« La guerre en Syrie, un entreprise criminelle dont la responsabilité revient à Bachar El Assad et à ses appuis extérieurs.«
Jean Yves Le Drian, Ministre des Affaires étrangères français
A l’occasion des dix ans du conflit en Syrie, Jean Yves le Drian, dans une déclaration au Quai d’Orsay, a rappelé les principes de la politique française en Syrie. Il a mis clairement en cause, aux cotés de Bachar El Assad, la Russie et l’Iran. Il est revenu aussi sur l’emploi des armes chimiques et souhaité que « les crimes ne soient pas impunis ». Il a renouvelé l’engagement des forces françaises en Syrie contre les organisations terroristes, au moment où l’Etat islamique essaie de refaire surface. Enfin, il a appelé à une solution politique avant toute normalisation avec Damas.
Comment traiter avec un criminel que l’on veut juger ?
On peut s’interroger sur ce qui semble malgré tout une contradiction : comment trouver une solution politique sans Bachar, traiter avec un criminel que l’on veut juger? Reste toujours cet espoir, évoqué depuis dix ans, que Bachar sera éliminé ou que les Russes le lâcheront. Mais la réalité n’a jamais concordé avec les vœux de la France. Ni les Américains, ni les Saoudiens, ni les Qataris, ni les Russes, ni les Iraniens, ni les Européens, ni les Djihadistes n’ont voulu suivre les chemins, plutôt guerriers que pacifiques, ébauchés par les gouvernements français.
C’est que la France intervient sans avoir la force nécessaire pour imposer ses vues -ce qui se comprend- et qu’elle exprime plus des vœux qu’une solution. La France n’a pas d’allié fiable sur place. Elle a perdu deux fois l’occasion de mettre en œuvre la politique d’intervention militaire qu’elle prônait. La première fois, sous Hollande, lorsque Obama a refusé de bombarder directement Assad. Il fallait alors soit intervenir, soit se retirer d’une coalition dans laquelle elle était si peu considérée. La deuxième fois, lorsque Trump a retiré ses forces et laissé tomber les Kurdes. La France n’a pas essayé de convaincre Européens et alliés arabes de prendre la place des Américains pour protéger les Kurdes et éviter l’intervention turque.
Les milliards de l’Europe utilisés par Erdogan pour engager des mercenaires
L’Europe, elle, a préféré donné des milliards à Erdogan pour accueillir des réfugiés, milliards bien été utilisés pour engager des mercenaires et acheter des armes aux Russes. Ces milliards n’auraient-ils pu être utilisés autrement qu’à nourrir un pays devenu hostile à force de recevoir des largesses?
Et l’on se lamente en expliquant que La France n’a pas les moyens. Si tel est le cas, alors il ne faut pas envoyer de soldats. Il faut aussi expliquer pourquoi Russes, Turcs, Iraniens ont décidé d’avoir plus de moyens que la France. D4autant que la diplomatie aurait pu mobiliser les autres pays Européens et les pays de golfe. Ne l’a-t-on pas fait – à tort ou à raison, avec ou sans suivi– en Lybie ? Encore faut-il définir des intérêts communs, des objectifs et une issue politique. Ce qui n’est jamais fait, tellement on reste dépendant de l’émotion des actualités.
Le premier enseignement de cette guerre, pour la France, est qu’elle ne peut prétendre régler seule les affaires du monde, surtout quand elle ne définit pas ses objectifs. La deuxième est qu’une intervention armée ne se fait pas à moitié. Sur ces deux premières leçons, force est de reconnaitre que, hormis les Américains, tant que l’Europe ne voudra pas exister, la France n’a pas d’allié. Et l’Europe, c’est-à-dire l’Allemagne, ne voit aucun intérêt à agir, même en soutien des Américains.
Le temps des interventions militaires est peut être dépassé
Le troisième point est que peut être les Trump et Obama ont-ils raison : le temps des interventions militaires est dépassé. Savoir se retirer est peut être une politique plus sage. Qu’ont amené les morts, les bombes et les milliards en Afghanistan, Irak, Syrie, Lybie ? Les conflits sont ils résolus ? Les Talibans sont-ils chassés ? Le terrorisme islamique vaincu ? Les dictatures sanglantes abattues? La démocratie triomphe –telle ? Au delà de l’opération de police initiale, l’intervention au Sahel est elle gagnante ?
Cette question ne touche pas que le « devoir d’ingérence » des démocraties occidentales. Russes et Turcs, qui ont des troupes en Syrie et en Lybie, se portent ils mieux ? Ont-ils vraiment gagné quoi que ce soit, sinon de la méfiance et de l’hostilité ? Récemment, pour la première fois, un exercice naval conjoint entre Israël, Chypre, la Grèce et la France a eu lieu en Méditerranée orientale : Voilà qui semble un message utile à l’ensemble de la région, parce qu’elle montre une alliance nouvelle et crédible.
Montrer sa force est utile, l’utiliser requiert d’y employer tous les moyens et de fixer des objectifs réalistes.
Un ministre en place depuis dix ans a-t-il une nouvelle solution politique à proposer ?
On ne peut reprocher à la déclaration du ministre de masquer un échec aussi tragique que durable, on peut regretter qu’elle ouvre si peu de perspectives : Le peuple syrien n’y trouvera pas beaucoup d’espoir. La France, en Syrie comme au Liban, n’a pas mobilisé le poids militaire ou financier à proportion de ses déclarations.
On hésite donc à se moquer de principes si bien énoncés, ou à se réjouir qu’un pays continue à en proclamer la nécessité. 400 000 morts, des millions de déplacés et de réfugiés, méritent à la fois plus de réalisme et d’imagination. En matière diplomatique, on traite tous les jours avec des criminels et des assassins, ce qu’a l’habitude de faire un ministre en place depuis bientôt dix ans. Au Sahel comme en Syrie, là où elle a des soldats, la France appelle à une « solution politique ». C’est l’évidence. Le ministre peut-il en proposer ?
La déclaration in extenso de Jean Yves Le Drian :
« Il y a dix ans, des dizaines de milliers de Syriens sont descendus pacifiquement dans la rue pour réclamer le respect de leurs droits les plus fondamentaux. La réponse brutale et aveugle du régime de Bachar Al-Assad et son rôle dans le conflit qui s’en est suivi ont déclenché l’une des entreprises criminelles et des crises humanitaire les plus graves depuis la Seconde guerre mondiale.
La responsabilité de ce drame revient au régime syrien et à ses appuis extérieurs. Les chiffres témoignent de l’ampleur de cette tragédie : plus de 400 000 Syriens sont morts, 13 millions de personnes – soit plus de la moitié de la population – sont réfugiées ou déplacées, et 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté. La France n’a cessé de soutenir la population syrienne depuis le début du conflit. Elle réaffirmera son engagement dans le cadre de la prochaine conférence sur l’avenir de la Syrie (Bruxelles V), les 29 et 30 mars prochains.
Le conflit syrien marque la réapparition de l’emploi des armes chimiques, dont l’utilisation est interdite depuis près d’un siècle. Le recours à ces armes par le régime syrien, documenté et irréfutable, à de nombreuses reprises y compris après son adhésion à la Convention d’interdiction des armes chimiques en septembre 2013, est inacceptable – et ne sera pas accepté.
La France, à côté de ses alliés, a conduit les actions armées nécessaires en 2018. Elle demeure pleinement mobilisée pour qu’une réponse appropriée soit apportée, tant dans le cadre des Nations unies et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, que dans le cadre ad hoc du Partenariat international contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques ou auprès des juridictions nationales qui ont pu être saisies. La France prend par ailleurs sa part pour permettre à des femmes et des hommes de venir témoigner de ces crimes.
La France s’est engagée de longue date pour que l’ensemble des crimes commis en Syrie ne demeure pas impuni. Il s’agit d’un impératif moral et d’un préalable incontournable à une solution politique de long terme en Syrie. A cette fin, la France continuera de soutenir les travaux de la Commission d’enquête internationale et du Mécanisme international, impartial et indépendant. Plusieurs enquêtes ont également été ouvertes par la justice, en France comme en Allemagne. Le gouvernement français y apportera toute contribution utile pour faire progresser la justice et reculer l’impunité.
La France entend poursuivre son action résolue contre le terrorisme en Syrie, aux côtés de ses partenaires de la Coalition internationale contre Daech et des forces partenaires sur le terrain. Cette action déterminée nécessite, outre son volet militaire, une stabilisation des territoires libérés de l’emprise du groupe terroriste, afin d’en prévenir la résurgence.
La France s’est mobilisée auprès de la population syrienne depuis le début du conflit. En 2018, le Président de la République a alloué 50 millions d’euros au titre d’un programme d’urgence destiné à financer des projets humanitaires et de stabilisation. Visant à répondre aux besoins des populations les plus vulnérables qui subissent une crise humanitaire sans précédent, cette aide annuelle a été renouvelée en 2021 pour la quatrième année consécutive.
Laisser un commentaireLa France, avec ses partenaires de l’Union européenne, continuera de conditionner la reconstruction de la Syrie et la normalisation des relations avec Damas à la mise en œuvre d’une solution politique crédible, durable et conforme à la résolution 2254 du Conseil de sécurité des Nations unies. Les élections présidentielles prévues cette année en Syrie ne seront ni libres ni régulières. Elles ne pourront être utilisées comme outil de contournement de cette solution politique. La France poursuivra, avec ses partenaires, son action pour une solution politique en faveur d’une Syrie stable et souveraine, au service du peuple syrien. »