Le souverainisme économique est un thème à la mode. Ce concept repose sur l’idée que produire et consommer français est bénéfique à la fois pour le pays et pour la planète. Sous couvert d’indépendance économique, il constitue également une des expressions du protectionnisme. Si, évidemment, la richesse d’un pays est liée à ses capacités de production de biens et de services, dans une économie complexe, la notion d’indépendance reste toute relative.
La primauté du « fabriqué en France » peut être illusoire, car les chaînes de valeur sont, par nature, fragmentées. Par ailleurs, la généralisation de ce type de pratiques pourrait avoir des effets négatifs sur la croissance, qui dépend en partie du commerce extérieur, et sur la diffusion du progrès technique.
La croissance économique repose en grande partie sur la spécialisation au sein des pays et entre eux. À ce titre, la théorie des avantages comparatifs reste un des piliers de l’économie contemporaine. Une étude du Crédoc publiée en janvier 2025 analyse l’évolution des comportements des ménages sur la question sensible de l’origine des produits consommés. Une majorité de Français se déclarent favorables à une préférence nationale en matière de consommation. Mais cette intention ne se traduit pas toujours dans les actes d’achat. D’autres critères, comme le prix, la qualité ou le marketing, jouent également un rôle dans les décisions des consommateurs.
En 2020, 65% des consommateurs étaient disposés à payer plus cher pour un produit « Made in France ».
En 2005, 43 % des consommateurs étaient disposés à payer plus cher pour un produit « Made in France ». Cette proportion a grimpé à 65 % en 2020. Longtemps, la préférence pour les produits français a été surtout l’apanage des seniors. Ainsi, en 2005, 54 % des plus de 60 ans étaient prêts à payer un surcoût pour consommer des produits français, contre seulement 34 % des moins de 25 ans et 36 % des 25-39 ans. Depuis, cet écart entre les tranches d’âge s’est réduit. En 2020, 67 % des moins de 25 ans et 68 % des 25-39 ans se disent prêts à payer davantage pour consommer français, contre 69 % des 70 ans et plus.
En intention, les Français seraient de plus en plus nombreux à accepter des hausses de prix pour acheter des produits fabriqués en France. Malgré cela, le passage à l’acte n’est pas au rendez-vous. Les Français continuent de consommer de plus en plus de produits importés. Dans certains cas, aucun produit de substitution n’existe. Mais même lorsque des alternatives nationales sont disponibles, les produits importés leur sont souvent préférés.
Dans les années 1990, les tentatives de fabrication de téléphones portables en France ont échoué faute de clients. En ce qui concerne les voitures, pour les modèles haut de gamme, les Français se tournent largement vers des marques étrangères, invoquant la qualité comme principal critère de choix. Pourtant, des études ont montré à plusieurs reprises que la qualité des produits importés est souvent surévaluée, notamment dans le domaine automobile.
La protection de l’environnement
Un autre argument souvent avancé en faveur de la consommation « française » est la protection de l’environnement. En 2005, la moitié des personnes préoccupées par les questions environnementales (50 %) se déclaraient prêtes à payer plus cher pour un produit fabriqué en France, contre 42 % de celles qui n’accordaient pas d’importance à cet enjeu.
Quinze ans plus tard, cette proportion a fortement augmenté : 76 % des consommateurs soucieux de la dégradation de l’environnement se disent prêts à accepter un surcoût, contre seulement 39 % parmi ceux qui ne partagent pas cette préoccupation. En 2020, 87 % des Français affirmaient être incités à consommer un produit en raison de sa fabrication française. Tandis que 77 % se disaient influencés par ses garanties écologiques. Cependant, en 2024, ces chiffres sont en recul : 73 % des Français déclarent être motivés par des garanties de fabrication nationale et seulement 54 % par des garanties écologiques.
Les associations environnementales mettent en avant les circuits courts.
La production locale ne rime pas toujours avec respect des normes environnementales. Les associations environnementales mettent en avant les circuits courts. Or, cette priorité fonctionne dans les deux sens. Cela implique également que la France réduise ses exportations. Une décision qui pourrait limiter ses revenus.
Par ailleurs, pour les pays émergents ou en développement, les recettes issues des exportations sont essentielles pour améliorer le niveau de vie de leur population et financer leur transition écologique. Que les navires ayant déchargé des produits européens en Amérique latine reviennent chargés, plutôt que vides, est plus avantageux.
L’attrait pour les produits nationaux reste plus marqué parmi les catégories aisées et les plus diplômées. En 2020, plus de la moitié des personnes à bas revenus se disaient favorables à l’idée de payer plus cher pour des produits fabriqués en France (56 %). Parmi les plus aisés, cette proportion atteignait 78 %, l’écart entre ces deux catégories restant stable à 22 points. En 2005, 48 % des diplômés du supérieur étaient prêts à payer davantage pour des produits « Made in France », contre 40 % des non-diplômés (soit un écart de 8 points). Mais en 2020, 75 % des diplômés du supérieur y sont disposés, contre seulement 46 % des non-diplômés, élargissant ainsi l’écart. En 2023, 67 % des Français déclarent que l’inflation a réduit leur capacité à acheter des produits fabriqués en France, et 64 % affirment avoir renoncé à le faire.
Le commerce international : « un levier de développement »
Ces choix sont également fragilisés par la complexité de l’offre existante. La diversité des labels crée de la confusion chez les consommateurs qui jugent parfois ces certifications peu fiables.
Par ailleurs, les labels censés guider les choix des consommateurs souffrent d’une multiplication qui engendre confusion et scepticisme. Si la préférence nationale peut soutenir certaines filières locales, elle ne saurait remplacer une réflexion plus globale sur les mécanismes économiques. Le commerce international reste un levier de développement et d’innovation incontournable, notamment pour les pays émergents. Tandis qu’en France, il offre un accès à une diversité de produits que la seule production nationale ne peut satisfaire.
Les exportations sont à la base d’un quart des emplois, au minimum. Et ils sont une source de revenus indispensables pour les entreprises et le pays. À l’avenir, le défi sera d’équilibrer les attentes légitimes en faveur de la production locale avec les impératifs d’efficacité économique, d’équité sociale et de respect de l’environnement. Pour cela, une meilleure lisibilité des certifications, une sensibilisation accrue des consommateurs et des politiques économiques adaptées seront nécessaires pour éviter que le souverainisme économique devienne une illusion contreproductive.
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