Commerce international : et si la France ratifiait le CETA ?

Commerce international : et si la France ratifiait le CETA ?

Pendant que Washington érige ses murs tarifaires, que Pékin redessine les routes du commerce international à son image, et que Moscou manie la guerre comme levier économique, l’Europe hésite encore à serrer la main de ses alliés.  Notre pays a pourtant une occasion de peser. Et si la France ratifiait le CETA, le traité de libre-échange entre l’UE et le Canada ? En effet, dans ce contexte, ce texte semble alors ne plus apparaître comme un simple un accord commercial. Il pourrait être un acte de souveraineté stratégique.

Une réponse stratégique à la "Liberation Day" américaine

L’imposition massive de nouveaux droits de douane par les États-Unis dans le cadre de leur « Liberation Day » économique a marqué un tournant. Désormais, le libre-échange n’est plus une évidence, mais un rapport de force. Washington impose ses règles, ses priorités, ses alliés – et ses sanctions. Dans ce contexte, l’Union européenne peut-elle encore rester spectatrice ? Certains attendent des actes concrets, visibles, puissants.

« Il faut ratifier le CETA, c'est le moment. Il faut qu'on fédère autour d'alliés qui pensent comme nous»

C’est dans cet esprit que Roland Lescure, ancien ministre délégué à l’Industrie et l’énergie et député des Français d’Amérique du Nord (Etats-Unis-Canada), a lancé un appel le 3 avril en faveur de la ratification du CETA, relayé et soutenu le jour même par Laurent Saint-Martin, ministre délégué au Commerce extérieur et aux Français de l’étranger. « Il faut ratifier le CETA, c’est le moment. Il faut qu’on fédère autour d’alliés qui pensent comme nous », a argué l’actuel vice-président de l’Assemblée nationale.

Une réponse stratégique à la "Liberation Day" américaine
Une réponse stratégique à la "Liberation Day" américaine

Du côté de Laurent Saint-Martin, celui-ci a indiqué que le CETA « est un véritable levier pour renforcer nos liens avec un partenaire clé, qui partage nos valeurs et notre vision d’un commerce juste et équilibré

Le Canada : un partenaire économique, mais surtout politique

L’Accord économique et commercial global (CETA), signé entre l’Union européenne et le Canada en 2016, prévoit la suppression de 99 % des droits de douane, l’ouverture des marchés publics, la facilitation des investissements et la coopération réglementaire. Depuis 2017, ses dispositions commerciales sont appliquées à titre provisoire. Mais pour qu’il entre pleinement en vigueur, il doit être ratifié par les 27 États membres de l’UE.

« À bien des égards, le Canada est plus européen que certains membres de l’Union »,

Outre-atlantique, le Canada n’est pas un partenaire quelconque. C’est une démocratie stable, alliée de l’UE au sein du G7 et de l’OTAN (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord), partageant des valeurs proches en matière d’environnement, de droits humains et de régulation économique. Dans un monde où les alliances se recomposent sous pression, renforcer l’axe Bruxelles-Ottawa, serait sans doute réaffirmer une communauté de destin. Sigmar Gabriel, ancien ministre des Affaires Étrangères allemand, a d’ailleurs lancé le débat, le 5 avril dernier dans un entretien avec le journal bremois Wieser-Kurier, en proposant le Canada comme 28ème État Membre de l’Union. Et de rajouter que le Canada est plus européen que certains États Membres.

Un levier géopolitique européen… suspendu à Paris

À ce jour, 17 pays européens ont ratifié le CETA. La France, elle, tarde à trancher. L’Assemblée nationale avait approuvé le texte en 2019, mais le Sénat, dans une séance houleuse et ponctuée par des rappels au règlement, a rejeté l’article 1 avec une forte majorité lors de sa première lecture en mars 2024. Ce désaccord immédiat ouvre la voie à une procédure de conciliation accélérée, qui serait possible par une déclaration d’urgence du gouvernement.

Un levier géopolitique européen… suspendu à Paris
Un levier géopolitique européen… suspendu à Paris

Conformément à l’article 45 de la Constitution, une commission mixte paritaire (CMP), composée de 7 députés et 7 sénateurs, serait donc chargée de trouver un compromis sur un texte commun. Si la CMP échoue, le projet de loi revient devant l’Assemblée nationale et le Sénat pour une nouvelle lecture. En cas de blocage persistant, le gouvernement peut alors donner le dernier mot à l’Assemblée nationale, qui peut adopter seule le texte, même contre l’avis du Sénat.

« La ratification de CETA par la France : un signal stratégique adressé au reste du monde ? »

Dans ce contexte, le choix français dépasse largement le cadre institutionnel. La ratification du CETA par la France, moteur historique de l’intégration européenne, serait un signal stratégique adressé au reste du monde. Un refus ou une inertie, à l’inverse, affaiblirait la voix européenne dans une époque où chaque geste politique compte sur l’échiquier mondial.

Chypre, l’épée de Damoclès de Bruxelles

Un autre élément renforce l’urgence d’un engagement français : la situation chypriote. Le parlement de Chypre a rejeté le CETA en 2020, mais le gouvernement n’a jamais notifié ce refus à la Commission européenne. En droit, l’accord continue donc de s’appliquer dans le pays. Pourtant, cette position est réversible.

Si Nicosie formalise son opposition, l’intégralité du traité, y compris ses parties actuellement appliquées, tomberait.

Des résultats économiques tangibles, un potentiel stratégique

Sur le plan des échanges commerciaux, le CETA a déjà apporté des chiffres tangibles à l’économie. Entre 2017 et 2023, les transactions de biens entre l’UE et le Canada ont augmenté de 51 %, les exportations françaises de 34 %, soit 2,1 milliards d’euros supplémentaires. Près de 2 500 PME européennes ont découvert le marché canadien, souvent avec succès. Le secteur industriel a vu la quasi-totalité des droits de douane supprimés ; les marchés publics s’ouvrent, les normes se rapprochent.

Certes, certaines filières agricoles demeurent sensibles. Mais le CETA a justement prévu des quotas, des clauses de sauvegarde et des calendriers progressifs. Notamment pour les viandes bovines et les produits laitiers. En réponse, la Commission européenne a intégré un instrument interprétatif renforçant la transparence, la durabilité et la protection du droit du travail.

Critiques : légitimes, mais surmontables

Les opposants au CETA soulèvent des préoccupations valables : souveraineté alimentaire, normes sanitaires, recours à des tribunaux d’arbitrage. Ces enjeux méritent débat. Mais ils doivent être replacés dans un contexte mondial. Rejeter un accord avec le Canada pour ces motifs, c’est risquer de s’isoler dans une mondialisation dominée par des puissances moins soucieuses de réciprocité selon les partisans de la ratification.

« Les petites exploitations agricoles pourraient ne pas bénéficier autant que les grandes du CETA »

De son côté, la Cour de justice de l’UE a validé le mécanisme de règlement des différends en 2019, après plusieurs ajustements de la Commission. Et les effets environnementaux du traité, s’ils existent, peuvent être compensés par des politiques publiques volontaristes – justement facilitées par les recettes supplémentaires liées à l’ouverture de nouveaux marchés. Ces inquiétudes ne sont toutefois pas anecdotiques. 

Elles traduisent une crainte plus profonde : celle d’une « concurrence déloyale » au détriment de l’agriculture paysanne. Pour Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste du cabinet BDO France, la France peut tirer profit du CETA en tant que première puissance agricole européenne, « mais les petites exploitations n’en bénéficient pas autant que les grandes », explique-t-elle.

Le CETA comme boussole de l’Europe de demain

Le processus de ratification est encore ouvert. Après le rejet du Sénat, c’est le gouvernement qui décidera s’il souhaite clore le débat ou relancer une délibération. Il lui appartient de trancher : attendre davantage, ou agir.  Alors que l’UE s’interroge sur ses futurs partenariats avec l’Amérique latine, l’Afrique ou l’Asie, le CETA offrirait, dans le contexte décrit un précédent. Il montrerait qu’un accord de libre-échange équilibré, assorti de garde-fous environnementaux et sociaux, est donc possible. Et ce signal pourrait alors venir de France.

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