Rendu public en 2024, le rapport de Mario Draghi sur la compétitivité de l’Union européenne souligne que la moitié de la hausse de l’investissement nécessaire en zone euro, évaluée à 4,5 % du PIB, sera à la charge du secteur public. Les États devront réaliser d’importants investissements dans la transition énergétique, dans le numérique, ainsi que dans le financement d’innovations de rupture. Par ailleurs, l’effort de défense devrait être accru de 1,6 point de PIB. Potentiellement, les besoins de financement public dépasseraient 6 points de PIB.
Or, compte tenu du niveau élevé des prélèvements obligatoires, du refus des ménages de supporter de nouvelles hausses d’impôts, et des difficultés à réaliser des économies budgétaires — d’autant plus que les dépenses sociales augmentent naturellement avec le vieillissement démographique — le recours à l’emprunt semble être la voie naturelle. Ce recours pourrait conduire à une forte hausse des taux d’intérêt à long terme. Les dépenses publiques en zone euro pourraient augmenter de 4 points de PIB dans les prochaines années et atteindre, en moyenne, 54 % du PIB.
Un besoin d’investissements publics
Les dépenses de santé devraient croître de 2 points de PIB, celles liées à la dépendance de 1,5 point. Au mieux, celles liées aux retraites se stabiliseront, à condition toutefois de dégrader le pouvoir d’achat des retraités. Compte tenu des piètres résultats des systèmes éducatifs, les États sont condamnés à accroître leurs efforts en matière de formation. Les marges de manœuvre sont inexistantes non seulement sur le plan des dépenses, mais aussi sur celui des recettes. La pression fiscale est élevée : 41 % du PIB en zone euro, contre 38 % au Royaume-Uni et 26 % aux États-Unis.
Les gouvernements éprouvent les plus grandes difficultés à relever les impôts. Or, l’objectif de ramener la dette publique en-dessous de 60 % du PIB au sein de la zone euro suppose, en moyenne, une réduction des dépenses publiques de 5 points de PIB dans les prochaines années.
La nécessité de réduire les dépenses.
Depuis 2025, la Commission européenne autorise les États à dépasser le critère des 3 % de déficit public en cas d’augmentation des dépenses militaires. Quoi qu’il en soit, le risque de dérapage des déficits publics reste important dans la zone euro. Il pourrait entraîner une nouvelle hausse des taux d’intérêt à long terme. Le taux sur les emprunts d’État à 10 ans est déjà passé de 0 à 3 % entre 2022 et 2024. Des taux plus élevés signifient un service de la dette plus coûteux pour les États.
En 2025, la charge de la dette de l’État français est estimée à 53,5 milliards d’euros, en hausse par rapport aux 49,9 milliards d’euros de 2024. Elle pourrait atteindre environ 75 milliards d’euros en 2027, soit 2,4 % du PIB. Cette progression résulte d’une combinaison entre la hausse des taux d’intérêt et l’augmentation de l’encours de dette. Le poids du service de la dette deviendra équivalent à celui de l’impôt sur le revenu.
Éviter une hausse des taux d’intérêts
Pour éviter une hausse des taux d’intérêt, un recours accru à l’épargne des ménages européens est nécessaire. Actuellement, une part importante de cette épargne est prêtée au reste du monde, notamment aux États-Unis. Chaque année, 2 à 3 points de PIB sont ainsi prêtés à l’étranger. À cette fin, comme le suggère le rapport de Mario Draghi, l’Europe devrait accélérer l’unification de ses marchés de capitaux. L’émission de titres publics européens en lieu et place de ceux émis par les États membres constituerait une solution.
L’Union européenne bénéficie d’une notation triple A, ce qui lui permet d’emprunter à faible coût. La réorientation de l’épargne des Européens vers l’Europe serait facilitée si les investissements financés offraient une rentabilité élevée (investissements dans la transition numérique, dans les innovations de rupture). La politique non coopérative de Donald Trump et les incertitudes entourant l’économie américaine pourraient également encourager cette réallocation de l’épargne vers le Vieux Continent.
La BCE réduit son bilan
L’autre moyen d’éviter une hausse sensible des taux d’intérêt passe par une réouverture du quantitative easing par la Banque centrale européenne (BCE). Celle-ci pourrait, comme entre 2015 et 2024, souscrire des titres publics. Si la BCE achète des dettes publiques et les renouvelle à l’échéance, les profits étant reversés aux gouvernements de la zone euro, les intérêts versés ont peu d’incidence sur les finances publiques. Or, actuellement, la banque centrale pratique le quantitative tightening visant à réduire la taille de son bilan. La base monétaire est ainsi passée de plus de 6 000 milliards à 4 500 milliards d’euros entre 2022 et 2025. Cette contraction conduit mécaniquement à une hausse des taux d’intérêt.
Face à l’ampleur des investissements à engager pour préserver sa compétitivité, l’Union européenne se trouve à un carrefour budgétaire, financier et institutionnel. L’arbitrage est inévitable : ou bien elle mobilise de manière coordonnée son épargne et approfondit son intégration financière, ou bien elle s’en remettra à des marchés financiers plus volatils, au risque d’un renchérissement durable du coût de sa dette souveraine.
Ni le statu quo budgétaire ni le repli national ne répondront aux défis du numérique, de la transition énergétique ou de la défense. L’union des marchés de capitaux, l’émission de dettes européennes communes et une politique monétaire réactive sont les trois leviers qui pourraient permettre à l’Europe de rester maîtresse de son destin économique.
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