La librairie Filigranes, première librairie indépendante de Belgique et haut lieu de la vie culturelle bruxelloise, a annulé au dernier moment, ce lundi 29 septembre, la rencontre avec le philosophe et écrivain Raphaël Enthoven. L’auteur devait y présenter L’Albatros (Ed l’Observatoire), un récit intime consacré à sa mère et à ses derniers jours.
Raphaël Enthoven menacé
Depuis plusieurs semaines, Raphaël Enthoven est la cible de mouvements pro-palestiniens et antifa qui l’accusent de propos jugés hostiles aux journalistes de Gaza. Le philosophe avait affirmé, avant de revenir sur ses propos, « qu’il n’y a aucun journaliste à Gaza », estimant que les reporters y étaient sous l’influence du Hamas.
« Que l’on veuille réduire au silence Raphaël Enthoven m’indigne profondément »
Pierre-Yves Le Borgn, ancien député des Français de l’étranger
Ces déclarations lui ont d’ailleurs valu des campagnes de pressions, notamment autour du Salon du livre de Besançon, où sa venue n’avait finalement pu se tenir qu’sous protection policière.
La librairie Filigranes cède à la pression
À Bruxelles, l’annulation a été annoncée officiellement par communiqué de presse. Paradoxalement, la librairie Filigranes a invoqué la « liberté d’expression » pour justifier sa décision, estimant que les conditions de sécurité ne permettaient pas la tenue sereine de l’événement. Une décision surprenante dans un lieu ouvert habituellement aux débats et qui accueillent généralement de nombreux auteurs.
Quelques militants antifa s’étaient en effet rassemblés devant l’entrée de la librairie, ce qui aurait contribué à la décision d’annulation par la nouvelle direction de la rencontre avec le philosophe français. Mehmet Sandurac qui a repris l’établissement cette année, se veut proche du personnel et à son écoute. Les libraires ont-ils craint un déferlement de violence ou ont-ils cèdé trop rapidement aux sirènes de l’anti-sionisme ?
Le nouveau propriétaire se veut en rupture par rapport à la gestion de Marc Filipson qui a présidé aux destinées de la librairie pendant des décennies. Cette figure emblématique de la vie culturelle belge avait alors jeté l’éponge à l’automne 2024 sous la pression d’accusations de harcèlement et de comptes dans le rouge.
Une décision qui divise : comment résister aux pressions politiques ou militantes ?
Pour une partie des lecteurs francophones de Bruxelles, dont de nombreux Français expatriés, cette annulation est jugée choquante. Ainsi, Pierre-Yves Le Borgn, ancien député des Français de l’étranger et résident à Bruxelles : « « Si une librairie se prétend être un sanctuaire de la liberté d’expression, elle n’annule pas la conférence d’un auteur. C’est très décevant de la part de Filigranes. Que l’on veuille réduire au silence Raphaël Enthoven m’indigne profondément. »
« Museler un auteur c’est un premier pas vers l’autodafé »
Sandrine Mehrez-Kulurudz, créatrice de la Rencontre des Auteurs Francophones
De son côté Sandrine Mehrez-Kulurudz, créatrice de la Rencontre des Auteurs Francophones nous confie « Il n’y a pas de société sans respect. Sans débat. Ma vie est un débat. C’est ce qui fait avancer nos sociétés, les citoyens et qui permet à chacun de mieux comprendre l’autre. Museler un auteur c’est un premier pas vers l’autodafé. On ne peut pas d’un côté défendre l’écriture de Céline au nom de l’art et interdire Enthoven au nom de ses positions. Avez-vous lu Céline ? »
D’autres rappellent que Filigranes, a toujours cultivé une image de lieu de débat et de liberté intellectuelle. La volte-face de la librairie interroge donc sur la capacité des institutions culturelles à résister aux pressions politiques ou militantes.
Entre littérature et politique
Ironie de la situation : L’Albatros, le livre que Raphaël Enthoven venait présenter, n’a rien de polémique. L’ouvrage n’est ni un essai politique ni une tribune idéologique, mais un portrait familial empreint de mélancolie. L’annulation relance néanmoins le débat sur les limites de la liberté d’expression et la capacité du monde culturel bruxellois à préserver ses espaces de dialogue.
Auteur/Autrice
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Boris Faure est l'ex 1er Secrétaire de la fédération des expatriés du Parti socialiste, mais c'est surtout un expert de la culture française à l'étranger. Il travaille depuis 20 ans dans le réseau des Instituts Français, et a été secrétaire général de celui de l'île Maurice, avant de travailler auprès des Instituts de Pologne et d'Ukraine. Il a été la plume d'une ministre de la Francophonie. Aujourd'hui, il collabore avec Sud Radio et Lesfrancais.press, tout en étant auteur et représentant syndical dans le réseau des Lycées français à l'étranger.
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