Un rapport du Conseil de l’Europe publié lundi, qu’EURACTIV a pu avoir en avant-première, met en évidence certains dysfonctionnements majeurs dans la lutte contre le blanchiment d’argent à Monaco. Le Groupe d’action financière (GAFI) s’apprête à mettre le pays en période d’observation.
Le rapport fait état de risques importants de blanchiment d’argent auxquels Monaco est confronté, principalement en raison des « activités financières orientées à l’internationale », dont le pays s’est fait la spécialité. La Principauté est une « cible de choix » pour les flux financiers transfrontaliers illicites, selon le Conseil de l’Europe.
En substance, les fraudes sont commises à l’étranger, tandis que le produit du crime est blanchi à Monaco.
Les analyses de risques, la coopération internationale et le caractère dissuasif des sanctions sont par ailleurs inadéquats face aux risques de fraude et de corruption, souligne le rapport.
Les risques liés au financement du terrorisme, également une responsabilité du GAFI au niveau international, ont été jugés relativement faibles, mais le rapport enjoint les autorités monégasques à des analyses de risques plus poussées sur ces sujets.
Le rapport sera soumis à la plénière du GAFI le 20 février prochain, après quoi le pays entamera très certainement une phase d’observation d’un an. Si des réformes structurelles ne voient pas le jour au cours de cette période, Monaco risque d’être ajouté à une « liste grise », qui a vocation à être publique. Le pays figurait sur cette liste grise jusqu’en 2009.
Une telle décision porterait un coup réputationnel majeur à la Principauté, qui était accusée il y a encore quelques mois de ça de protéger la fortune d’oligarques russes avant de s’aligner sur les sanctions internationales contre la Russie.
Le rapport est le résultat d’une évaluation de plusieurs mois menée par le Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (MONEYVAL) au sein du Conseil de l’Europe. MONEYVAL évalue la conformité des membres du Conseil avec les normes internationales et fait des suggestions politiques sur la base des 40 recommandations du GAFI.
Une surveillance « mitigée »
Face aux menaces existantes, le rapport affirme que l’efficacité du système de lutte contre le blanchiment des capitaux est « mitigée » et que tous les risques ne sont pas pris en compte de manière satisfaisante. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le blanchiment du produit de la fraude à l’impôt sur le revenu commise à l’étranger : une telle infraction fiscale n’est pas criminalisée à Monaco, et aucune analyse sérieuse des risques n’a été entreprise.
« D’importantes améliorations » sont également nécessaires en ce qui concerne les activités de supervision des institutions financières et des entreprises non financières telles que les agents immobiliers, la gestion de fortune ou la banque privée, par le biais desquelles des importantes sommes d’argent peuvent transiter.
Selon le rapport, ces secteurs d’activité représentent des profils de fraude financière à haut risque, bien qu’aucune réponse adéquate n’ait réellement été mise en œuvre pendant la période d’évaluation, qui s’étendait jusqu’en mars 2022.
La mise en œuvre d’une approche de supervision fondée sur le risque (risk-based approach) « afin d’être en mesure de moduler l’intensité en plus de la fréquence des contrôles sur place selon les risques » est donc jugée indispensable.
Des lignes directrices pour les entreprises de gestion de fortune et les banques privées, qui présentent les niveaux de risque les plus élevés, doivent également être rédigées afin de garantir une plus grande conformité avec la réglementation monégasque et internationale.
Enquêtes et poursuites insuffisantes
L’une des principales préoccupations du rapport concerne les poursuites et les sanctions liées au blanchiment des capitaux. De nombreux cas ne sont pas identifiés par les autorités, tandis que les enquêtes souffrent de véritables lenteurs.
Cela témoigne des problèmes inhérents au système judiciaire monégasque, où le procureur général a des pouvoirs d’enquête limités, où les effectifs sont insuffisants et où le dépôt d’un recours n’est pas limité dans le temps. Dans certains cas, les enquêtes peuvent durer dix ans, selon le rapport.
Ainsi, le traitement des cas complexes de fraude financière reste inadéquat, et le nombre d’affaires de blanchiment d’argent semble bien trop faible par rapport au profil de risque de Monaco. Seules six condamnations ont été prononcées entre 2017 et 2021, malgré les récentes évolutions législatives visant à accélérer les processus.
Quant aux sanctions qui ont été mises en place, « elles ne sont pas proportionnées à la nature des griefs relevés et à la taille et au chiffre d’affaires et ne sont ni efficaces, ni dissuasives ». Dans l’ensemble, le système qui s’applique aux enquêtes et aux poursuites n’est donc que « partiellement conforme aux menaces », au vu du profil de risque de Monaco.
La coopération internationale confrontée à des obstacles
Si Monaco est plutôt actif dans le renforcement de la coopération internationale, la législation nationale impose des « obstacles législatifs inhabituels et fondamentaux » au renvoi des Demandes d’entraide pénale internationale (DEPI) aux pays requérants. Le fait que les personnes impliquées dans une enquête transfrontalière puissent déposer un recours à Monaco ralentit considérablement le processus et aurait déjà entravé l’efficacité d’enquêtes passées.
De même, les demandes de soutien international formulées par Monaco fonctionnent généralement bien, même si elles ne sont pas toujours en rapport avec les risques associés. À noter qu’« aucune demande de confiscation n’a été réalisée par la Principauté, alors même que dans deux affaires ayant mené à une condamnation, les biens avaient quitté Monaco ».
L’amélioration des délais de réponse et l’adaptation de la législation nationale de manière à imposer des limites de temps aux recours devraient être des actions prioritaires pour les autorités monégasques.
La liste grise
Le gouvernement monégasque a exprimé à EURACTIV France « sa pleine adhésion aux recommandations formulées » dans le rapport, et se dit déterminé à les mettre en œuvre rapidement dans le but de s’aligner sur les normes internationales.
Le rapport a été approuvé lors de la plénière de MONEYVAL le 9 décembre 2022. Il est presque certain que la plénière du GAFI du 20 février fera entrer Monaco dans une période d’observation d’un an, pendant laquelle les autorités monégasques travailleront main dans la main avec les équipes du GAFI pour remédier à certaines défaillances stratégiques dans des délais impartis.
En cas d’échec, Monaco risque d’être placé sur la « liste grise » dès la mi-2024. Les pays qui ont figuré sur cette liste grise sont, entre autres, l’Albanie, la Barbade, Gibraltar, le Maroc et le Panama. Monaco figurait sur la liste analogue des « paradis fiscaux non coopératifs » de l’OCDE jusqu’en 2009.
Une période d’observation d’un an « n’est pas un dysfonctionnement global du dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme national mais l’addition de points d’observations sur différents aspects », a ajouté le gouvernement.
Les autorités monégasques ont entrepris un ensemble de réformes législatives depuis avril 2022 afin de répondre au mieux aux préoccupations prioritaires du rapport, notamment sur l’enjeu de la supervision des entreprises non financières.
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