L’Allemagne paiera

L’Allemagne paiera

À la fin de la Première Guerre mondiale, la rengaine la mieux partagée, en France, était « l’Allemagne paiera », avec le résultat que nous connaissons : le déclin économique de la France, la montée du fascisme en Allemagne et la Seconde Guerre mondiale… Aujourd’hui, le slogan à la mode en France est : « les riches et les étrangers paieront ». Cette ritournelle facile pourrait déboucher sur de graves déconvenues.

La quête de l’équité fiscale en France

L’équité fiscale reposant sur la juste répartition des charges publiques est un objectif légitime. Notre système fiscal, dont la dernière grande réforme remonte aux débuts de la Ve République, est devenu un véritable maquis. Devant la complexité des impôts et leur archaïsme, les gouvernements ont, ces dernières années, supprimé certains prélèvements (taxe d’habitation sur la résidence principale, vignette automobile, redevance audiovisuelle). Ces suppressions, non accompagnées d’économies ailleurs, n’ont fait qu’accroître les difficultés financières de l’État. Pour atténuer la progressivité des impôts et leur poids, et pour orienter le comportement des ménages et des entreprises, les pouvoirs publics ont multiplié abattements, déductions et réductions. Ces « niches fiscales », dont le nombre dépasse 450, représentent un manque à gagner d’au moins 80 milliards d’euros. Une fois accordée, une niche devient un acquis dont la remise en cause exige une énergie rare. Par nature, leurs bénéficiaires sont les contribuables les plus aisés et les mieux conseillés, d’où un sentiment d’injustice chez ceux qui n’en profitent pas.

Une refonte du système est nécessaire en retenant le principe qu’un impôt efficace suppose une assiette large et des taux faibles. La suppression des niches devrait être gagnant-gagnant, le gain fiscal étant partagé entre l’État et les contribuables. La même logique pourrait s’appliquer aux aides publiques aux entreprises : leur disparition pourrait être compensée, en partie, par un allègement des charges sociales ou des impôts. Les exonérations de cotisations sur les bas salaires (environ 80 milliards d’euros) pourraient être remplacées par un abattement à la base applicable à tous les salariés, afin de rendre le barème plus progressif et de supprimer les effets de seuil. Ces mesures auraient l’avantage de rendre les prélèvements plus neutres sur le plan économique, tout en gagnant en efficacité.

Manifestation devant le Sénat, à Paris, le 12 juin 2025.
Lors d’une manifestation devant le Sénat, à Paris, le 12 juin 2025. ©EMMA DA SILVA/AFP

Cibler exclusivement les revenus les plus élevés, sans rien changer par ailleurs : l’idée est populaire mais n’est pas sans limites. Nous sommes tous le « riche » ou le « pauvre » de quelqu’un. S’en prendre aux milliardaires offre un avantage : ils sont peu nombreux. C’est aussi un inconvénient : ils sont très mobiles. Faut-il alors élargir la cible aux 10 % de Français les plus aisés, c’est-à-dire ceux qui gagnent plus de 4 000 euros par mois, soit autour de 6 millions de personnes ? Dans les faits, les trois quarts de cette population ne peuvent pas être réellement qualifiés de riches, surtout pour celles et ceux qui vivent en milieu urbain et ne sont pas propriétaires de leur résidence principale. Pour éviter cet écueil, l’effort de rétablissement des comptes publics pourrait être demandé aux ménages qui gagnent plus de 500 000 euros par an. Il y en a environ 65 000 en France. L’instauration d’une taxe exceptionnelle de 10 % pourrait générer, la première année, une recette comprise entre 7 et 9 milliards d’euros, ce qui ne comblerait même pas un quart des besoins en 2026. Une telle taxe pourrait inciter une partie des ménages concernés à s’expatrier ou à réduire leurs revenus déclarés ; il est fort probable que son rendement s’étiole au fil du temps.

La chasse aux étrangers

S’en prendre aux étrangers serait contre-productif. Premièrement, il convient de rappeler que les immigrés contribuent aux comptes sociaux, en payant des cotisations et en percevant, en moyenne, des prestations moindres que le reste de la population, en particulier pour la retraite et la santé. Leur apport à la valeur ajoutée du pays est important, autour de 15 %. Des secteurs comme le tourisme, la construction ou l’agriculture dépendent largement des travailleurs étrangers. La France a également besoin de l’étranger pour le financement de sa dette. Aujourd’hui, 55 % des émissions d’obligations sont souscrites par des non-résidents — américains, britanniques, néerlandais, luxembourgeois et allemands. Sans eux, les taux d’intérêt seraient à des niveaux bien plus élevés.

Au lieu de chercher des boucs émissaires, la voie crédible passe par une stratégie en trois temps : simplicité fiscale (assiette plus large, taux plus bas, niches rationalisées), efficacité de la dépense publique (évaluations systématiques, recentrage sur les missions à plus fort rendement social) et attractivité du territoire (stabilité des règles, coordination européenne contre l’érosion des bases, valorisation de l’apport des talents étrangers). C’est à ce prix que la France pourra rétablir ses comptes sans casser la croissance ni fracturer davantage la société.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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