Consommation : stop ou encore ?

Consommation : stop ou encore ?

Malgré une légère amélioration de leur pouvoir d’achat et la baisse des prix de l’énergie, les Français ne renouent pas avec la consommation. Derrière ce repli se cache une double réalité : un climat d’incertitudes durables et une transformation en profondeur des modes de vie et de consommation.

Moins de biens, plus de services : la mutation est autant culturelle qu’économique. Au mois de mars 2025, la consommation de biens en France est revenue à son niveau de 2014. Pourtant, au cours des dix dernières années, la population a augmenté de 2,5 millions de personnes, passant de 66,1 à 68,6 millions d’habitants, ce qui implique une baisse de 3 % de la consommation par habitant.

Les produits alimentaires sont en première ligne de ce mouvement inédit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : leur consommation s’est contractée de 8 % entre 2021 et 2025. Les ménages réduisent leurs achats ou se détournent de certains biens — vêtements, alimentation, équipements de la maison — et, en contrepartie, augmentent leurs dépenses de services.

Les achats de biens matériels ne font plus rêver. 

Les dépenses liées à l’hébergement-restauration ont progressé de 17 % en quatre ans, celles liées à la santé de plus de 4 %. Les comportements de consommation changent. La priorité est donnée aux loisirs, qu’il s’agisse de voyages ou d’abonnements à des plateformes de vidéos à la demande. Les achats de biens matériels ne font plus rêver.

Durant les Trente Glorieuses, l’acquisition d’une voiture représentait un symbole d’indépendance et un marqueur social. La concentration de la population dans les grandes agglomérations, les incertitudes liées aux normes écologiques et les coûts croissants liés à la possession d’un véhicule ont conduit de nombreux ménages à y renoncer. À Paris, moins d’un ménage sur trois possède une voiture, contre plus de 80 % dans l’ensemble de la France métropolitaine. Pour l’habillement, les ménages n’hésitent plus à acheter des articles d’occasion sur des plateformes spécialisées.

Les Français sont aujourd’hui plus mobiles qu’autrefois. Ils changent plus fréquemment de logement, souvent des petites surfaces en milieu urbain. Le recours à la location meublée se généralise. Dès lors, les achats de biens d’équipement se réduisent au strict nécessaire. Autrefois regardée sur l’écran familial, la télévision se consomme désormais sur tablette, voire sur smartphone. En matière d’alimentation, les repas à l’extérieur se multiplient, comme en témoigne l’essor de la restauration rapide. Boulangeries et enseignes de grande distribution s’adaptent en proposant des espaces de restauration.

Les dépenses pré-engagées ont fortement augmenté

Le vieillissement démographique s’accompagne d’une hausse des dépenses de services à la personne et d’un recul des achats de produits. Les ménages sont contraints de faire des arbitrages budgétaires constants, d’autant que leur niveau de vie progresse faiblement et que les dépenses pré-engagées (loyers ou remboursements de prêts immobiliers, assurances, énergie, télécommunications, cantines ou crèches) ont fortement augmenté. Par nature, celles-ci sont difficilement compressibles à court terme. Selon l’INSEE, leur poids est passé de 18 % du revenu des ménages en 1980 à plus de 32 % en 2023.

Les dépenses pré-engagées ont fortement augmenté
Les dépenses pré-engagées ont fortement augmenté

La crainte de l’avenir pèse également sur les comportements de consommation. La succession des chocs récents — pandémie de Covid, guerre en Ukraine, inflation persistante, incertitudes autour du financement des retraites, instabilité politique en France, retour de Donald Trump au pouvoir — a provoqué une remontée du taux d’épargne passé de 15 % à 18 % du revenu disponible brut entre 2018 et 2025. Par définition, plus d’épargne, c’est moins de consommation. Les Français renforcent leur épargne de précaution pour faire face aux aléas, tout en augmentant leur effort d’épargne longue en vue de la retraite.

Les Français renforcent leur épargne.

Contrairement à leurs homologues étrangers qui, après la pandémie, ont retrouvé le chemin des magasins, réels ou virtuels, les Français peinent à renouer avec la consommation. Cette réticence est alimentée par un climat d’inquiétude persistant. Depuis octobre 2021, l’indicateur de confiance des ménages de l’INSEE demeure nettement inférieur à sa moyenne de long terme. L’instabilité politique, la prise de conscience de l’ampleur de la dette publique, la crainte de nouvelles réformes fiscales, l’anxiété générée par le changement climatique et les tensions commerciales mondiales sont autant de freins à la reprise de la consommation. Et ce, malgré une amélioration du pouvoir d’achat et la baisse des prix des carburants.

La restauration de la confiance apparaît comme la condition sine qua non d’un retour de la consommation. Laquelle demeure la clé de voûte de la croissance économique. Le pessimisme ambiant est auto-réalisateur. Faute de consommation, il n’y a pas d’investissement. Faute d’investissement, les recettes publiques s’érodent. Et sans recettes, la croissance de demain est compromise.

Sans désir, il n’est pas de reprise durable. 

La consommation des ménages français traverse une double réalité. Un marasme conjoncturel nourri par l’inflation, les incertitudes politiques et les angoisses collectives, mais aussi une mutation structurelle profonde. Désormais, l’achat d’un bien ne suffit plus à traduire le désir ou le progrès social. Ce rôle revient aux expériences, aux services, aux formes de mobilité ou de sobriété choisies. Moins quantitative, plus sélective, la consommation s’adapte à un monde contraint, vieilli, urbanisé et numérisé.

Pour que cette transformation ne se réduise pas à un repli, encore faut-il qu’elle soit accompagnée, comprise, et portée par un regain de confiance collective. Car sans désir, il n’est pas de reprise durable.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

    Voir toutes les publications
Laisser un commentaire

Laisser un commentaire