À quelques jours du vote de confiance du 8 septembre, François Bayrou tente de convaincre les députés d’avaler la pilule : 44 milliards d’euros d’économies dans le budget 2026. Une trajectoire jugée indispensable alors que la charge de la dette, déjà 66 milliards d’euros en 2025, devrait dépasser les 100 milliards en 2029, selon la Cour des comptes. « La dette de la France augmente de 5 000 euros chaque seconde », rappelait notamment le Premier ministre cet été, évoquant un État devenu le champion mondial de la dépense publique. C’est ainsi que, de fil en aiguille, l’épargne des Français se retrouve en ligne de mire
De Rome à Chypre : quand l’État vide les comptes
Les Français de l’étranger ont la mémoire longue. En 1992, alors président du Conseil des ministres en Italie, Giuliano Amato avait prélevé 0,6 % sur tous les comptes bancaires italiens pour combler un déficit insoutenable. Le traumatisme populaire fut si grand qu’en 2011, lors de la crise économique, la fuite des capitaux italiens vers l’étranger fut sans précédent. En 2013, Chypre avait envisagé une taxe de 6,75 % à 9,9 % sur les dépôts bancaires avant de reculer face à la fronde populaire. Ces précédents nourrissent une inquiétude : et si la France, sous pression des marchés, choisissait à son tour la voie de la ponction ?
Une manne tentante : l’épargne des Français
L’épargne des Français n’a jamais été aussi abondante. Selon l’Insee et la Banque de France, le bas de laine national dépasse désormais 6 300 milliards d’euros, toutes formes confondues : livrets, assurance-vie, placements financiers ou encore immobiliers. Avec un taux d’épargne qui s’établit à 17,4 % du revenu disponible brut, la France figure parmi les champions européens de la prudence, juste derrière l’Allemagne.
Il est plus facile de taxer « l’argent qui dort » que de tailler dans la dépense publique
En moyenne, chaque ménage met de côté environ 240 euros par mois, même si ce chiffre recule légèrement par rapport aux années précédentes. Mais derrière ces moyennes flatteuses se cachent d’importantes disparités : le patrimoine médian des ménages plafonne à 124 000 euros, bien loin du patrimoine moyen estimé à 278 000 euros. Autrement dit, la moitié des Français dispose en réalité de beaucoup moins que ce que les statistiques globales laissent croire.
Pour l’État, cette montagne d’épargne représente un réservoir fiscal immédiatement mobilisable. Bien plus simple à ponctionner qu’une réforme structurelle de la dépense publique, elle constitue une cible de choix en période de tension budgétaire.
Mais toucher à cette épargne, c’est aussi prendre le risque d’une rupture de confiance majeure : fuite des capitaux, défiance envers les institutions et sentiment de trahison chez les épargnants. Rien d’étonnant, malgré les risques, à ce que certains imaginent la tentation : il est plus facile de taxer “l’argent qui dort” que de tailler dans la dépense publique.
Dépenses ou ponction : le dilemme français
Le cœur du débat budgétaire est là. Deux chemins s’opposent :
- Réduire les dépenses publiques. Cela implique de s’attaquer aux structures de l’État, à la complexité des régimes sociaux, à la multiplicité des aides et subventions. Des réformes impopulaires mais structurelles, qui demandent du courage politique et produisent leurs effets sur le moyen terme. Le défi est d’autant plus important que la France est le pays qui détient le plus de fonctionnaires et d’agents publics; ce seraient attaquer un électorat important sans assurance de succès tant le climat social serait enflammé.
- Ponctionner l’épargne. Rapide, techniquement simple, cette solution donne des résultats immédiats en trésorerie. Mais elle détruit la confiance, déclenche des fuites de capitaux et alimente le ressentiment citoyen. L’Italie en 1992 en garde encore les stigmates : à chaque crise, les épargnants craignent le retour du « coup de tonnerre Amato ».
L’un est politiquement explosif, l’autre économiquement suicidaire. Mais le gouvernement pourrait être tenté de choisir la voie de la facilité, surtout si les marchés accentuent la pression sur les taux.
Le prix de la confiance
Un prélèvement sur l’épargne aurait un effet psychologique ravageur. Les ménages, déjà éprouvés par l’inflation, verraient leur patrimoine amputé du jour au lendemain. Les Français de l’étranger, souvent détenteurs de comptes en France, seraient doublement touchés : par la ponction directe et par le doute durable sur la sécurité de leurs avoirs.
Déjà menacés par une possible double-imposition sur les droits de succession, les Français de l’étranger verraient cette ponction ajouter une pierre de plus à l’édifice de l’imposition du patrimoine au détriment de la performance économique.
L’ombre d’un vote sanction des Français de l’étranger
Le débat sur le budget 2026 n’est pas qu’une affaire de chiffres et de ratios. Pour les Français de l’étranger, il se traduit par une inquiétude très concrète : celle de voir leur épargne, souvent placée en France pour préparer un retour, financer les études des enfants ou soutenir leur famille restée au pays, devenir la variable d’ajustement des finances publiques.
Les Français de l’étranger pourraient transformer leur colère en vote sanction lors des prochaines échéances
Une telle mesure ne toucherait donc pas uniquement les « rentiers » ou les fameux baby-boomers, mais aussi des milliers d’expatriés qui, malgré leur éloignement, continuent de contribuer à l’économie nationale par leurs dépôts et leurs investissements. Un prélèvement brutal sur leurs comptes bancaires serait vécu comme une double peine : loin de la métropole, mais pas à l’abri d’un coup de rabot fiscal.
Les conséquences politiques pourraient être considérables. Déjà souvent critiques à l’égard de la gestion de la dépense publique, les Français de l’étranger pourraient transformer leur colère en vote sanction lors des prochaines échéances. Ils l’ont montré à plusieurs reprises : leur bulletin de vote est sensible aux questions de patrimoine, de fiscalité et de confiance dans l’État.
À l’heure où le gouvernement cherche à convaincre du bien-fondé de ses 44 milliards d’économies, il devrait garder à l’esprit que l’épargne n’est pas qu’une ligne comptable : c’est un lien de confiance entre les citoyens, où qu’ils vivent, et leurs institutions. Briser ce lien, c’est prendre le risque de perdre non seulement des capitaux, mais aussi des électeurs.
Auteur/Autrice
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Gilles Roux est un juriste, entrepreneur et auteur français qui vit dans la région de Mannheim en Allemagne depuis plus de 35 ans.
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