Les mers recouvrent 71 % de la surface du globe et génèrent à elles seules la moitié de l’oxygène que nous respirons. Elles captent entre un quart et un tiers du dioxyde de carbone émis chaque année par l’activité humaine, tout en absorbant plus de 90 % de l’excès de chaleur produit par notre croissance effrénée. Pour trois milliards d’êtres humains, la mer est l’assiette première, la source majeure de protéines. Les océans ne nourrissent pas seulement : ils transportent. Près de 90 % du commerce mondial transite par voie maritime. Et sous leurs profondeurs serpentent les artères invisibles de notre civilisation numérique : plus de 95 % des données internationales voyagent à travers des câbles sous-marins à fibre optique. Si notre dépendance aux océans est permanente, elle demeure trop souvent inconsciente pour ceux qui habitent notre planète.
L’acidification des eaux, la montée du niveau marin, la raréfaction des espèces halieutiques ne sont pas des menaces futures, mais des réalités déjà en cours, qui affectent aujourd’hui la vie de milliards de personnes. Dans cet immense jeu d’échelles, la France porte une responsabilité singulière. Deuxième puissance maritime mondiale derrière les États-Unis, elle dispose de plus de 10 millions de kilomètres carrés d’espaces maritimes, répartis dans tous les bassins océaniques. Et pourtant, elle s’est longtemps pensée continentale, tournée vers l’Est et non vers le large. La frontière rêvée était le Rhin, non la mer. Sa capitale fut Paris, loin du littoral, et non Rouen ou Le Havre.
La Méditerranée, trop souvent reléguée au second plan.
Même la Méditerranée, pourtant berceau des civilisations phénicienne, égyptienne, grecque et romaine, fut trop souvent reléguée au second plan. Marseille, grand port isolé, en est le symbole. En juin 2025, à Nice, la France coorganise avec le Costa Rica la troisième conférence des Nations unies sur l’océan (UNOC). Ce rendez-vous doit être bien plus qu’un exercice diplomatique. Il doit marquer un sursaut.
La France a l’opportunité de redevenir une puissance maritime consciente de ses atouts, ambitieuse dans ses engagements, lucide sur ses intérêts. Face à une Amérique tentée par le repli sur soi et l’extraction de ressources naturelles à tout-va – Donald Trump ayant décidé de se retirer des Accords de Paris et d’ouvrir la voie à l’exploitation minière des grands fonds – la France peut incarner une autre voie. Celle de la responsabilité planétaire. Elle peut entraîner avec elle une coalition élargie contre la surexploitation minière des fonds marins, plaider pour la ratification massive des accords contre la pêche illégale et en faveur des aires marines protégées, et surtout — catalyser les financements nécessaires à la transition océanique.
Les fonds bleus doivent devenir les piliers d’une diplomatie économique de l’océan.
Les fonds bleus, ces instruments financiers dédiés à la protection des milieux marins, doivent devenir les piliers d’une diplomatie économique de l’océan. Plus d’une centaine de fonds ont déjà été recensés à travers le monde, représentant une vingtaine de milliards de dollars.
À terme, les projets qu’ils soutiennent peuvent générer des crédits carbone bleus, c’est-à-dire valoriser la réduction des gaz à effet de serre grâce à la restauration des écosystèmes marins. Ces crédits, vendus à des entreprises à forte empreinte carbone, pourraient structurer une véritable filière économique.
La Méditerranée comme les Outre-mer offrent un terrain idéal pour bâtir cette convergence entre écologie, financement innovant et développement territorial. L’articulation entre fonds bleus et crédits carbone océaniques constitue sans doute l’un des leviers les plus prometteurs du financement durable. Encore faut-il que les moyens soient à la hauteur des discours. En se plaçant à l’avant-garde de cette dynamique, la France peut conjuguer responsabilité environnementale, innovation économique et affirmation géopolitique. Il ne s’agit pas de proclamer un nouvel âge maritime mais de construire patiemment une stratégie ancrée dans le réel — au service de ses territoires, de sa croissance, et de la préservation des biens communs planétaires.
Nous verrons quelles décisions seront prises lors du sommet de l’ONU dédié aux Océans qui s’est ouvert ce 09 juin à Nice.
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