Découverte cette semaine du film de Ye ye
La réalisatrice, dont c’est le premier long-métrage, suit cinq patients et leurs familles, rencontrés à l’occasion d’un tournage précédent pour une série documentaire chinoise.
La caméra les accompagne dans les salles de soin, aux guichets, dans les couloirs et on passe d’un personnage à l’autre de façon naturelle, grâce aux interactions provoquées par l’hôpital, les soins du personnel, le séquençage et le montage. Une caméra discrète, qui filme les rires et les larmes sans jamais être impudique.
Chaque groupe familial est représentatif d’une catégorie socio-professionnelle (les paysans, le bourgeois, le petit commerçant, le retraité), comme une Chine filmée en coupe, mais l’empathie et la complicité en sus.
Dans la famille des champs, une paysanne au regard triste dont le mari a fait une chute qui l’a laissé paralysé. Ils exploitent trois hectares et produisent des légumes sur de vertes collines. Ils ont trois enfants, dont deux petits restés à la maison. Au chevet du père, à l’hôpital, la mère et le fils aîné et les trois frères du mari se relaient. Leur souci : trouver 100 000 yuans pour payer une opération au résultat très aléatoire… Faut-il s’endetter alors que l’on vit déjà modestement, hypothéquer la maison ? Un casse-tête aussi pour les jeunes médecins qui ne savent que leur conseiller.
D’argent, il est sans arrêt question et les billets circulent dans tous les sens ; les passages au guichet sont fréquents, les querelles aussi. L’aide-soignante privée payée par les familles suit les cours de la Bourse sur son téléphone portable, la famille dont la petite fille a été renversée par un bus et a eu la main écrasée -de modestes marchands de fruits et légumes-, s’inquiète de savoir si la compagnie de bus aidera à payer les frais d’hospitalisation. Un vieil homme, au chevet de son épouse, modèle d’amour, de dignité et de résignation, doit se résoudre à vendre son appartement (il a 79 ans) parce qu’il ne peut plus payer les frais d’hospitalisation et que son fils unique, qui vit au Japon, rechigne à l’aider. Mais les difficultés à assumer ces frais ne suscitent pas vraiment de colère, sinon une sorte de résignation.
« Il faut avoir une énergie positive !», clame-t-il à qui veut l’entendre, un éternel sourire aux lèvres. La vie est trop belle pour qu’on s’en fasse et comme on n’a pas de prise sur ce qui nous arrive autant prendre les choses du bon côté… C’est le mantra que ce père de famille qui chante jour et nuit pour sa fille adolescente hospitalisée répète à qui veut l’entendre. Lui aussi a vendu des biens pour payer l’hôpital et il fait l’animation dans les couloirs où les proches des malades attendent l’heure de la visite ; avec un clin d’oeil complice à la caméra, il invite une femme à chanter avec lui.
Car l’hôpital est avant tout un lieu de vie.
Les familles qui viennent de loin vivent à demeure à l’hôpital, dorment dans les couloirs, sur des cartons pour les moins chanceux ou fortunés, sur un transat pour d’autres. Profusion de couleurs, fluo des duvets et couvertures sur les corps assoupis. On y discute de la voracité des moustiques ou de la nourriture de l’hôpital qui donne des aphtes… on sympathise, on patiente patiemment… attendant la demi-heure de visite autorisée par jour.
Entre les différentes séquences consacrées aux familles, des pauses musicales (coup de chapeau aux Pascals, le groupe musical crédité au générique) illustrent les entrailles de l’hôpital, une fourmilière, et comment tradition et modernité se mêlent : les brancards qui entrent et sortent, la préparation des repas, des médicaments, des poches de sérum, seringues, bacs de plastique de couleur, blouses bleues des opérateurs… Choc des couleurs, rapidité des cadences, et la musique qui enfle façon Fantasia. Une autre séquence met en musique la pharmacopée traditionnelle : graines, champignons hachés, plantes séchées, petits sachets de papier, balances et étuves… et un médecin, magnifique zébulon qui raccommode les corps cassés…
Le dernier personnage est aussi un paysan… Comme une virgule dans le récit, il apparaît de façon récurrente, un homme en marche. Vêtu de multiples couches de vêtements comme s’il portait sa garde-robe sur son dos, chargé de sacs et d’un siège pliable en bois, il avance avec peine sur des chaussons en feutre, s’aidant d’une béquille à l’ancienne qui rappelle celles des images d’anciens combattants éclopés des grandes guerres. On le devine en route vers l’hôpital, symbole d’opiniâtreté. Il croise en chemin un petit chien, vêtu d’une doudoune rose. Un chien des villes, symbole de cette Chine nouvelle, urbaine et consumériste.