Les autorités indiennes ont annoncé l’expulsion de l’architecte français Satprem Maïni, installé sur place depuis plus de 30 ans, un des créateurs de la cité utopique d’Auroville, construite dans le sud du pays en 1968.
Une ville née de l’imaginaire de Français
Entre rêve et défi, à une dizaine de kilomètres de l’ancien comptoir français de Pondichéry, Auroville est une oasis de sérénité dans le chaos de l’Inde. Vu du ciel, son plan forme un disque de 2 000 hectares, au centre duquel scintille une énorme sphère dorée. Une épaisse forêt riche de 200 espèces d’arbres et envahie de buissons épineux, repaire de perruches vertes à collier, de hiboux grand-duc et de cobras venimeux, entoure la ville. Ici pourtant, avant la fondation d’Auroville dans l’effervescence hippie de la fin des années 1960, s’étendait un désert rouge, d’où seul émergeait un banian, essence sacrée en Inde.
C’est cet arbre aux branches aériennes tombant au sol pour s’enraciner qui attira l’attention de Mirra Alfassa, la Française à l’origine de l’incroyable aventure d’Auroville. Celle qui fut la compagne du yogi indien Sri Aurobindo, avec qui elle avait dirigé un ashram à Pondichéry, choisit de créer ici, en 1968, avec le soutien de l’Unesco, une cité universelle « où hommes et femmes apprendraient à vivre en paix, dans une parfaite harmonie, au-delà de toutes croyances, opinions politiques et nationalités. »
L’architecte français Roger Anger, grand admirateur de Le Corbusier, en dessina les premiers plans. Théoriquement prévu pour 50 000 habitants, l’endroit s’organise en une spirale qui s’enroule autour du centre et divisée en quatre zones : internationale, résidentielle, culturelle et industrielle. Les pionniers creusèrent retenues d’eau et canaux d’irrigation, dressèrent des talus coupe-vent, enrichirent le sol avec du compost pour planter des centaines de milliers d’arbres : acacias d’Australie, ébéniers, santals, margousiers… Ils bâtirent un archipel d’une centaine de « communautés », disséminées dans la forêt et qui portent les noms d’Aspiration (la plus importante avec soixante-quinze membres), Fraternité (majoritairement indienne), Certitude (européenne) ou encore Dana (d’une quarantaine de personnes, principalement des Français)… Dans la communauté Auromodele, connue pour ses villas spacieuses agrémentées de piscines, se trouve l’ancienne maison de Roger Anger, audacieux assemblage de deux blocs orange et blanc.
Auroville Earth Institute
Le Français Satprem Maïni, disciple de Roger Anger, a, lui, fondé le Auroville Earth Institute en 1989 et a développé, conseillé, enseigné et promu les technologies de construction de terre et l’architecture de terre dans plusieurs pays en dehors de l’Inde.
Expert de renommée internationale, il a été le représentant pour l’Asie de la Chaire UNESCO « Architecture de terre, cultures constructives et développement durable » Depuis 2000, il est également consultant pour plusieurs programmes des Nations Unies et membre de l’International Center of Earth Construction and Indian Society of Earthquake Technology (ISET). Il a étudié à l’École d’Architecture de Lyon (France) et est titulaire d’une maîtrise en Architecture de Terre de l’École d’Architecture de Grenoble (France).
La route de la discorde
Afin d’améliorer l’attractivité de la ville, l’administration d’Auroville a lancé un plan d’une grande route dans la cité, le Français Satprem Maïni, spécialiste reconnu des matériaux durables, a donc mené des études poussées. Ses conclusions sont alarmantes.
« Il y a un canyon qui récolte des millions de mètres cubes d’eau par an. Ils vont le boucher pour faire la route. Où va s’écouler cette eau ? Dans le village plus bas. Donc, il y a peut-être trois à quatre mille personnes dans ce village qui vont être inondées par les millions de mètres cubes d’eau qui vont défiler. Je leur ai donné 19 rapports pour leur montrer que ça ne marche pas et ils continuent »
Satprem Maïni au micro de RFI
C’est ce qui semble donc avoir entraîné la colère de l’Etat indien qui a donc décidé de mettre fin à son droit de résidence après 30 ans de bons et loyaux services.
L’administration accuse, en sus, Satprem Maïni de mener des activités politiques dangereuses, une première accusation après toutes ces décennies.
Ainsi après 34 ans à Auroville, son visa de longue durée est donc annulé. On lui donnait onze jours pour partir d’Inde. Une sanction irrationnelle, selon lui, signe de l’obscurantisme de cette administration. Ce vendredi 30 juin, il a dû se résoudre à quitter l’Inde, son pays pendant près de la moitié de sa vie.
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