Contre-offensives diplomatiques

Contre-offensives diplomatiques

Indécence ou espérance, les yeux fixés sur Bakhmout détruite, les dirigeants du monde, les téléspectateurs désormais habitués aux crimes de guerre, attendent la contre-offensive ukrainienne. Celle-ci devrait décider de la guerre, et régler la question de la Russie, ou non. 

Si l’offensive ukrainienne est assez puissante pour déstabiliser l’armée russe, l’évacuation de tout le territoire ukrainien par les troupes russes, y compris la Crimée, devient possible. Non que les troupes ukrainiennes soient capables, par une seule contre-offensive, de reprendre ces territoires, mais une défaite russe emporterait Poutine. L’effondrement du régime poutinien se solderait par un accord global. Beaucoup pensent que les successeurs de Poutine seraient plus dangereux. Ils n’en auraient pas les moyens : ni le FSB, ni l’armée, ni les oligarques ne gagnent quoi que ce soit à la guerre. En cas d’effondrement militaire et de disgrâce de Poutine, la Russie, la Biélorussie, pourraient retrouver l’espace naturel de la « voie romaine », celle d’une sécurité et d’une coopération paneuropéenne. Sans défaite russe, la part de la Chine grandirait en Russie, en Europe, sur l’échiquier mondial. D’où ces multiples initiatives « pour la paix »  avant la contre-offensive attendue.

Comme la contre-offensive n’est pas sûre, son succès moins encore, la contre-offensive diplomatique a déjà commencé.

L’allié américain était-il sûr ? La réponse était clairement non.

L’abandon catastrophique américain en Afghanistan, les contrepieds de Trump avec la Corée du Nord et la Russie, ses foucades contre les Européens et l’OTAN, puis les réticences de Biden vis-à-vis de l’Arabie, son désintérêt initial de la situation ukrainienne, le retrait américain du Moyen-Orient et de l’Afrique, avaient amené le monde à douter des États-Unis, y compris en Europe. L’allié américain était-il sûr ? La réponse était clairement non. Les récentes déclarations de Trump, expliquant qu’avec lui la guerre se terminerait « en un jour » (ce qui indique qu’il lâcherait l’Ukraine), renforcent cette impression. L’élection présidentielle américaine aura lieu en novembre 2024. Rien ne dit que Trump l’emporterait. Mais, Biden étant candidat, il lui faut un résultat décisif avant, car l’opinion publique américaine se lassera de financer une « guerre européenne », comme elle s’est lassée des autres interventions militaires, qui ont finalement toutes politiquement échoué.

Les États-Unis pourraient avoir intérêt à une guerre longue. Comme la Chine. Une guerre d’usure affaiblit la Russie et maintient l’Europe dans le giron américain. Pour la Chine, cela lui permet de prendre pied en Asie centrale, dans les anciennes républiques soviétiques où elle prend peu à peu la place du grand frère russe, devenu petit, tant il se met dans la dépendance chinoise. Mais finalement, une guerre longue n’arrange personne.

La situation en Ukraine au 6 mars 2022. © MINISTERE DE LA DEFENSE

Poutine espère tenir jusqu’à l’élection présidentielle américaine  

Surtout pas les Européens, qui vivent sous la menace, dépendent des Américains, paient cher leurs approvisionnements. Cela n’est pas l’intérêt des Etats-Unis : leur souci est en Asie, la guerre coûte cher, Biden a besoin de conclure. Poutine espère tenir jusqu’à l’élection présidentielle américaine. 

Cela n’est pas non plus l’intérêt chinois, car les Américains enrôlent l’Europe dans une confrontation avec la Chine. Le G7 a montré la solidarité occidentale, renforcée dans trois directions : 

La première, un renforcement des sanctions vis-à-vis des Russes. Au fur et à mesure de l’échec militaire, de son appauvrissement incontestable, de ses divisions internes, la Russie s’isole. Déjà en Islande, le 16 mai, les 46 pays membres du Conseil de l’Europe (y compris ses fidèles : Azerbaïdjan, Arménie, Hongrie, Turquie, Serbie) avaient à l’unanimité condamné à nouveau la Russie, créant un «registre international des dommages causés par l’agression de la Russie contre l’Ukraine». Un soutien à la Cour Pénale Internationale qui a inculpé Poutine.

G7
Le président Emmanuel Macron, le Premier ministre japonais Fumio Kishida et le président américain Joe Biden au G7
à Hiroshima le 19 mai 2023. ©AFP

Eviter la logique de blocs est dans l’intérêt chinois, son premier marché est l’Europe

La deuxième, une mise en garde à la Chine : ne pas utiliser l’arme de la « coercition économique », agir dans le respect du droit international, aider à la paix en Ukraine. La Chine a déposé une protestation officielle. Pendant que les États-Unis relativisaient la part de produits chinois dans leur commerce, pour s’orienter vers d’autres pays asiatiques, l’Europe faisait l’inverse. Raison pour laquelle, Allemagne en tête, l’Europe ne veut pas d’une logique « bloc » contre « bloc ». Éviter cette logique est dans l’intérêt chinois, son premier marché est l’Europe. La guerre en Ukraine y conduit, puisqu’on trouve le camp « occidental » et ceux qui tolèrent l’agression russe. 

Parmi eux, l’Inde et le Brésil, conviés au G7 d’Hiroshima, comme l’Indonésie (premier pays musulman du monde). C’est dans ce cadre choisi que Biden a annoncé que l’Ukraine disposerait de F16, livrés par des pays européens, comme le Danemark ou les Pays-Bas. L’initiative lancée par le Royaume-Uni il y a quelques jours était donc coordonnée avec Washington. L’annonce faite à Hiroshima devant les dirigeants du tiers parti, l’accueil de Zelensky, montrent que les Etats-Unis et leurs alliés sont déterminés à aider l’Ukraine avec tous les moyens. C’est dans ce cadre que s’inscrit la tournée mondiale de Zelensky, qui avait commencé en Europe avec le Pape. 

Ce dernier, en Hongrie, avait prêché pour le dialogue avec la Russie : « Il faut toujours parler, même avec le mal ». A Rome Zelensky a pu vérifier que si le Pape était prêt à dialoguer, ce n’était pas sur les bases d’abandon de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Il a remporté un autre succès : Georgia Melloni a réitéré son soutien à l’Ukraine et fait taire ses amis poutiniens. Soucieuse de se montrer bonne élève du camp occidental, elle a annoncé qu’elle renoncerait à la participation de l’Italie aux Routes de la soie chinoise, seul pays européen à contractualiser par un accord cette initiative.

Si la contre-offensive échoue, ils espèrent en tirer des avantages

Troisième volet du G7 : un message au monde. A l’Afrique du sud, à l’Inde, au Brésil, à l’Indonésie, aux pays africains (le Sénégal était invité), qui ont lancé une initiative de paix saluée par Moscou ; aux pays arabes, qui viennent de réintégrer la Syrie. L’Amérique, l’Europe, le Japon, les alliés du Pacifique ne cèderont plus. Ni en Russie. Ni face à la Chine. Zelensky a été reçu par le Prince Salman, qui a changé de pied, tout d’abord en coopérant avec la Russie sur le pétrole, puis en négociant sous l’égide chinoise avec l’Iran, enfin en réintégrant le Syrie dans la ligue arabe. Mais le Prince a réitéré son attachement à l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Personne ne parie sur les Russes. En fait il attend. Comme Erdogan, comme Lula, qui est allé saluer Poutine à Moscou. Si la contre-offensive échoue, ils espèrent en tirer des avantages.

Curieusement, le grand jeu de go se joue aussi sur des votes. L’élection en Turquie est un enjeu mondial. Des élections taiwanaises dépendra aussi le sort de la mer de Chine. De l’élection américaine le soutien à l’Ukraine.

Après les routes de la soie, le carcan chinois

Démocratie armée, hélas. En fut-il jamais autrement ? Toutes ces contre-offensives diplomatiques sont des placements en préparation de l’issue militaire sur le terrain. Si la Russie réussit à faire de l’Ukraine un conflit gelé, alors  la Chine, avec ses alliés iraniens, russes, enrôlera les Africains, quelques pays d’Amérique latine, d’Asie centrale, constituera, après les routes de la soie, le carcan chinois, vieux supplice. La Russie sera confortée dans une stratégie de terreur, y compris à l’extérieur, d’autres pays l’imiteront. Les pays du G7 ou bien se diviseront, ce qui est peu probable tant la dépendance américaine s’accroîtra, ou bien se refermeront. 

Triste monde que celui dont l’avenir dépend des armes ! Beaucoup refusent de voir dans cette bataille un combat idéologique, ne serait-ce que parce que les régimes non démocratiques sont en fait plus nombreux que les régimes démocratiques. Vision « réaliste » tronquée. Les peuples ne vivent pas que de pain. «Il n’y a que deux puissances au monde, le sabre et l’esprit : à la longue, le sabre est toujours vaincu par l’esprit», Napoléon dixit. Qu’ont fait les dirigeants du G7 à Hiroshima, ville martyre ? Ils ont rappelé les principes de la Charte des Nations-Unies. Voilà pour l’esprit, appuyé, cette fois, par la puissance du G7.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati 

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site « Lesfrancais.press »

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