Apple dans l’œil du cyclone

Apple dans l’œil du cyclone

Le 9 avril dernier, Apple a reconquis sa couronne d’entreprise la plus valorisée au monde après l’annonce du président Donald Trump de suspendre pendant 90 jours les hausses des droits de douane « réciproques » avec la plupart des pays, à l’exception notable de la Chine. Sa décision d’exonérer de ces droits les ordinateurs et les smartphones a contribué à restaurer la valorisation boursière d’Apple. Mais cette dernière reste, plus que toute autre grande entreprise américaine, exposée à la guerre commerciale. Elle demeure sous la menace constante d’une décision unilatérale de Donald Trump et des mesures de rétorsion potentielles qu’elle pourrait entraîner.

Apple est sans doute l’entreprise américaine la plus dépendante de la Chine. Jusqu’à neuf iPhone sur dix y sont assemblés. Certes, depuis le premier mandat de Donald Trump, la firme à la pomme a diversifié ses centres de production, notamment au Vietnam et en Inde. Toutefois, elle reste vulnérable à toute montée des tensions commerciales avec Pékin. Les nouveaux sites de production ne sont d’ailleurs pas totalement à l’abri de droits de douane majorés. Même si les taux projetés sont inférieurs à ceux appliqués à la Chine. De plus, le transfert des chaînes de production vers ces nouveaux pays est coûteux et nécessite du temps, notamment pour former la main-d’œuvre locale.

Neuf IPhone sur dix sont assemblés en Chine

Plus les droits de douane sur la Chine sont élevés, plus le coût des quelque 70 millions d’iPhone assemblés en Chine puis vendus aux États-Unis augmente. Même à un niveau réduit – estimé à 60 % des niveaux actuels – ces droits pourraient ajouter environ 330 dollars au coût brut de 550 dollars d’un iPhone. Or, les ventes d’iPhone ont représenté plus de la moitié du chiffre d’affaires d’Apple l’an dernier. Ces ventes stagnent depuis deux ans, faute de fonctionnalités d’intelligence artificielle suffisamment attractives. Toute hausse des prix risque donc de peser sur la demande.

Apple pourrait-elle relocaliser sa production aux États-Unis ?
Apple pourrait-elle relocaliser sa production aux États-Unis ?

Les revirements de Donald Trump offrent un répit à Apple. Comme en témoigne le rebond de la valeur de son action. Les investisseurs veulent croire qu’un accord entre les États-Unis et la Chine sur un tarif douanier acceptable finira par émerger. La suspension des droits pour les ordinateurs et les smartphones va dans ce sens. Les lobbyistes d’Apple ont d’ailleurs fortement œuvré pour infléchir la position du président américain. Mais face à une possible remontée des droits de douane, Apple pourrait voir ses marges historiquement élevées (46 % de son chiffre d’affaires en 2024) se réduire. Cette crainte contribue à la volatilité du titre.

Des possibles représailles chinoises ?

En pratique, l’entreprise pourrait absorber une partie des droits de douane sans répercuter la totalité sur les prix de vente. Elle pourrait aussi solliciter des concessions tarifaires de ses fournisseurs afin de préserver ses marges. Elle reste néanmoins exposée aux représailles chinoises. Comme l’instauration de contre-droits de douane sur certains composants (par exemple, le verre) ou des restrictions sur l’exportation de terres rares, susceptibles d’affecter ses sous-traitants.

Apple pourrait également perdre des parts de marché en Chine. Son chiffre d’affaires y a déjà reculé de 8 % l’an dernier, en raison d’une demande en baisse pour les iPhones et les iPads. Sensibles au climat politique, les consommateurs chinois pourraient accélérer cette tendance en faisant d’Apple le bouc émissaire des initiatives américaines. D’autant que les marques locales telles que Huawei, Oppo ou Xiaomi montent en puissance.

Apple pourrait-elle relocaliser sa production aux États-Unis ?

Apple est aussi dans le viseur des autorités chinoises. L’autorité de la concurrence envisage une enquête sur les frais imposés par Apple aux développeurs d’applications.

Pourrait-elle relocaliser sa production aux États-Unis ? Peu après l’investiture de M. Trump, ses dirigeants avaient annoncé un plan d’investissement de 500 milliards de dollars sur quatre ans. Une telle somme impliquerait de dépenser plus que son flux de trésorerie disponible qui s’élève à environ 100 milliards de dollars par an. Lors du premier mandat Trump, Apple avait déjà promis 350 milliards sur cinq ans. Un engagement réitéré sous l’administration Biden — sans être tenu. De sérieux obstacles technologiques freinent toute relocalisation à grande échelle.

Sans subventions massives, les coûts d’implantation de nouvelles chaînes de production sont prohibitifs. La relocalisation suppose également que les fournisseurs de composants s’installent aux États-Unis. L’exemple de TSMC, producteur de semi-conducteurs pour Apple, illustre ces difficultés. Plusieurs années et d’importantes aides publiques ont été nécessaires pour lancer une production en Arizona.

Le coût de fabrication d’un iPhone aux USA  serait environ trois fois plus élevé qu’en Chine ou au Vietnam.

Selon Wamsi Mohan, analyste chez Bank of America, transférer l’intégralité de la chaîne d’approvisionnement de l’iPhone aux États-Unis prendrait de nombreuses années, voire serait tout simplement irréalisable à ce jour. Le coût de fabrication d’un iPhone y serait environ trois fois plus élevé qu’en Chine ou au Vietnam. Le recours accru à la robotisation ne compenserait pas entièrement les surcoûts liés au foncier et à la fiscalité.

En raison de son modèle industriel et de sa dépendance à la Chine, Apple se trouve dans une situation plus précaire que la majorité des grandes entreprises américaines. Mais elle n’est pas la seule : d’autres firmes sont elles aussi exposées au risque chinois. Beaucoup exportent depuis des pays désormais contraints de négocier dans l’urgence un compromis douanier avec un président Trump toujours imprévisible.

Malgré ce sursis, les entreprises américaines ne sont pas encore tirées d’affaire. Apple est plus qu’une entreprise : c’est un thermomètre de la mondialisation. Sa dépendance à la Chine illustre les fragilités d’un modèle économique bâti sur l’optimisation des coûts et l’interdépendance des chaînes de valeur.

Apple est plus qu’une entreprise : c’est un thermomètre de la mondialisation.

La guerre commerciale, dans ses revirements et ses emballements, agit comme un révélateur des limites de cette stratégie. Entre volonté politique de relocalisation et réalité industrielle, le fossé reste béant. Donald Trump, par ses décisions souvent erratiques mais toujours spectaculaires, remet au cœur du jeu économique la souveraineté industrielle, le rapport de force diplomatique et la pression électorale. Apple, comme bien d’autres entreprises américaines, se retrouve à devoir arbitrer entre rentabilité immédiate et repositionnement stratégique.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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