A Dakar, capitale du Sénégal et avant de l’Afrique Occidentale Française (AOF), le monument aux morts pour la France de 14-18 offre la particularité d’être en même temps un édifice religieux, baptisé « cathédrale du Souvenir africain ». Une déclinaison que l’indépendance à imposer ou un financement dissimulé d’un édifice religieux.
Une cathédrale travestie
Dès le lancement du projet de construction durant la Première Guerre mondiale par l’Église d’une cathédrale à Dakar, le gouverneur William Ponty avoue son impossibilité de lui attribuer une subvention (laïcité oblige). Il suggéra, donc, à l’évêque, Mgr Jalabert, « de faire de sa future cathédrale un monument patriotique où serait conservée la mémoire des Coloniaux morts pour la conquête et le développement de nos possessions africaines ». Sous cette appellation, l’édification du monument peut être financée par l’administration coloniale.
Pour faire bonne mesure, comme sur un monument aux morts, la liste des « héros de l’épopée africaine, explorateurs, soldats, marins, administrateurs morts au service de la France devrait figurer dans une chapelle » fut ajouter sur le fronton.
Colons et croisés
Autre temps autres mœurs, en plein période coloniale, l’intention est clairement affirmée sur le fronton de la « cathédrale du Souvenir Africain » : « A ses morts d’Afrique la France reconnaissante », soit une dédicace aux coloniaux, y compris militaires morts pour l’expansion de la France outre-mer.
De part et d’autre de l’inscription, deux anges à visages peuls, sculptés par Anna Quinquaud, les accueillent au « Paradis ». En 1936, lors de l’inauguration, Mgr Raymond, évêque de Nice et grand aumônier des armées de France, précise une fois encore la nature de ce « Panthéon [religieux] d’Afrique ». Le monument célèbre les centaines de « colons tués par le climat ou par les hommes » [c’est-à-dire par les Africains eux-mêmes], « héros coloniaux » panthéonisés et comparés aux chevaliers des croisades.
Effacer les cicatrices de la colonisation
A partir de l’indépendance, ce message initial appartient, évidemment, à un passé rejeté par les nouvelles instances politiques et religieuses au pouvoir.
Le simulacre de monument aux morts disparait en partie par l’effacement de la dédicace originelle. Elle est remplacée par une nouvelle inscription qui dévoile des visées plus spirituelles et consensuelles, sans connotation politique : « A la Vierge Marie, Mère de Jésus Le Sauveur », en conformité avec la consécration de l’édifice à Notre-Dame-des-Victoires. Cependant l’appellation de « Souvenir Africain » persiste encore de nos jours, et le style de la nouvelle décoration intérieure ne peut effacer l’éclectisme des écritures architecturales néo-soudano-sahélienne et byzantine. Celles-ci gardent le témoignage de l’alliance originelle entre les pouvoirs civils, militaires et religieux, particulièrement vivace en Afrique, au cœur même du concept de la colonisation mise en œuvre dans la capitale de l’AOF.
Il fut aussi décidé de transférer dans un cimetière européen plus ou moins proche du lieu d’érection, les autres monuments aux morts existant dans le pays. Citons à titre d’exemple, à Dakar, le majestueux monument aux morts de l’AOF transporté au cimetière de Bel-Air.
Ce phénomène fut également relativement fréquent en Algérie. Comme le cas du « Poilu » de Sidi Ben Adda (anciennement Les Trois Marabouts), monument inauguré en 1921 puis entreposé successivement, en 1962 dans le cimetière chrétien de la ville, et en 1989, sans son piédestal, à l’entrée de la nécropole nationale du Petit-Lac à Oran
















