Comment faire pour aller plus mal ?

Comment faire pour aller plus mal ?

Jamais l’humanité ne s’est mieux portée. En cinquante ans, La révolution industrielle avait doublé le revenu de 200 millions de personnes, essentiellement en Europe et en Amérique. En dix ans la mondialisation a doublé les revenus de 2 milliards de personnes, essentiellement dans les pays pauvres. Entre 1980 et 2015, la part de la population mondiale vivant dans l’extrême pauvreté, avec moins de 1,90 dollar par jour (inflation comprise) est passée de 44,3% à 9,6%. Soit, 700 millions de personnes vivent encore sous ce seuil, mais ils étaient 2 milliards au début des années 1980. Le PIB mondial a plus que doublé au cours des trente dernières années, la faim a reculé, malgré l’augmentation de la population mondiale. Avec la « révolution verte »,  la surface des terres agricoles a augmenté de 12 %, la quantité de nourriture de 300 %. Le PIB ne mesure pas le bonheur.

Jamais l’humanité ne s’est portée aussi bien.  

Richesse, santé, éducation, violence, libertés, droits des femmes, des minorités, jamais l’humanité ne s’est portée aussi bien. En 1950, la moitié des pays étaient dotés de lois discriminatoires vis-à-vis de minorités ethniques. En 2003, un sur cinq ; c’est trop, c’est odieux, mais la tendance est claire. Idem pour le droit des femmes. Contester ces tendances lourdes est une anomalie absurde.

Quels que soient les indicateurs, le PIB, l’indice de bonheur brut, les homicides par habitant, l’alphabétisation, la qualité de l’air, de l’eau, jamais l’esprit humain n’a atteint un tel degré de maîtrise de la vie, un tel savoir, un tel accès au savoir. À la révolution industrielle s’est ajoutée la révolution quantique, qui a permis les lasers, les transistors, les ordinateurs, qui est devenue, socialement, la révolution digitale.

Et voilà une nouvelle révolution, à moins que ce ne soit le ressac des autres : l’intelligence artificielle, encore une révolution du savoir. La rapidité de la diffusion des nouvelles technologies, rend universelle l’accès aux sciences, aux connaissances, à tout type d’informations, vraies et fausses, ce qui provoque désordres et peurs.

Si l’humanité va bien, elle exploite la pauvre planète, qui elle va mal. Pourtant l’accroissement des richesses permet des investissements dans l’énergie, la recherche, des modes de production, de gestion, plus économes, et même une économie de la « dépollution ». L’économie verte s’invente tous les jours. Les sources d’énergie du futur semblent inépuisables, et saines.  

L’intelligence artificielle ouvre des horizons inconnus. En médecine, agriculture, énergie, éducation, espace, les progrès à venir sont plus prometteurs que les progrès passés. Bref l’avenir pour être complexe, pourrait être extraordinaire. « Le chemin est sinueux, mais l’avenir est radieux ».

Kennedy, dernier héros de l’Amérique heureuse, affirmait : « Nos problèmes sont le fait de l’homme – ils peuvent donc être résolus par l’homme, qui peut faire preuve de grandeur lorsqu’il le décide. Aucun problème lié au destin de l’humanité n’est hors de notre portée.[1] »

L’histoire n’est pas linéaire. Sans cesse est remise en question l’idée même du progrès. Trop de succès agace. L’insatisfaction augmente au fur et à mesure du bien-être. Les uns de fustiger le consumérisme, les autres de jalouser le profiteur, qu’ils soient d’horribles riches ou ces exilés d’entre les pauvres, les immigrés.

Dresser des barrières, des murs. Tel est le début du programme pour aller plus mal.

Le progrès, toujours insuffisant, rend amer et jaloux. Aussi faut-il, face aux révolutions brutales en cours, se protéger. Dresser des barrières, des murs. Tel est le début du programme pour aller plus mal.

Le poisson pourrit par la tête. Que devrait faire l’humanité pour aller plus mal ? Commencer par le pays le plus puissant du monde pour désaxer le monde, changer l’ami en ennemi, l’adversaire en complice, la guerre en paix, la paix en guerre, le crime en droit.  

Commencer par désigner un ennemi, intérieur ou extérieur. L’éternel ennemi, l’étranger, même sous ses airs de faux ami, est déloyal, malhonnête, criminel. Durcir les politiques migratoires, durcir aussi les politiques douanières, c’est dresser des murs.  

Le protectionnisme est une barrière morale avant d’être économique, une méthode pour isoler les pays. Politique économiquement inefficace, nuisible, elle est parfaite pour réduire la prospérité.

Ce qui favorise les inégalités. Tant mieux : Dans un pays, entre pays, les inégalités augmentent les chances de conflits, les tensions sociales, ce qui nuit à une société de droits, à une société de confiance, et réduit, dans un cycle négatif, la capacité de créer de la richesse, les investissements et les innovations.

Contrairement au vade-mecum anticapitaliste, plus la richesse augmente, plus les inégalités diminuent, plus la pauvreté, relative ou absolue se réduit. C’est l’absence de développement qui renforce les inégalités, inégalités pas seulement pécuniaires : Logement, santé, éducation.

Humilier dissidence, déviance et science. Au nom du peuple. 

Réduire les investissements dans l’éducation, les universités, la recherche rogne tout crédit dans la science, sape toute parole critique. Ce que firent les staliniens en dénonçant la « science bourgeoise », ce que font les doctrinaires religieux. Quand Musk bloque les comptes des opposants d’Erdogan qui appellent à manifester, il ne fait pas que du commerce, il sabote la notion même de liberté d’expression puisqu’il le fait au nom de la liberté d’expression. C’est le travestissement du langage.

Humilier dissidence, déviance et science. Au nom du peuple.  Ainsi les Chinois humilièrent-ils les intellectuels pendant la Révolution culturelle. La méthode chinoise, comme celle des bolcheviques puis des trotskistes, vise à attiser partout les conflits partout où c’est possible. Dresser le voisin contre les voisins, les enfants contre les parents, les croyants contre d’autres croyants. L’art du conflit réduit les chances de l’harmonie et du progrès. Pour combattre le progrès malsain, valoriser le conflit, lui donner ses lettres de noblesse, son droit.

L’illibéralisme est aussi économique et financier. La concurrence est méprisable, les « deals » sont décidés par le pouvoir. La capacité financière de la puissance étatique s’accroît avec la capacité de jouer sur la monnaie. S’attaquer à l’indépendance de la banque centrale détruit confiance et investissement.

Les pays corrompus manipulent leur monnaie au profit de dirigeants et initiés. Argentine hier, Turquie avec Erdogan en sont des exemples récents.  Cela pourrait arriver pour le dollar.

Ne pas oublier de réduire les libertés publiques, commencer par s’attaquer aux juges. Saboter le système juridique national et international. Parce que les progrès sont fondés sur des libertés, des échanges, nationaux et internationaux, de biens et de savoirs. Sans système de droit, le conflit est roi. Le pouvoir s’enivre de l’abus de droit.

Parfois des sociétés, des civilisations, choisissent la fermeture. L’Égypte, le monde musulman, la Chine, l’Inde moghole, la Russie communiste, le Japon shogunal, l’Espagne coloniale, les royaumes africains firent l’éloge des barrières. Une élite dénonce les dangers du « progrès » d’autant plus sincèrement que le progrès la remet en cause. Elle vend la peur et « la grandeur nationale ». Or les révolutions du savoir font peur, mille dangers inconnus appellent dix mille barrières. La « Nation » s’abîme quand elle devient le refuge identitaire des névroses.

Rendre le progrès impossible, confondre progrès et puissance.   

Que faire pour que le monde aille plus mal ? Saboter l’éducation, la science, le droit national, le droit international, le commerce mondial, la monnaie, les échanges scientifiques, la coopération internationale, aider l’ennemi plutôt que l’ennemi, appeler paix la prime à la guerre. Voilà un projet impensable, ou plutôt qui ne peut être pensé que dans un objectif global : rendre le progrès impossible, confondre progrès et puissance.

Savoir comment on fait pour aller plus mal, c’est savoir que faire pour aller mieux.   

Personne ne peut souhaiter cela. À part Trump. Poutine. Et tous les pouvoirs qui veulent se survivre : les Xi Jinping, Khamenei, Kim Il Jung, Erdogan, Tebboune, quelques dizaines d’autres chefs d’état seront les complices de cette grande œuvre, jusqu’à ce qu’ils s’écharpent. Les pays pauvres paieront les premiers, mais leurs tyranneaux, roitelets et autres juntes resteront.

Il y a plus puissant qu’eux : une formidable explosion d’intelligences, d’échanges, d’inventions, de découvertes, d’envies, avec des outils extraordinaires qui balaient toutes les barrières, ouvre des portes sur des univers encore insoupçonnés. Les peuples, les vraies gens, choisissent toujours le progrès et la liberté, dès qu’une faille, un espace, s’ouvre. « Le monde progresse, l’avenir est radieux, personne ne peut changer ce courant général de l’histoire. » Même pas Trump. Encore faut-il assumer le fardeau révolutionnaire de la liberté et du progrès. C’est le rôle de la vieille Europe. N’en est-elle pas à l’origine ? N’a-t-elle pas l’expérience des pouvoirs devenus fous?  Voilà le moment de fonder une légitimité. Savoir comment on fait pour aller plus mal, c’est savoir que faire pour aller mieux.

Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app bancaire pour expatriés France Pay


[1]https://www.institutschiller.org/Discours-de-John-Fitzgerald-Kennedy-sur-la-paix

Auteur/Autrice

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire