L’Allemagne à la croisée des chemins

L’Allemagne à la croisée des chemins

Pendant une vingtaine d’années, l’Allemagne, première puissance économique de la zone euro, a représenté un modèle en Europe avec des déficits publics faibles, des excédents commerciaux élevés et un taux de chômage réduit. Depuis 2023, cependant, l’économie allemande s’est enrayée en raison de la hausse du coût de l’énergie et de la concurrence chinoise sur le marché automobile. Après deux années de récession, le nouveau chancelier, Friedrich Merz, a lancé un plan massif d’investissement dans les infrastructures, 2,8 % du PIB par an jusqu’à la fin de la décennie, assorti d’un amortissement accéléré des investissements. Cette relance suffira-t-elle à compenser les faiblesses structurelles ?

Covid, Ukraine, etc…

Depuis 2018, la production manufacturière allemande a reculé de près de 15 %, et le PIB réel a enregistré deux années consécutives de contraction (-0,7 % en 2023, -0,5 % en 2024). En 2025, le PIB pourrait légèrement augmenter en cas de reprise au cours du quatrième trimestre. La productivité par tête, après une progression quasi continue depuis 2010, s’érode depuis 2021 et est revenue à son niveau de 2018.

La guerre en Ukraine, survenue deux ans après le Covid, a durement frappé l’Allemagne en remettant en cause la compétitivité de son industrie. En deux ans, le prix du gaz naturel européen est passé de 50 à plus de 300 euros/MWh. L’industrie allemande a également perdu d’importants débouchés en raison du développement de la Chine et de la transition écologique. Centrée sur l’automobile, la mécanique, la chimie et l’équipement électrique, elle a manqué le virage du véhicule électrique. Elle demeure par ailleurs absente des secteurs de pointe tels que les technologies de l’information et de la communication. L’augmentation des droits de douane américains pèse aussi sur les exportations : les États-Unis constituent le premier marché pour l’Allemagne. Celle-ci paie sa dépendance au commerce extérieur, qui absorbe 50 % de sa production industrielle. La demande intérieure reste atone en raison du vieillissement démographique. Le taux de fécondité demeure bas (1,35 enfant par femme), tandis que la part des plus de 60 ans passera de 29 % de la population en 2025 à 36 % en 2040. Ce basculement démographique raréfie la main-d’œuvre, freine la consommation et renchérit les dépenses sociales.

Désindustrialisation en Allemagne aussi

Si, à la différence du Royaume-Uni ou de la France, l’Allemagne avait réussi à échapper à la désindustrialisation jusqu’en 2022, elle connaît depuis une crise industrielle de grande ampleur. La valeur ajoutée manufacturière est passée de 23 % du PIB à 19,6 % entre 2014 et 2024.

Un employé installe un siège de voiture dans un véhicule à l’usine Volkswagen de Wolfsburg, en Basse-Saxe, en mai 2024.
Un employé installe un siège de voiture dans un véhicule à l’usine Volkswagen de Wolfsburg, en Basse-Saxe, en mai 2024. ©MORITZ FRANKENBERG / dpa/AFP

À ces fragilités s’ajoute une dégradation du système éducatif. Autrefois citée en modèle par l’OCDE, l’Allemagne recule spectaculairement dans les enquêtes PISA : son score global passe de 515 points en 2012 à 482 en 2022, soit un recul de 33 points en dix ans. Si le niveau de formation est proche de celui de la France (478 points), l’Allemagne s’éloigne nettement de pays comme la Finlande (495 points) ou le Japon (533).

Le chancelier Friedrich Merz entend provoquer un électrochoc. Il a obtenu l’abandon du frein budgétaire afin de permettre à l’Allemagne de s’endetter pour relancer son économie. Il a annoncé un plan de 500 milliards d’euros d’investissements publics sur douze ans, dans les transports, l’énergie et la transition climatique. Il a également instauré un régime d’amortissement accéléré des investissements (30 % par an), une baisse de 5 points de l’impôt sur les sociétés à partir de 2028, ainsi qu’une prime renforcée à la recherche. Par ailleurs, les dépenses militaires seront portées à 3,5 % du PIB.

Ce stimulus budgétaire reste néanmoins modéré. Le déficit public devrait passer de 2,8 % du PIB en 2024 à 3,8 % en 2027, soit une dérive de 0,33 point de PIB par an. Même avec un multiplicateur budgétaire favorable, l’effet sur la croissance serait limité à + 0,5 % du PIB cumulé entre 2025 et 2027, insuffisant pour inverser la tendance récessive. Si l’Allemagne avait respecté ses anciennes règles d’équilibre, elle aurait dû réduire ses dépenses de 2,5 points de PIB, ce qui aurait prolongé la récession.

Comme le reste de l’Europe, l’Allemagne est confrontée à une baisse de sa croissance potentielle, c’est-à-dire la croissance obtenue en neutralisant les aléas conjoncturels et déterminée par l’évolution de la population active et de la productivité. Celle-ci se situe autour de 0,6 %.

L’Allemagne doit accomplir un effort de modernisation axé sur la recherche, l’innovation et la formation pour retrouver le chemin de la croissance. Elle doit réduire le coût de l’énergie et se positionner sur les secteurs porteurs. Le recours à l’immigration constitue également une réponse possible. Pour la première puissance européenne, il ne s’agit pas d’une crise conjoncturelle mais d’un changement d’époque.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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