennent s’ajouter aux accords de réadmission communs de l’UE.

Par exemple, la Croatie a conclu des accords bilatéraux de réadmission avec la Bosnie-Herzégovine et la Serbie voisines, ainsi qu’avec certains pays tiers, dont le Pakistan.

La République tchèque dispose actuellement de 17 accords bilatéraux avec des pays comme l’Allemagne, la Pologne et la Slovaquie, ainsi qu’avec des pays tiers, dont l’Arménie, le Kosovo, la Moldavie, la Mongolie et le Viêt Nam.

L’Allemagne a conclu des accords bilatéraux de rapatriement avec 16 pays tiers, dont la Norvège et la Suisse, tandis que la Finlande a conclu de tels accords avec la Bulgarie, l’Estonie, le Kosovo, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie et la Suisse, ainsi qu’un protocole d’accord sur le retour volontaire avec le Somaliland.

L’Autriche a signé 22 accords bilatéraux de rapatriement, selon une enquête parlementaire de 2021, dont trois avec des pays non membres de l’UE : le Kosovo, le Nigeria et la Tunisie.

Une pression croissante

Les autorités chargées de l’immigration dans toute l’UE plient sous le poids du nombre croissant de demandes, des retards accumulés et du manque de formation des autorités.

En Croatie, Sara Kekus du CMS a confié à EURACTIV que « certains indicateurs montrent que les autorités d’immigration ne disposent pas d’une formation adéquate et ne comprennent pas les droits humains des réfugiés et des autres migrants, notamment le principe de non-refoulement, les implications psychosociales des traumatismes subis, ainsi que la situation dans leur pays d’origine ».

« En outre, d’après notre expérience, les services d’immigration emploient du personnel qui parle rarement une langue étrangère, ce qui constitue un obstacle majeur à la communication avec les réfugiés et autres étrangers », a-t-elle précisé.

Pourtant, il semble que les pays qui ont vu les budgets consacrés aux effectifs de leur service d’immigration augmenter aient constaté des améliorations.

La Finlande constitue l’un des rares cas où la situation est relativement satisfaisante. L’effectif de son service d’immigration est actuellement de 1 229 personnes et devrait passer à 1 300 d’ici la fin de l’année.

En France, le nombre d’emplois équivalents temps plein à l’OFPRA est passé de 884 en 2019 à 1 028 à la fin de 2021.

En Belgique, le CGRA a investi en 2022 dans des « mesures spéciales » visant à accroître le nombre de décisions. Le nombre de décisions pour la période septembre-décembre 2022 a augmenté de 25 % par rapport au nombre de décisions pour la même période en 2021.

Des fonds supplémentaires ont également été alloués par le Conseil des ministres en décembre dernier afin de recruter davantage de personnel en avril et en mai 2023. Le CGRA espère que ces mesures permettront une hausse significative du nombre de décisions en 2023.

Oliver Noyan, Davide Basso, Pekka Vänttinen, Federica Pascale, Sofia Mandilara, Ondřej Plevák, Fernando Heller, David Spaic-Kovacic et Anne-Sophie Gayet ont contribué à la rédaction de cet article.

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