Comment parler avec le diable ?

Comment parler avec le diable ?

Il est partout. Dedans, dehors. Pas besoin de croisade contre le diable, plutôt des grigris, des rites et des fétiches, prières, discours et rencontres. Une façon de parler qui s’apprend. 

Poutine dénonce le satanisme à l’œuvre en Occident. Les États-Unis étaient déjà le Grand Satan des Ayatollahs. A maudire ensemble l’Adversaire, Russes et Iraniens partagent cette propension à tirer sur les femmes et les enfants d’abord. 

Viser les femmes et les enfants 

Les drones iraniens, tristes démons ailés, lancent leur feu sur les parcs et les écoles en Ukraine. Les Gardiens de la Révolution et la police religieuse tuent des femmes et des enfants : près d’un tiers des 180 morts assassinés dans les manifestations en Iran seraient des mineurs. 

Les Ayatollahs disent que ces femmes sont inspirées par les Etats-Unis. Le ministre iranien, Nasser Katani, dénonce aussi la France : « Les droits de l’Homme, dans le dictionnaire de nombreux gouvernements occidentaux prétentieux, ne sont rien de plus qu’un jouet et un outil pour atteindre des objectifs politiques et s’immiscer dans les affaires d’autres pays ». 

Comme il a raison ! La preuve : les cinq pays qui ont refusé de condamner l’annexion des territoires en Ukraine -outre la Russie, la Biélorussie, l’Erythrée, la Syrie, la Corée du Nord- dénoncent avec constance l’hypocrise droit de l’hommiste, tout comme, d’ailleurs, certains des 35 autres pays qui se sont abstenus, à l’image de la Chine. Le génie de Xi Jinping rappelle avec persévérance que les droits de l’Homme ne sont pas universels, le « rêve chinois », -police et prospérité-, lui, est universel, pas les droits de l’Homme.

Les deux pays les plus peuplés de la planète ont leurs prudences : l’Inde aussi s’est abstenue. Dans un pays polythéiste le diable est partout : chez les Américains, les musulmans de l’intérieur, les Chinois athées. Les Russes aussi sentent le souffre, mais le pétrole n’a pas d’odeur. Le « partenariat stratégique » de la France avec l’Inde se limitera donc au purgatoire. On sait jusqu’où on peut compter sur l’Inde. Mais qui en doutait ?

La clim, ça existe, en enfer, en Arabie comme au Qatar

Sous le feu russe, l’alliance américano-saoudienne fond comme neige au soleil d’Arabie. Joe Biden avait fait son mea culpa: l’Etat paria ne l’était plus, MBS devait être bon Prince. Parler avec le diable encore et toujours. Mais ce n’est pas à quelqu’un qui organisera en 2029 les Jeux d’hiver d’Asie dans le désert, d’où l’on chasse les derniers bédouins héritiers des compagnons de Lawrence d’Arabie, dans une ville qui n’existe pas encore, que l’on va chauffer le chaud et le froid. La clim, ça existe, en enfer, en Arabie comme au Qatar. 

Le président américain Joe Biden et le prince héritier Mohammad ben Salmane, à Djeddah, en Arabie Saoudite, le 15 juillet 2022 ©UPI/Newscom/SIPA/AFP

On y jouera la coupe du Monde bientôt, malgré ces hypocrites qui ne veulent pas voir les matchs en public mais seulement de chez eux. Ah les pantoufles ! Les voilà les consciences : ils ne voient même pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions. Le droit du travail a fait des progrès immenses au Qatar, le droit des femmes aussi, les homos ont même le droit d’être discrets et l’alcool coulera à flot dans les hôtels. Tout le monde, sur la planète, ne peut pas présenter des avancées aussi rapides.  

Peut-on jouer au foot chez le diable ? Le sport a cette fausse pudeur apolitique qui permet d’envoyer des messages. « Enc…, l’arbitre » ? Combien de coups de fouet pour une insulte homophobe ? 

Erdogan est un derviche tourneur. Lucifer Lula combat Mephisto Bolsonaro

Dialoguer ! Emmanuel Macron dans son intervention télévisée en a montré l’utilité : les céréales, la centrale nucléaire, le fil d’Ariane de la paix, qu’il ne faut jamais lâcher. Dans ce domaine Erdogan est un derviche tourneur. Un coup à Prague pour la grand-messe de la nouvelle Communauté Politique Européenne, un coup à Astana avec la Russie. Le vrai diable, pour Erdogan, c’est la secte Gülen, accusée d’un coup d’Etat qui lui a permis d’envoyer des milliers de mauvais djins en prison. A force de contorsion, plus personne ne le croit. L’économie turque se désagrège, son palais est de sable. Le diable est dans la boîte. 

Dans la boîte des démocraties aussi. Au Brésil, Lucifer Lula combat Mephisto Bolsonaro, soutenu par les Evangélistes. Des possédés. Les deux sont contre l’avortement. Un programme commun contre les femmes ? Sont-ils vraiment l’un fasciste, l’autre communiste ? 51 millions de voix pour l’un, 57 millions pour l’autre, double record. La démocratie brésilienne, aussi imparfaite soit-elle, serait-elle remise en cause par le vainqueur ? Pas plus qu’en Italie, où l’accession au pouvoir d’une admiratrice de Mussolini ne signifie pas une nouvelle marche sur Rome. « Dieu, famille, patrie », prie-t-elle, songeant à feu son père qu’elle a refusé de revoir après une condamnation pour drogue. Sans pardon. Son allié Berlusconi et son amie dentiste Nicole qui faisait des strip-tease déguisée en religieuse lors de soirées bunga bunga en frissonne. En Suède, le nouveau gouvernement s’appuie sur l’extrême droite. En Pologne elle est installée, comme en Hongrie, tenants de démocraties illibérales

Que ce soit en politique interne, en Europe, en politique internationale, la seule alternative au dialogue avec l’ennemi, ce serait la violence. Le pape François l’a dit : « même si ça sent mauvais, il faut dialoguer ». Exorcisme. Shimon Peres : « Avec qui vais-je faire la paix si ce n’est avec mon ennemi ? » Kouchner, à propos de discussions étranges avec les Farc : « Si on veut arriver à quelque chose, il faut être capable de discuter même avec le diable. »

Quand on dialogue, continuer à taper. Plus on parle, plus on tape.  

Comment parler avec le diable ? Avec un gros bâton bien sûr, très gros. Mais ce n’est pas suffisant car le diable pensera que tant qu’il y a dialogue, il n’y aura pas de coups de bâton. Lui montrer son erreur : quand on dialogue, continuer à taper. Plus on parle, plus on tape. Le dialogue n’est pas une trêve. Parler, taper, selon le petit manuel de torture, ou de l’inquisiteur.

Ne pas hésiter à apparaître comme le diable de l’autre. C’est bien ainsi que Poutine, Maduro, Ortega, Xi Jinping, la junte birmane, Kim Jung Un, la junte ayatollesque, et tant d’autres, voient l’Occident. Chacun voit son « empire du mal ». 

Ils n’ont pas tort. : ne jamais cesser d’ « agiter le drapeau rouge contre le drapeau rouge ». Ils ne veulent pas que l’on parle du Tibet, du Xinjiang, des droits de la femme, des LGBT, de la démocratie ? Continuer ! Qu’ils se grattent jusqu’au sang tellement cela leur donne de l’urticaire.

Tout est une arme : énergie, images, discours, la guerre ouvre de multiples metavers.

Il y a bien une école qui prétend qu’en politique on devrait s’en remettre seulement aux rapports de force et aux intérêts. C’est ignorer toutes les leçons de la « guerre hybride » :  toute guerre est émotionnelle, idéologique, intellectuelle. Tout est une arme : énergie, images, discours, la guerre ouvre de multiples metavers. 

« On ne remporte pas les guerres en envoyant seulement des tanks, des missiles ou des troupes. C’est un grand combat : qui va gagner les esprits et les âmes des gens ? », lance Josep Borell, le Haut Représentant de l’UE aux ambassadeurs.  

Que proclame Winnie l’Ourson, alias Xi Jinping, dans son discours de sacre au congrès du Parti communiste chinois ? Que la Chine restaurée devient le modèle d’un autre monde, celui de la paix, de la prospérité, de l’équilibre autour de l’Empire du milieu, une alternative au désordre mondial américain, autre face du diable. « L’Orient est rouge, le soleil se lève », chantait-il enfant à la gloire de ce Mao qu’il éclipse.

Mieux vaut être le diable qui fait crédit que l’inverse. Cela vaut pour la France aussi.

La Chine n’a pas voulu, au G20, entrer dans la discussion pour alléger le poids de la dette des pays les plus pauvres. Elle n’a pas voulu discuter avec les pays africains, le FMI et le Club de Paris. Zambie, Tchad, Ethiopie, Sri Lanka plongent. Les pays les plus pauvres doivent payer 35 milliards $ l’an prochain, plus de 40% à la seule Chine. Faire crédit au diable, vendre son âme. Mieux vaut être le diable qui fait crédit que l’inverse. Cela vaut pour la France aussi.

Borell toujours : « Nous devons expliquer le lien entre la liberté politique et une meilleure vie. Notre combat est d’expliquer que la démocratie, la liberté, la liberté politique, n’est pas quelque chose que l’on peut échanger contre une économie prospère ou une cohésion sociale. Ces choses vont toutes ensemble. Le risque, sinon, est que notre modèle périsse et ne soit pas capable de survivre dans ce monde. ».

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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