Bruits de bottes, guerres sans bruit.

Bruits de bottes, guerres sans bruit.

Quand il n’y a plus de gendarme, les voyous s’activent. Le gendarme américain ayant fait savoir, depuis Obama, qu’il se mêlerait de moins en moins des conflits du monde, les malins qui croient que le rapport de forces est l’alpha et l’oméga de la politique agitent missiles, kalachnikovs et pirates du cyber.

L’uranium étant suffisamment enrichi, les Iraniens reviennent à la table des négociations, quand il n’y a plus grand-chose à négocier. Les Européens, attachés à un accord non appliqué devenu inapplicable, essaient de sauver quelque chose, on ne sait exactement quoi, si ce n’est cet état ô combien fragile : la paix. 

Ah, la paix, est-ce la paix ? Il n’y a pas de semaine sans que les Israéliens ne détruisent des bases iraniennes, et que les Iraniens ne les réinstallent en Syrie, Irak, Iran, Liban. L’armée israélienne attend de lancer l’attaque ultime contre les sites nucléaires ; elle n’est freinée que par les Américains, qui sont leurs pourvoyeurs en pièces de rechange.

Une guerre ouverte en Iran est elle possible ? Au Maroc ? En Ukraine ?

Le conflit au Moyen Orient n’est pas qu’au Moyen-Orient : Le Maroc a signé des accords militaires avec Israël. Réponse à l’Algérie, qui, avec la première armée du continent africain, a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc, interdit le survol de son territoire aux avions français de l’opération Barkhane, resserré encore ses liens avec les Russes. Une guerre ouverte est-elle possible ? Désigner un ennemi pour renforcer l’union nationale autour de soi est une tentation banale. Mais, avec une trentaine de généraux en prison, l’armée algérienne est divisée. Un conflit ouvert pourrait se retourner contre le régime actuel. Pourtant, l’impasse dans laquelle s’emprisonne le pouvoir peut mener à une tentative de sortie désespérée. 

Russes et Turcs sont déjà en Lybie et en Syrie. Ils s’intéressent à l’Afrique. En Ethiopie, un pays de 30 millions d’habitants en 1970, 115 millions aujourd’hui, la guerre interne menace 400.000 personnes de famine. Aucun des conflits d’Afrique, continent qui connait le plus de guerres, plus d’une dizaine, n’est déstabilisatrice pour le monde, raison pour laquelle les guerres durent et perdurent.

Troupes de l’armée libyenne entrainées par les Russes et les Turcs . (Photo by Mahmud TURKIA / AFP)

Le scénario cauchemar de la confrontation militaire” est de retour en Europe, selon Lavrov

Ce n’est pas le cas des conflits qui bordent l’Europe. Les troupes russes campent aux frontières de l’Ukraine. Comme les Russes ont déjà envahi la Crimée et soutiennent les séparatistes du Donbass, où l’on compte déjà 13.000 morts, le risque d’une opération militaire est jugé crédible, d’autant que les Américains ont parfois lâché leurs alliés, que les Ukrainiens ne sont pas dans l’Otan, que les Européens sont prêts à tout sauf à un conflit. Selon Lavrov, le ministre russe, « le scénario cauchemar de la confrontation militaire est de retour en Europe ». Le Washington Post annonce l’invasion de l’Ukraine en janvier avec 175.000 hommes. 

Ce qui retient Poutine, ce sont les Ukrainiens. Ils ont reçu plusieurs milliards d’aide américaine pour s’armer. La Russie ne va pas si bien pour oser, ni si mal pour tenter.

Et ce qui retient les Américains en Ukraine comme en Iran, c’est encore et toujours la Chine. Vieille histoire : Un conflit ici donnerait l’occasion, là bas, d’étendre le joug. Biden, Poutine et Xi Jinping ont ces dossiers sur leur bureau : Un dérapage en Algérie, une explosion en Ukraine, ne serait-ce pas une occasion pour la Chine à Taïwan ? 

Qu’est ce qui retient la Chine ? Le temps long. Elle considère que, comme Hong-Kong, Taïwan tombera « le moment venu », sans avoir besoin de combattre. Le rapport de forces financier, économique, technologique, jouera pour elle, pense-t-elle. Dés que les Américains seront moins dépendants pour les  semi-conducteurs (90% des puces les plus avancées sont fabriquées à Taïwan), ils s’y intéresseront moins.

La guerre « hors limite » a commencé 

Une autre guerre a commencé, la guerre sans bruit. En 1999 déjà, deux officiers chinois théorisaient la guerre nouvelle. La guerre n’est plus « l’usage de la force pour obliger un ennemi à se plier à sa volonté » mais « l’utilisation de tous les moyens, militaires ou non, pour obliger l’ennemi à se soumettre à ses intérêts ». La distinction entre le civil et le militaire s’efface, tout peut être une arme : monnaies, logiciels, médias, médicaments, réseaux sociaux, virus bactériologiques … ou informatiques.

La cyberguerre est en action. Israël développe une stratégie d’utilisation des forces « classiques » et des forces « cyber ». Après un virus lancé avec succès contre les centrifugeuses en 2020, une cyberattaque a paralysé récemment 4300 stations services. Sans essence, l’Iran était paralysé. Une panne à Paris ou Londres, une coupure de courant à New York sont du même ordre.

En France, le nombre de cyberattaques contre les ministères a doublé

Les pannes électriques furent des essais un peu trop voyants. Les Russes ne se privent pas de tester les attaques sur les entreprises américaines. En France, le nombre de cyberattaques contre les ministères recensés en 2021 a doublé par rapport à 2020 (158 attaques). 

Après la guerre cyber, la guerre quantique : les Etats-Unis ont inscrit sur leur liste noire huit sociétés chinoises qui travaillent sur les technologies quantiques. L’enjeu est d’être les premiers à mettre au point des technologies de cryptage et décryptage dans les communications, la navigation, la détection des mouvements. La Chine aurait investi 50 milliards dans ce domaine. Que deviennent les sous-marins si on peut les repérer sous l’eau grâce à la technologie quantique ? A quoi servent chars ou missiles, stations spatiales, sans système de guidage ? Est-ce à dire que la guerre du futur rendra inutile la vieille guerre, la sanglante ? Un terroriste fera toujours l’actualité avec un cutter. Il faudra toujours des hommes pour occuper un quartier, une région, une ville: les Talibans en 4×4 l’ont montré. C’est peut-être mieux : seul les carnages visibles et crus de la guerre la rendent insupportable.

L’immense majorité des pirates viennent de quelques pays : Russie, Chine, Iran.  

« La guerre invisible », celle qui ne fait pas de bruit, pas de morts, ne détruit pas de villes, se développe. Personne ne veut s’en priver, sauf par peur de représailles, comme d’habitude.

Le paiement d’un tribut, en raison de menaces et d’actes de guerre, se fait déjà. Quand Interpol arrête, la semaine dernière, mille cybercriminels et saisit quelques dizaines de millions de dollars, le coût de la cybercriminalité dans le monde est estimé à 6000 milliards de dollars par le World Economic Forum. Chiffre fou. L’Agence de Cybersécurité Européenne estime que 10 milliards d’euros de rançon ont été payés en 2019. Près de 45% des entreprises américaines sont visées chaque année, une toutes les 14 secondes.

Est-ce du crime organisé ou de la guerre ? L’immense majorité des pirates viennent de quelques pays : Russie, Chine, Iran. Un hasard ? Toute action engendre réaction. Ou un accord.

Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

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