Allemagne : le jour d’après.

Allemagne : le jour d’après.

L’Allemagne est devenue le triangle des Bermudes de l’économie européenne. Représentant un quart de la production de l’Union européenne, elle est en récession depuis deux ans, et cette année risque d’être la troisième. Son modèle économique reposait sur les exportations de produits manufacturés. Notamment vers la Chine, sur le gaz bon marché en provenance de Russie et sur la sécurité fournie par les États-Unis. Or, en quelques mois, ce modèle s’est fissuré avec le déclenchement de la guerre en Ukraine. Mais aussi la transition écologique, l’isolationnisme américain.

Le soutien d’Elon Musk à l’AfD a créé un choc dans une large partie de la population allemande. Incitant certains consommateurs à boycotter Tesla, dirigée par ce dernier. Jusqu’à présent, les États-Unis étaient perçus comme des alliés et les garants en dernier ressort de la sécurité extérieure.

L’Allemagne devrait être gouvernée par une nouvelle coalition après les élections du 23 février, avec la CDU comme parti pivot. Plusieurs mois seront sans nul doute nécessaires pour élaborer le contrat de coalition. Cet attentisme risque de fragiliser davantage l’économie allemande. Quoi qu’il arrive, la possible nomination de Friedrich Merz comme chancelier constituera une rupture. Car ce dernier n’a jamais été ministre. Il a été simplement le président du groupe parlementaire de la CDU. Il est aussi connu pour avoir été un opposant interne à Angela Merkel lorsqu’elle dirigeait le parti. Sa prise de fonction interviendra à un moment charnière.

De nombreux gouvernements en Europe ne disposent pas de majorité parlementaire stable

Les négociations sur l’Ukraine seront cruciales pour l’avenir de la sécurité en Europe, qui apparaît affaiblie tant économiquement que diplomatiquement. De nombreux gouvernements ne disposent pas de majorité parlementaire stable. Comme en France, en Espagne, en Belgique, aux Pays-Bas ou en Autriche. De son côté, la France est confrontée à des difficultés financières de premier ordre. Avec un déficit public dépassant les 5 points de PIB. Le couple franco-allemand a perdu de son lustre, les autres États membres réclamant une gouvernance plus équilibrée au sein de l’Union européenne. Certains pays, comme la Hongrie, la Bulgarie ou la Slovaquie, contestent ouvertement la ligne de la Commission européenne et se sont rapprochés de la Russie.

Merz, un libéral aux accents conservateurs

Friedrich Merz est un libéral convaincu sur le plan économique, partisan du libre-échange et de l’alliance atlantique. Il s’est engagé à refonder le modèle allemand en luttant contre la bureaucratie et en replaçant son pays au centre du leadership européen. Il défend l’idée d’un grand marché unique des capitaux mais s’oppose à tout fédéralisme budgétaire.

Sur la question migratoire, il a adopté une ligne dure afin de réduire l’attractivité de l’AfD. En présentant une motion non contraignante au Bundestag, appelant à une remise en cause des engagements de l’Allemagne en matière de libre circulation en Europe, il a créé un précédent. Le texte a été adopté avec le soutien de l’AfD. Cela a provoqué des tensions au sein de la CDU, notamment avec Angela Merkel et plusieurs figures du parti.

Friedrich Merz, leader de l'alliance conservatrice entre la CDU et la CSU, s'exprime à Berlin après le résultat des élections législatives allemandes, le 23 février 2025. ©ODD ANDERSEN / AFP
Friedrich Merz, leader de l’alliance conservatrice entre la CDU et la CSU, s’exprime à Berlin après le résultat des élections législatives allemandes, le 23 février 2025. ©ODD ANDERSEN / AFP

Toujours dans l’optique de séduire l’électorat nationaliste, il s’oppose au projet de rachat de la Commerzbank par UniCredit. Sur le frein à l’endettement, une disposition constitutionnelle interdisant au gouvernement d’augmenter l’endettement public, il s’est dit ouvert à une discussion sur un assouplissement. Le tout en précisant que ce ne serait pas une priorité. Sa prudence s’explique par la réticence des électeurs conservateurs à toute augmentation des dépenses publiques.

Une politique étrangère entre pragmatisme et incertitudes

Sur le terrain diplomatique, Friedrich Merz est tiraillé entre son attachement aux liens privilégiés avec les États-Unis et ses craintes vis-à-vis de la politique de Donald Trump. Si des négociations entre Trump et Poutine aboutissent à un cessez-le-feu en Ukraine, la Russie restera une menace existentielle pour l’Europe. Contrairement à l’AfD, il ne prône pas un rapprochement immédiat avec Moscou pour bénéficier du gaz russe à bas coût. En matière de défense, il reste également prudent. L’OTAN impose aux membres de consacrer 2 % du PIB à la défense chaque année. L’Allemagne, historiquement en retard sur cet engagement, a créé un fonds spécial sous l’impulsion d’Olaf Scholz après l’invasion de l’Ukraine en 2022. Ce fonds s’épuisera dans les deux prochaines années.

Compte tenu de la menace russe, le seuil de 2 % apparaît insuffisant. Donald Trump exige désormais que les Européens portent leur effort militaire à 4 % du PIB, tout en envisageant une réduction de l’engagement américain au sein de l’OTAN. Selon les experts, pour garantir une défense crédible, les Européens devraient viser 3,5 % du PIB dans les prochaines années. Friedrich Merz refuse pour l’instant d’ouvrir cette discussion et s’oppose fermement à tout emprunt communautaire pour financer les dépenses militaires, rejetant ainsi le modèle du plan NextGeneration EU ou un assouplissement des critères de Maastricht.

Une coalition fragile face à de lourds défis

La politique de Friedrich Merz dépendra de la composition de sa coalition. Son programme pourrait être sensiblement différent si les écologistes sont intégrés au gouvernement. La lourde défaite des sociaux-démocrates compliquera l’élaboration du contrat de gouvernement. La CDU cherchant à imposer une grande partie de son agenda. Les réalités économiques et diplomatiques risquent cependant de limiter fortement les marges de manœuvre du nouveau gouvernement. Il devra faire face à des demandes multiples en provenance des industriels allemands. Ces derniers souhaitent ainsi que la taxe sur le gaz soit supprimée et que le gouvernement fasse pression sur l’Union européenne afin d’obtenir une réforme du système des certificats de CO2.

De même, la décision de l’Union annoncée au début du mois de février dernier d’augmenter les droits de douane, sur les engrais en provenance de Russie et de Biélorussie au cours des trois prochaines années, soulève une réelle hostilité Outre-Rhin. Le patronat doute de la capacité de la prochaine coalition à modifier la donne. Elle met en avant la nécessité de réduire les prélèvements afin d’arrêter la chute de la production industrielle, -10 % en deux ans. Face à ces récriminations, Friedrich Merz a promis de réduire le taux d’imposition des sociétés de 30 % à 25 %.

Si la CDU remporte les élections, le parti souhaite réduire les taxes sur l’électricité et les frais de réseau d’au moins cinq centimes par kilowattheure. Mais également réduire la bureaucratie, assouplir les règles sur les heures de travail, permettre aux retraités salariés de gagner 2 000 euros supplémentaires par mois sans payer d’impôts et assouplir les restrictions en matière de construction. Les représentants des entreprises auraient aimé que le candidat s’engage sur une réforme du système public des retraites jugé coûteux. Ils craignent par-dessus tout que la CDU ne soit pas en mesure de tenir ses promesses.

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