ENTRETIEN. Le ministre délégué à l’Industrie et à l’Énergie Roland Lescure revient pour Euractiv sur l’Alliance des médicaments critiques, lancée à Bruxelles mercredi (24 avril). Composée de professionnels de santé, de représentants de l’industrie et des pouvoirs publics, son objectif est de renforcer la production de médicaments en Europe.
Euractiv. L’Alliance des médicaments critiques a été créée afin de relocaliser la production de médicaments en Europe, et mieux lutter contre les pénuries. Qu’est ce que cela va changer concrètement ?
Roland Lescure. Il y a beaucoup de travail qui doit se faire au niveau des États membres, notamment sur les enjeux de gestion de stocks et de livraison jusqu’aux patients.
Cela dit, tout ne peut pas se régler au niveau national. Il faut une politique européenne. Concrètement, l’Alliance permettra d’améliorer l’échange d’informations entre les États membres, pour anticiper les tensions et y répondre plus rapidement.
Ensuite, elle vise à changer les règles de la commande publique. De nombreux médicaments sont en effet achetés par la puissance publique. Si on change les règles de commande publique, on peut acheter plus français et européen, ce qui changera de manière très concrète les pénuries.
Le lancement de l’Alliance arrive à la fin de la mandature de la Commission européenne, à l’aune des élections européennes, et plus de trois ans après la crise Covid. Comment expliquer un tel calendrier ?
Il y a eu un réveil collectif européen. Si l’on arrive à faire une masse critique suffisamment forte de pays intéressés par de la production souveraine de médicaments, nous arriverons à convaincre les autres.
C’est comme pour l’alliance du nucléaire. On a commencé à onze et maintenant on est quinze, soit plus de la moitié des États membres. L’avantage des alliances, c’est de passer par des coopérations renforcées, sans nécessairement convaincre les 27.
À Bruxelles, vous avez également lancé un manifeste « en faveur d’un plan d’investissement coordonné pour faciliter les relocalisations », signé par huit États membres (Pays-Bas, Hongrie, Grèce, Italie, Malte, Slovaquie, Chypre et Roumanie). Quel est le sens de cet appel ?
Nous devons notamment coordonner en Européens nos plans de relocalisation et trouver des mécanismes de soutien économique adaptés. C’est l’un des sujets que l’on pousse dans notre manifeste : comment subventionner les projets de relocalisation pour assurer une meilleure garantie d’approvisionnement en médicaments et un approvisionnement plus « vert » ?
Je ne veux pas que l’on finance des canards boiteux. Je veux que l’on finance soit pour des raisons de souveraineté, soit pour des raisons environnementales.
Justement, l’industrie pharmaceutique a longtemps considéré les normes environnementales imposées par l’Union européenne comme l’un des freins à la compétitivité pharmaceutique de l’Europe…
C’est tout à notre honneur d’avoir une production plutôt propre, mais c’est effectivement l’un des enjeux majeurs sur lequel l’Alliance devra se pencher.
Aujourd’hui, on achète des produits moins chers en Asie. Il y a 40% d’écart de prix, dont la moitié vient de la qualité environnementale. Si on renforce les normes, on va réduire les écarts de prix.
Comment l’Europe peut-elle imposer ses normes environnementales, tout en restant compétitive face à l’Inde et la Chine qui produisent 60% à 80% des principes actifs de nos médicaments ?
Le problème, c’est que notre marché est ouvert à des produits qui sont fabriqués avec une qualité environnementale moindre, ce qui entraîne une concurrence imparfaite. En d’autres mots, il y a un désavantage de coût, car les normes sont différentes.
C’est là-dessus qu’il faut que l’on travaille dans le cadre de l’Alliance, pour pouvoir éventuellement instaurer à terme des clauses miroirs. C’est un peu la bombe atomique qui dit ‘si vous ne produisez pas comme nous, vous ne venez pas’.
Le risque n’est-il pas de se retrouver sans médicaments ?
Pour limiter ce risque, il faut encourager à produire « vert » grâce à des écarts de prix. L’idée serait de dire que quand vous achetez des médicaments faits en Europe, vous êtes prêts à les payer plus cher, car ils sont conformes aux standards environnementaux.
Mais cette politique de relocalisation n’aura ses pleins effets qu’à moyen terme. Ça a pris 25 ans pour délocaliser, ça prendra cinq ou dix ans pour relocaliser.
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