Lorsque j’ai refermé les portes de l’école vide le 18 mars à midi pour commencer le confinement, personne ne se doutait que nous étions à la veille d’un saut technologique important.
Il s’agissait d’une école internationale de plusieurs centaines d’élèves primaires et secondaires et, comme nos collègues du secteur public et privé, nous nous sommes retrouvés en face d’une inconnue : comment allions-nous continuer les cours ?
L’armature numérique nous a sauvé
J’avais fait doter l’école d’une plateforme numérique sécurisée qui permet de communiquer dans un intranet entre parents, professeurs et direction. Nous y avions aussi, entre autres, les bulletins, les devoirs, le calendrier de l’année, les commentaires. En outre, j’avais fait équiper, quelques mois auparavant, toutes les classes de tableaux interactifs afin d’utiliser des contenus numériques, mais surtout pour créer nos propres contenus, adaptés à nos élèves et nos cours.
Je dois bien avouer que certains professeurs étaient assez réticents vis-à-vis du numérique. J’avais donc fait le choix d’enlever tous les tableaux à crayons ou Velléda ; les professeurs n’avaient pas d’autres choix que d’utiliser les tableaux interactifs et de réfléchir sur l’utilisation et la création de contenus. Une méthode certes un peu brutale, mais avec un vrai accompagnement et le soutien de formations intenses, nous avions commencé à voir les premiers fruits de ces efforts.
Cependant, soyons réalistes, le niveau moyen des professeurs en matière numérique était faible. Sans la crise du COVID-19, je suis certain que cela aurait pris beaucoup de temps pour mettre tous les professeurs à niveau et leur donner confiance en la technologie.
L’improbable saut technologique a été fait
Le confinement est tombé comme un couperet. En 48 heures, il a fallu passer d’une école en présentielle à une école en ligne. Tous ceux qui sont enseignants savent les défis que cela représente.
Sur une trentaine d’enseignants, seuls 4 ou 5 étaient parfaitement à l’aise avec les outils numériques développés dans l’école. Le soir du confinement, il ne faut pas cacher que ce fut une panique chez certains professeurs. Nous n’avions plus le choix, il fallait maintenant avancer à marcher forcée et proposer des solutions : une école telle que la nôtre, internationale, totalement privée, se devait de fournir un service d’éducation de qualité quelque soit le contexte. Ce fut le réflexe de toutes les écoles similaires : continuer l’enseignement coute que coute.
Les deux premières semaines ont été difficiles, mais les vacances de Pâques ont eu un effet bénéfique : les professeurs se sont organisés entre eux pour s’autoformer. Les plus avancés numériquement formaient leurs collègues et des séances de visio-conférence entre eux ont été faites toutes les vacances. Ils ont même fait des répétitions de cours les uns avec les autres : créer une session de cours, inscrire les participants, télécharger les contenus, gérer les interventions des élèves, ils ont tout revu ensemble.
La nouvelle journée scolaire en ligne
Il a fallu adapter les paradigmes de l’enseignement en ligne : habituellement le « online » se déroule sur une heure, voire deux heures et n’implique généralement qu’un élève et un tuteur. Ici, c’était bien toute une journée de classe incluant tous les élèves et tous les professeurs qu’il fallait adapter.
Pour le primaire, après les discussions que nous avons eues avec les professeurs nous avons assez rapidement cernés les principaux points qui constituerait notre journée de classe en ligne : d’abord l’envoi d’une vidéo préenregistrée présentant la matière et indiquant les exercices à faire ; ensuite l’envoi des exercices à faire effectuer par les élèves ; puis une ou plusieurs sessions de visio-conférence en direct avec les élèves répartis en groupe. Ces sessions duraient selon les âges entre 30 à 60 minutes et nous pouvions, selon les cas, en faire jusqu’à trois par jour.
Je n’ai pas imposé un système rigide. Pour un tel système, j’avais instauré un cadre dans lequel les professeurs qui connaissaient parfaitement leurs élèves pouvaient adapter leur journée et leurs enseignements.
Pour le secondaire, l’emploi du temps à tout simplement été repris et adapté en ligne. Néanmoins, là aussi, les professeurs prenaient soin d’envoyer à l’avance des vidéos d’explications et du matériel à étudier pour de meilleures interactions en classe virtuelle.
La nouvelle journée de travail pour les professeurs
Les professeurs ont eu des journées de travail très longues à tel point qu’ils travaillaient parfois de huit heures du matin à minuit. J’avais pourtant dit de ne pas travailler plus que l’horaire habituel, mais nous avons constaté l’effet pervers du travail à distance, chez soi : alors qu’au sein de l’école, les délimitations horaires sont physiquement visibles, que sortir du bâtiment montre une coupure psychologique importante, le fait de rester chez soi à étaler le traitement et la préparation des cours, recevoir les devoirs des élèves envoyés par des parents à 22 ou 23 heures, parfois minuit, la tentation de corriger tout de suite, ont mené beaucoup de professeurs à faire des journées incroyablement longues.
En outre, tous ont découverts que l’on ne manage pas une classe de la même manière en présentiel qu’en ligne. En classe, le professeur fait sa leçon, répond aux questions, prend des temps de pauses pour laisser les élèves travailler, va des uns aux autres, réexplique s’il le faut et adapte tout simplement son enseignement aux réalités de la classe. En ligne, ce n’est plus possible : le management de la classe via un système de visio-conférence est différent ne serait-ce que sur la discipline et la prise de parole et il n’y avait pas d’interaction visuelle à 360 degrés telle que nous pouvions l’avoir en classe et qui est très importante dans l’enseignement.
Dire qu’il y a eu réinvention du métier de professeur serait un peu trop grandiloquent, mais il y a bien eu, durant ce confinement, l’émergence d’un modèle hybride tout-à-fait intéressant et qui pourrait fournir des perspectives nouvelles à l’avenir dans le développement des écoles internationales.
Quand les parents redécouvrent leurs enfants
Disons-le franchement : certains parents ont découvert qu’ils avaient des enfants. Et nous avons eu parfois des reproches qui nous ont laissé pantois. Certains parents ne comprenaient pas pourquoi leur enfant posait tout le temps des questions sur le cours et en ont conclu que les professeurs enseignaient mal. Or ces questions étaient ce que ne voient jamais les parents : c’est le cœur de l’enseignement, ce sont par ses questions que l’élève apprend et il les pose toujours tout au long de la journée au professeur. Mais lorsque le professeur n’est accessible qu’une heure ou deux virtuellement, l’enfant lui continue d’avoir le même réflexe : il veut comprendre, il a besoin d’aide, donc il pose des questions à l’adulte présent dans la pièce et durant le confinement il s’agissait du papa et/ou de la maman. Or ceux-ci, travaillant bien souvent à distance, se retrouvaient à gérer d’une part leurs collègues dans leur propre visio-conférence et d’autre part leur enfant. Et ils ont découvert que répondre à un enfant n’est pas répondre à un adulte : avec l’enfant il faut répéter, reprendre, expliquer, être patient… La patience justement : or nous savons que bien souvent les parents sont les moins patients avec leurs propres enfants. C’est normal, c’est la nature, nous sommes quasiment tous comme cela car nous voudrions que nos enfants comprennent tout de suite et le fait qu’ils pataugent parfois est vécu comme un échec personnel, alors que c’est une question de patience : le cerveau ne fonctionne pas aussi vite et il faut du temps.
Force est de constater que nous avons reçu des appels au secours : une mère célibataire, d’habitude douce et patiente, seule durant ce confinement avec son enfant dans un presque huis-clos, ne supportait plus de continuer l’enseignement en ligne car elle s’énervait contre son enfant. Cet exemple est le plus typique et vers la fin du confinement j’avais autorisé certaines d’entre elles à ne plus suivre les cours pendant quelques jours pour calmer les choses. Nous nous sommes adaptés aux détresses des parents.
Libéré, délivré….
Lorsque nous avons annoncé la reprise des cours début juin, nous avons eu la confirmation que le confinement avait été la solution la moins compatible avec la réalité sociale. A peine la reprise des cours autorisé par le Gouvernement belge, j’avais déjà reçu nombre de mails enthousiastes de parents, surtout des mères, et ma confirmation de la réouverture a été suivi d’une véritable effervescence. Tout d’abord les professeurs sont tous revenus le vendredi précédent la réouverture pour une réunion de préparation avec un enthousiasme rare : on sortait enfin d’une situation kafkaïenne. Puis le lundi, les élèves sont revenus presque en courant. Les parents, d’abord un peu effrayés sous la pression catastrophiste des médias et des politiques entretenant continuellement l’angoisse, se sont vite détendus devant la joie réelle de leur enfant d’avoir retrouvé une vie scolaire et sociale normale.
Que reste-t-il du confinement ?
Il reste tout simplement une vraie progression dans les compétences numériques des professeurs qu’ils continuent d’utiliser et d’enrichir. Et certains qui étaient méfiants vis-à-vis de la technologie, sont maintenant devenus convaincu de l’usage et de l’utilité de ces outils.
Là où des formations classiques, dans un temps normal, n’auraient eu que peu d’impact réel, force est de contacter qu’au pied du mur, dans une situation d’urgence dont l’enjeu était de délivrer un service éducatif à des parents qui sont la seule source de financement d’une école internationale, les professeurs ont su réagir avec rapidité et professionnalisme. Et ce qui est vrai pour notre école, l’a aussi été pour les autres écoles internationales privées.
Il reste aussi ce modèle hybride qui vécut deux mois et demi : un enseignement présentiel transformé en virtuel. Ce modèle d’enseignement a été mis en place en catastrophe, a été vécu sous une forte pression, mais au final il a plutôt bien fonctionné. Cela mériterait que l’on s’y attarde plus et qu’on en tire maintenant des conclusions plus poussées.
Sylvain Charat est Docteur de l’Université Paris IV Sorbonne et Directeur adjoint d’une école internationale à Bruxelles
Laisser un commentaire