A la veille du vote pour élire le président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, prévu jeudi (30 juin), Eric Coquerel, candidat au nom de la coalition des forces de gauche NUPES a répondu aux questions d’EURACTIV France.
Eric Coquerel est député – La France insoumise – de la 1ère circonscription de Seine-Saint-Denis.
Euractiv : Dans un entretien samedi (25 juin) à l’Agence France-Presse, Emmanuel Macron a expliqué que les idées de La France insoumise (LFI) et du Rassemblement national (RN) « ne sont pas conformes aux principes de la République », même s’il ne met pas de « signe égal » entre les deux partis. Comment réagissez-vous à ces propos ?
Tout cela est très politicien. Quand M. Macron avait besoin des voix de gauche pour faire blocage au RN dans l’entre-deux-tours des élections présidentielles, il faisait applaudir Jean-Luc Mélenchon.
Comme les choses ont changé depuis les résultats des législatives ! Face à cette situation inédite de majorité relative, M. Macron a une attitude d’enfant-roi : il refuse d’accepter la réalité politique pour ce qu’elle est.
De fait, il cherche des soutiens du côté du parti Les Républicains (LR) afin de créer une coalition qui soit compatible avec le système néolibéral qui est le sien. En même temps, il tente de diviser la NUPES, mais nous ne céderons pas.
Euractiv : Pourtant, il semblerait que les divisions au sein de la NUPES soient réelles : refus de former un groupe uni à l’Assemblée nationale, critiques de la part du secrétaire national du Parti communiste français (PCF) Fabien Roussel à l’encontre de l’alliance… La NUPES n’est-elle pas déjà en train de se fissurer ?
Les propos de M. Roussel n’engagent plus le PCF. Tout au long des négociations entre les partis de gauche, M. Roussel a fait des sorties dans les médias qui étaient ensuite démenties par sa délégation. En pratique, c’est bien la délégation PCF, et non pas M. Roussel, qui a permis que l’accord se fasse.
Pour ce qui est d’un groupe parlementaire uni, ce n’était pas dans l’accord de base, signé avant les législatives. Si LFI a toujours pensé qu’un groupe uni serait plus efficace face au RN, ce n’est pas nécessaire pour que toutes les forces de gauche travaillent de concert. Nous aurons des réunions hebdomadaires et les décisions seront prises ensemble.
Aujourd’hui, la coalition NUPES marche, et elle marche bien.
Euractiv : Pourtant des divisions persistent sur des sujets majeurs, comme l’Europe…
Paradoxalement, sur le sujet européen qui semblait le plus compliqué, nous avons trouvé un accord très clair : nous ne sommes pas anti-Europe et en aucun cas ne souhaitons quitter l’UE, mais nous sommes prêts à désobéir aux règles qui nous empêcheraient d’appliquer le programme de la NUPES.
Euractiv : On ne peut pas nier des désaccords profonds entre l’euroscepticisme qui caractérise LFI et le fédéralisme qui est au cœur, par exemple, de la position des écologistes.
Mais un accord a tout de même été trouvé ! Les choses seraient peut-être différentes si nous gouvernions, mais aujourd’hui cet accord nous permet au moins de dire des choses de manière unie.
Euractiv : Avec l’octroi du statut de candidat à l’Ukraine et la Moldavie, l’UE a envoyé un message politique « historique », selon Emmanuel Macron. Quelle est votre analyse ?
C’est évidemment un signe politique fort. Nous croyons que l’UE peut être un outil de progrès social et écologique, mais il faut une harmonisation sociale et fiscale, sans laquelle la compétition entre les peuples va mener à de nouveaux nationalismes. L’UE ne peut pas être une machine à baisser le niveau de vie. L’exemple de l’Ukraine est à ce niveau-là flagrant : le salaire minimum est de 140 euros.
Régler des problèmes géopolitiques à travers l’intégration de nouveaux pays au sein de l’UE ne marche pas : il faut aussi assurer une non-régression sociale et écologique et faire en sorte que l’UE s’aligne toujours au pays le mieux-disant en termes sociaux.
Euractiv : Vous avez été désigné candidat à la présidence de la Commission des finances par la NUPES. Si vous êtes élu, quel président serez-vous ?
Je serai un vrai contre-pouvoir, comme le prévoient les textes. Les cris d’affolement qu’on entend aujourd’hui au sujet d’une présidence LFI nous renvoient à l’idée que l’opposition a, pendant longtemps, été compatible avec le système néo-libéral que portaient les différents gouvernements, même sous François Hollande [président de la République de 2012 et 2017].
Aujourd’hui, une gauche de rupture est de retour, prête à présenter une alternative aux politiques d’austérité que nous promet M. Macron.
Euractiv : Eric Woerth vous accuse de vouloir « faire du contrôle fiscal » si vous êtes élu président…
C’est absurde : je ne vais évidemment pas me lancer dans une chasse aux sorcières de mes adversaires politiques – je suis tenu au secret fiscal et je le respecterai. Les réactions des uns et des autres sont tellement disproportionnées que je me demande s’ils n’ont pas quelque chose à cacher…
Néanmoins, combattre l’évasion fiscale est un enjeu crucial qui sera au cœur de mon action, comme nous le rappelle l’affaire McDo, accusé de fraude fiscale [qui paiera une amende de 508 millions d’euros].
Euractiv : Quels sont les autres sujets prioritaires à traiter ?
Je souhaite faire meilleur usage de l’article 40 de la Constitution [qui dispose que les amendements parlementaires ne sont pas recevables s’ils ont pour conséquence une diminution des ressources publiques, ainsi que la création ou l’aggravation d’une charge publique].
L’ancien président de la Commission Éric Woerth a eu une lecture très large de cet article, ce qui a empêché le dépôt de nombreux amendements lors de la dernière mandature. Je souhaite faire appliquer cette règle de manière plus limitée, en clarifiant clairement ses contours.
Euractiv : Quelles relations comptez-vous entretenir avec le RN ? Le dialogue entre LFI et le RN est-il possible ?
Voyons déjà s’ils se présentent dans l’Hémicycle : ils n’étaient presque jamais là pendant cinq ans. Ensuite, vu le pédigrée de certains nouveaux élus, j’ai peur que les conversations soient compliquées…
Je n’imagine pas de dialogue avec le RN, qui n’est pas un parti républicain, au vu de leur histoire et leurs racines. Malgré la « dédiabolisation » tant prônée par Marine Le Pen, les thématiques restent d’extrême droite. Autant je peux aller prendre un café avec des membres de LR, autant je ne peux pas avec le RN.
Euractiv : Pourtant, dans les duels Ensemble-RN du second tour des législatives, 24 % des électeurs NUPES ont voté RN. Quel message envoyez-vous à ces électeurs ?
J’envoie le même message que celui envoyé par M. Mélenchon aux « fâchés pas fachos » : en aucun cas le RN est une solution à la colère sociale qui anime le pays.
Sur les plans économique et social, le RN et la majorité présidentielle partagent les mêmes idées libérales, notamment sur les sujets de déficit et de dépenses publiques. Ces deux partis sont d’accord pour repousser l’âge de la retraite, ou encore pour baisser les cotisations patronales. Ce n’est donc pas par hasard si des macronistes de haut-rang comme le garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti ou Éric Woerth tendent la main au RN.
Par ailleurs, le premier mandat de M. Macron s’est soldé par des mesures qui auraient très bien pu être mises en œuvre par un gouvernement RN : souvenez-vous du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin qui expliquait lors d’un débat télévisé que Marine Le Pen était trop « molle » sur les sujets d’islamisme !
Euractiv : Le gouvernement s’apprête à présenter son projet de loi « pouvoir d’achat ». Allez-vous participer aux négociations sur le texte ?
La NUPES s’apprête à déposer une proposition de loi d’urgence sociale cette semaine, qui regroupe nos promesses des législatives : SMIC à 1 500 euros, retraites réhaussées, augmentation des minima sociaux, revenu garanti pour les jeunes des lycées professionnels, blocage des prix et des loyers.
Euractiv : Comment allez-vous financer cette proposition de loi ?
Notre proposition coûtera 64 milliards d’euros qui, peu ou prou, sera financée par le rétablissement d’un impôt sur la fortune progressif, en supprimant la flat tax sur le capital, et en imposant une nouvelle taxe exceptionnelle sur les entreprises « profiteuses de crise ». Enfin, nous supprimerons certaines niches fiscales anti-écologiques.
Pour le reste, nous ne sommes pas pour un retour aux 3 % de déficit budgétaire – ce qui veut dire que nous sommes prêts à augmenter les dépenses si nécessaire.
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