Allemagne : de la crise industrielle à la crise politique

Allemagne : de la crise industrielle à la crise politique

Le spectre de la désindustrialisation hante l’Allemagne. Longtemps, ce pays a été une exception en Europe, en conservant une industrie compétitive et exportant dans le monde entier. L’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022 a marqué une rupture, bien que des fissures lézardaient l’économie allemande depuis plusieurs années. La hausse des prix de l’énergie a mis en évidence la fragilité de l’industrie allemande, de plus en plus concurrencée par celles des pays émergents, notamment la Chine. La désindustrialisation est devenue une réalité.

Vague de fermetures et de suppressions d’emplois : l’industrie allemande sous pression

La déclaration de Daniela Cavallo, principale représentante des travailleurs de Volkswagen, selon laquelle l’entreprise fermerait au moins trois usines en Allemagne, supprimerait des dizaines de milliers d’emplois (30 000 selon les rumeurs) et réduirait les salaires de 10 % (18 % pour certains), a été un choc. En 87 ans d’existence, cette entreprise n’avait jamais fermé d’usine en Allemagne. La restructuration de VW est liée à l’annonce d’une baisse de 64 % de son bénéfice net en glissement annuel au troisième trimestre, principalement due à la faiblesse des ventes de ses voitures en Chine.

En février dernier, Miele, fabricant d’appareils électroménagers, a prévu de délocaliser une partie de sa production en Pologne, affectant ainsi 700 emplois à Gütersloh en Rhénanie du Nord-Westphalie, siège de l’entreprise familiale vieille de 125 ans. Continental, un équipementier automobile, supprime 7 000 emplois et ferme des sites. Michelin, fabricant de pneumatiques français, supprime 1 500 emplois en Allemagne et ferme des usines. En juillet, ZF Friedrichshafen, un autre équipementier automobile allemand, a annoncé la suppression de 14 000 emplois d’ici 2028.

Face à la désindustrialisation et à la crise énergétique, l'Allemagne connaît une période de turbulences économiques et politiques. Licenciements massifs et fermetures d’usines ébranlent l’industrie, et la crise s’étend jusqu’au sommet de l’État, menaçant la stabilité du gouvernement de coalition et potentiellement ouvrant la voie à des élections anticipées.
Face à la désindustrialisation et à la crise énergétique, l’Allemagne connaît une période de turbulences économiques et politiques. Licenciements massifs et fermetures d’usines ébranlent l’industrie, et la crise s’étend jusqu’au sommet de l’État, menaçant la stabilité du gouvernement de coalition et potentiellement ouvrant la voie à des élections anticipées. / @adobestock

Un tiers des entreprises prévoient une réduction de leurs investissements en Allemagne

Selon une étude de la Chambre Franco-Allemande de Commerce et d’Industrie (DIHK), un tiers de toutes les entreprises et deux cinquièmes des entreprises industrielles interrogées prévoient une réduction de leurs investissements en Allemagne. Seules 19 % des entreprises industrielles jugent leur situation actuelle « bonne », tandis que 35 % la qualifient de « mauvaise ». Selon Moritz Schularick, directeur de l’Institut de recherche sur l’économie mondiale de Kiel, une crise chez un grand constructeur automobile pourrait inciter le gouvernement à changer de politique.

Le 29 octobre, le chancelier Olaf Scholz a organisé un « sommet » avec des personnalités du monde des affaires, dont Oliver Blume, patron de VW, et les dirigeants de Siemens et BASF, géants de l’ingénierie et de la chimie, ainsi que des leaders syndicaux, pour discuter des moyens d’atténuer les difficultés de l’industrie. Ce sommet n’a pas débouché sur un plan de grande ampleur. Des aides pour faire face à la hausse des prix de l’électricité et des mesures pour réduire les formalités administratives ont été évoquées.

Il a été question, par exemple, de supprimer la loi obligeant les grandes entreprises à vérifier si leurs fournisseurs dans le monde respectent les droits de l’homme et les normes environnementales. Le chancelier a tenu ce sommet sans prévenir Christian Lindner, son ministre libéral des Finances, ni Robert Habeck, son ministre vert de l’Économie. Lindner a décidé d’organiser un contresommet et a proposé la création d’un fonds d’investissement pour aider les entreprises. Ce double sommet a provoqué une crise gouvernementale sans précédent depuis près de cinquante ans.

Des élections au plus tard fin mars

Le chancelier a limogé son ministre des Finances et a l’intention de poser la question de confiance au parlement en janvier ce qui pourrait ouvrir la voie à des élections au plus tard fin mars. En effet, sans le FPD, la coalition n’a plus la majorité au Bundestag. De son côté, le ministre de l’Economie issu des Verts, Robert Habeck, a annoncé briguer le poste de Chancelier. Après la France, l’Allemagne entre dans une période d’incertitudes politiques inédite.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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