En déclenchant le 49.3 pour faire passer en force sa réforme impopulaire des retraites, le gouvernement d’Elisabeth Borne vient de marquer l’histoire : il s’agit en effet de la 100e utilisation du recours de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pendant la Ve République. Ce gouvernement est d’ores et déjà le deuxième le plus avide de 49.3 avec onze utilisations – pour l’instant –, derrière le gouvernement de Michel Rocard et ses 28 utilisations entre 1988 et 1991.
La Première ministre Élisabeth Borne a indiqué qu' »on ne peut pas faire de pari sur l’avenir de nos retraites », pour justifier le recours au 49.3.
L’article 49.3
Pour les Français de l’étranger, la constitution peut être un lointain souvenir. On fait donc un petit rappel sur ce fameux « 49.3 ».
L’article 49.3 de la Constitution donne la possibilité au Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, d’engager la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un projet de loi de finances, un projet de loi de financement de la sécurité sociale et d’un autre projet ou une proposition de loi en débat à l’Assemblée nationale » peut-on lire sur le site de Vie Publique. En clair, quand le Premier ministre décide de recourir à l’article 49.3, la discussion du texte de loi est suspendue. Il est considéré comme adopté, sans vote, « sauf si une motion de censure est déposée dans les 24 heures qui suivent ».
Depuis la loi constitutionnelle de juillet 2008, l’usage de l’article 49 alinéa 3 est limité à un projet ou une proposition de loi par session, toujours selon le site Vie Publique. Cette limitation ne s’applique pas aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale « Avant cette révision de la Constitution le gouvernement pouvait […] avoir recours (au 49.3) aussi souvent qu’il le voulait et sur n’importe quel texte ».
Les députés qui s’opposent à l’utilisation du 49.3 mais aussi au texte de loi peuvent donc déposer une motion de censure. Elle doit être adoptée à la majorité des députés qui composent l’Assemblée. Le gouvernement est renversé si la motion de censure est adoptée. Pour renverser le gouvernement, il faut cependant que les groupes d’opposition se coalisent. Sous la Ve République, une seule motion de censure a été adoptée, en 1962, contre le gouvernement de Georges Pompidou. Le général de Gaulle avait alors dissous l’Assemblée et les législatives qui s’en étaient suivies s’étaient soldées par une large victoire de ses partisans.
Ce 49.3 ne peut être brandi devant le Sénat, celui-ci n’ayant pas le pouvoir de renverser le gouvernement. La chambre haute peut, en revanche, adopter ou rejeter le projet de budget, qui reviendra devant l’Assemblée nationale en nouvelle lecture puis en lecture définitive.
Le temps d’organiser ces dispositions et permettre aux partis de déposer les mentions de censure, le vote devrait avoir lieu lundi ou mardi.
Une décision d’Emmanuel Macron
Après une matinée sous tension, lors de laquelle les réunions au sommet se sont succédé, le chef de l’Etat a décidé de recourir à l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer sa réforme des retraites sans vote à l’Assemblée. Un Conseil des ministres a été réuni en urgence à quelques minutes de la séance décisive pour autoriser le gouvernement à déclencher cet article.
Les réactions ne sont pas faites attendre après cette annonce. « L’Elysée n’est pas un parc pour abriter les caprices du président », a twitté Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste. Le coordinateur de La France insoumise Manuel Bompard a de son côté dénoncé « le coup de force permanent. Le peuple est contre eux. Dégageons-les », a-t-il plaidé. De son côté, le député PCF Fabien Roussel a jugé le gouvernement « indigne de la République ».
Une réaction populaire vive
Immédiatement après l’annonce, plusieurs milliers de personnes ont manifesté place de la Concorde à Paris. Sous les applaudissements et en chanson, un petit cortège de militants de Génération.s, du NPA et du Poing levé arrive.
Quelques minutes avant eux, c’était une délégation d’Insoumis qui attirait l’attention, Jean-Luc Mélenchon en tête, serrant les mains de manifestants et allant quelques instants au contact des forces de l’ordre. Inès et Lucas, étudiants en Sciences sociales à l’ENS, regardent les deux cortèges un sourire de satisfaction aux lèvres.
«On est là parce qu’on en a marre et qu’on ne veut pas déprimer tout seul chez nous. On lutte avec les outils qu’on a, et le seul qu’on a c’est la rue, souffle Inès. Quand j’entends Macron dire qu’il a été élu et qu’il est donc légitime, ça me fait rire. C’est du démagogisme pur et dur, il sait qu’il a été élu pour faire barrage à l’extrême droite. Aujourd’hui, je n’ai déjà plus aucun espoir dans le monde politique.»
Inès étudiante en Sciences sociales à l’ENS
Un peu plus positif, Lucas veut croire au retrait malgré le passage de la réforme des retraites en force à l’Assemblée : «Il y a eu par le passé des réformes qui ont été retirées alors qu’elles étaient passées au parlement. Il faut mettre la pression autant qu’on le peut et les faire craquer.»
Un cortège étudiant est, aussi, parti de la place de la Sorbonne en direction de l’Assemblée nationale, aux cris de «Eh Manu, Manu, 49.3 ou pas, ta réforme on n’en veut pas», ou encore «L’Assemblée peut bien voter, la rue va le retirer».
Les syndicats des Français de l’étranger remontés à bloc
Du côté des Français de l’étranger, les syndicats ont immédiatement réagi et au diapason de ceux nationaux après l’annonce de l’utilisation du 49.3 pour faire passer la réforme des retraites.
Ainsi, pour l’UNSA Éducation Hors de France, en recourant au 49-3, le gouvernement et le président de la République démontrent que cette réforme n’a même pas de majorité à l’assemblée nationale.
« C’est un aveu d’échec et un acte irresponsable qui va accentuer la crise démocratique. Le Président choisit de répondre à une crise sociale par un affaissement démocratique. C’est pour l’exécutif, une triple défaite : populaire, morale et politique. L’UNSA ne laissera pas faire.«
Adrien Guinemer, responsable UNSA Éducation Hors de France
Du côté du SNES-FSU hors de France, c’est le même son de cloche.
L’intersyndicale nationale devrait rapidement se prononcer sur la suite à donner au mouvement contre cette réforme. On peut parier qu’elle appellera à manifester le mécontentement des Français de l’étranger et relaiera les appels à la grève hexagonaux dans les établissements français du réseau.
Du côté des élus des Français de l’étranger, les élus Renaissance préfèrent rester discrets et n’ont pas souhaité répondre à nos sollicitations. Même si en fouillant sur les réseaux sociaux, on peut tomber sur des messages de satisfaction comme avec le député des Français du Bénélux qui se félicitait d’un accord en commission paritaire.
A Gauche, Karim Ben Cheikh, député sortant de la NUPES pour le Maghreb et l’Afrique de l’ouest, a réagi en dénonçant la violence du procédé.
« Emmanuel Macron et Elisabeth Borne s’engagent dans une impasse politique par la brutalisation du débat parlementaire et le mépris du dialogue social. En utilisant le 49-3 ils prennent acte de leur isolement et devront assumer la responsabilité de ce passage en force.»
Karim Ben Cheikh, député sortant de la IXème et candidat à sa succession le 02 avril 2023
Tandis que pour la sénatrice des Français de l’étranger, Mélanie Vogel (EELV), « la Vème république est mort » avec ce « passage en force« .
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