Depuis une quinzaine d’années, les pays occidentaux ont eu recours à l’endettement pour juguler les crises qui se sont succédées à un rythme rapide, et pour compenser le déficit de croissance. Les émissions d’emprunts atteignent des records. L’abondance de l’épargne et les politiques monétaires accommodantes ont permis le financement des États à des coûts jusqu’à maintenant réduits. Avec l’augmentation des besoins d’investissement, en lien avec la transition énergétique, les taux d’intérêt pourraient être durablement orientés à la hausse d’autant plus que les banques centrales avec la résurgence de l’inflation sont contraintes de durcir leur politique monétaire.
Aucun État n’a pas pu échapper à un moment ou un autre à une limite en matière d’endettement
La notion de dette publique acceptable ou soutenable est difficile à définir. L’idée que la dette soit inférieure à 60 points de PIB pour éviter son emballement a été longtemps soutenue. Cette barre est devenue inopérante avec la baisse des taux d’intérêt à des niveaux historiquement bas, les États pouvant s’endetter sans limite ou presque. Le retour de l’inflation et les augmentation des taux d’intérêt pourraient changer la donne. Au-delà de la barre des 60 %, le passage des 100 % du PIB de dette était également censée rédhibitoire pour la pérennité de la croissance.
Aujourd’hui, la grande majorité des États occidentaux ont des dettes publiques supérieures à 100 % et la croissance tend à s’éroder. Si la corrélation n’est pas en l’état prouvée, dans l’histoire des finances publiques, aucun État n’a pas pu échapper à un moment ou autre à une limite en matière d’endettement. Les taux d’endettement public sont élevés dans beaucoup de pays de l’OCDE. En 2022, la dette publique représentait 250 % du PIB au Japon, 145 % en Italie, 124 % aux États-Unis, 120 % en Espagne, 113 % en France, 100 % au Royaume-Uni et 68 % en Allemagne.
En dix ans, la dette publique a, en moyenne, progressé de 25 points de PIB au sein de l’OCDE. La transition énergétique devrait accroître les besoins d’investissement de 4 points de PIB afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Celle-ci pourrait réduire dans un premier temps la croissance économique, limitant d’autant l’épargne disponible. Elle est également une source d’inflation tout comme le vieillissement démographique qui réduit le nombre d’actifs.
Les banques centrales seront ainsi amenées à maintenir des taux directeurs plus élevés que dans le passé. Tout concourt à une hausse des taux d’intérêt à long terme. Si ces derniers passent au-dessus de la croissance potentielle, des contraintes de soutenabilité de la dette publique pourraient survenir, contraignant les pouvoirs publics à durcir leur politique budgétaire.
Baisse des dépenses publiques ou augmentation de la pression fiscale
Les déficits publics atteignent des niveaux records depuis le début de l’épidémie. En 2022, ils étaient, en moyenne, de 4 % du PIB en zone euro et de 5,5 % du PIB au Japon. Aux États-Unis, ils sont légèrement plus faibles, 2,5 % du PIB. Pour limiter un emballement des dettes publiques qui pourrait, à un moment donné, saper la confiance dans la monnaie, les États ont la possibilité de jouer sur deux variables : la politique budgétaire ou la politique monétaire.
Une diminution de la dette passe par un excédent budgétaire primaire (solde positif hors paiement des intérêts de la dette). Si les États-Unis dégagent un tel excédent, ce n’est pas le cas pour la zone euro, le Royaume-Uni et le Japon. La réduction des déficits peut passer soit par une baisse des dépenses publiques, soit par une augmentation de la pression fiscale.
Les exemples passés prouvent que la diminution des dépenses est plus efficace que l’augmentation des impôts. Depuis de nombreuses années, les États ont réduit les dépenses régaliennes et d’investissement au profit des dépenses sociales. Or, la diminution de ces dernières pose le problème de leur acceptabilité par les populations qui en bénéficient.
Compte tenu des besoins en matière de défense, de santé ou d’éducation, les marges de manœuvre sont faibles au sein des pays de l’OCDE, en proie à des tensions politiques et sociales croissantes. L’augmentation des impôts a été utilisée après la crise des subprimes, en particulier en Europe et plus spécialement en France. Elle a également contribué à l’exacerbation des populations.
Maintenir les taux d’intérêt le plus bas possible
La tentation populiste se traduit par une pression forte de taxation plus élevée des contribuables les plus riches, la question étant de savoir à partir de quel niveau de richesses et pour quelles conséquences économiques. Les pays de la zone euro, la France en tête, disposent de moins en moins de marges de manœuvre au niveau des prélèvements obligatoires. Il n’est pas néanmoins impossible qu’une augmentation des impôts et taxes ne soit pratiquée dans les prochains mois.
L’autre voie possible pour garantir la soutenabilité des dettes publiques est de maintenir des taux d’intérêt le plus bas possible. Cette solution a été pratiquée après la Seconde Guerre mondiale. En dix ans, de 1945 à 1955, la dette publique américaine avait été ramenée de 135 à 80 % du PIB. Les banques centrales pourraient accepter durablement une inflation plus importante qui érode la valeur du capital et permet des taux d’intérêt réel négatifs. Toujours aux États-Unis, entre 45 et 49, le taux d’inflation a été supérieur à 8 %. En France, de 1945 à 1948, il a dépassé, chaque année les 45 %.
Cette voie revient à taxer les épargnants. Elle contribue à la hausse des actifs (actions et immobiliers). Elle amène les États à intervenir en permanence pour compenser les effets de l’inflation sur les plus modestes. Elle alimente donc sans fin les déficits et la dette qu’elle est censée contenir. Dans les prochaines années, les gouvernements devront choisir entre deux maux : la réduction des déficits ou l’inflation afin d’endiguer la dette publique. L’évolution parallèle des États occidentaux limite les risques d’arbitrage entre les pays en fonction de leur degré d’exposition à la dette publique. En revanche, les États n’ayant pas une masse critique suffisante comme le Royaume-Uni pourraient être fragilisés.
Aujourd’hui, la dette des États est considérée comme un placement sûr, qu’en sera-t-il demain si la croissance persiste à se dérober et que la fragmentation des populations s’accroît ?
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