Accord fiscal franco-belge : la fin d’un avantage vieux de 60 ans

Accord fiscal franco-belge : la fin d’un avantage vieux de 60 ans

Depuis plusieurs jours, l’inquiétude monte chez certains de nos compatriotes. La raison : une information envoyée par le service des impôts qui annonce un accord fiscal franco-belge … sonnant la fin d’un avantage vieux de 60 ans. Lesfrancais.press vous explique la situation en détail.

D’une situation fiscale privilégiée…

Jusqu’à récemment, les agents publics français résidant en France mais exerçant en Belgique bénéficiaient d’une situation fiscale privilégiée : leurs rémunérations échappaient à toute imposition en Belgique. Cette exception reposait sur l’article 10 §3 de l’ancienne convention fiscale franco-belge du 10 mars 1964, qui permettait l’imposition exclusive dans l’État de résidence si l’agent possédait la nationalité de celui-ci.

… à une décision administrative brutale

Cette règle visait à respecter le principe de réciprocité entre États et à préserver la neutralité fiscale. Dans les faits, les frontaliers français, souvent soumis à une fiscalité plus clémente en France, y trouvaient un avantage net. Nombreux étaient ceux qui, tout en travaillant pour des institutions publiques belges (établissements scolaires, collectivités, hôpitaux publics), déclaraient leurs revenus en France, évitant ainsi le précompte professionnel belge. Cette asymétrie profitait principalement aux Français travaillant en Belgique, étant donné le nombre limité de Belges dans la situation inverse. Un accord amiable franco-belge sonne donc la fin de cet avantage vieux de soixante ans avec une brutalité administrative étonnante.

Un accord conforme aux normes internationales et une réponse à une impasse juridique

Dans le sillage de la signature d’une nouvelle convention fiscale franco-belge le 9 novembre 2021, les deux administrations ont conclu un accord amiable en mars 2025. Cet accord interprétatif porte sur l’article 18 de la nouvelle convention, qui remplace l’ancien article 10. Il confirme désormais une lecture plus stricte du principe d’imposition à la source. Même pour les agents résidant dans l’autre État.

@Adobestock
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En d’autres termes, sauf exceptions strictement définies, les traitements publics sont imposables dans l’État payeur. Y compris lorsque le fonctionnaire concerné réside de l’autre côté de la frontière. Cela répond à une volonté commune de mise en conformité avec les principes de l’OCDE. C’est notamment l’un des objectifs du cadre BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) et de l’Instrument multilatéral (MLI) signé à Paris en 2017, qui vise à faire en sorte que les revenus soient imposés là où la valeur est effectivement créée.

L’arrêt Schumacker (CJCE, 14 février 1995, C-279/93) avait pourtant consacré un principe d’égalité de traitement fiscal pour les non-résidents tirant l’essentiel de leurs revenus dans un État membre, permettant l’octroi d’avantages similaires à ceux des résidents. Cependant, la Cour n’a pas remis en cause les accords bilatéraux fondés sur la nationalité, dans la mesure où ces derniers ne constituaient pas une discrimination directe prohibée par le droit communautaire.

Le nouvel accord franco-belge évite donc la critique juridique en se fondant sur la légitimité de conventions internationales et en s’alignant sur le modèle OCDE de 2017, auquel les deux États ont adhéré. Toutefois, cette clarification tardive rompt brutalement avec une pratique de plus de 60 ans, sans mesure transitoire.

Un accord à effet potentiellement rétroactif

L’accord du 17 mars 2025 est appliqué par l’administration belge aux revenus perçus en 2024, soit avant même sa signature. Cette rétroactivité de fait soulève une série de critiques juridiques et politiques, d’autant plus qu’aucune clause transitoire n’est prévue. Plusieurs éléments accentuent le caractère problématique de cette application immédiate :

  • Le changement de doctrine intervient après l’année fiscale concernée, alors que les agents ont déjà organisé leur déclaration sur la base des règles antérieures.
  • Contrairement au régime du secteur privé, qui prévoit une transition jusqu’en 2033 pour les anciens frontaliers, aucune période d’adaptation n’a été envisagée ici.
  • Les retenues de précompte professionnel en Belgique ont été opérées rétroactivement dès le printemps 2025 sur les traitements de 2024.
  • Cette rupture remet en cause la sécurité juridique des contribuables et pourrait entraîner des doubles impositions si les revenus ont d’ores et déjà été déclarés en France.
@Adobestock
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Quelles voies de recours pour les contribuables concernés ?

Face à cette requalification fiscale soudaine, les agents publics concernés disposent de recours limités mais existants :

  • Recours administratif en Belgique : ils peuvent contester la retenue à la source en invoquant l’inapplicabilité immédiate de l’accord amiable ou une mauvaise interprétation de la convention.
  • Procédure amiable entre États : prévue à l’article 24 de la convention, elle permet aux deux administrations fiscales de résoudre un cas de double imposition. Cette voie est peu rapide et sans garantie.
  • Recours juridictionnel : ils peuvent saisir les juridictions fiscales nationales, en France ou en Belgique, mais les chances de succès sont incertaines en l’absence de jurisprudence européenne contraignante dans ce contexte.
  • Mobilisation politique : plusieurs élus français ont attiré l’attention du gouvernement sur les effets de ce changement. Deux questions parlementaires, notamment celles de Michelle Gréaume (Sénatrice du Nord-CRCE) du 9 février 2023 et de Véronique Guillotin (Sénatrice Meurhe et Moselle – RDSE) du 10 juin 2023, ont souligné les conséquences sociales pour les familles frontalières. Une demande de période transitoire a été formulée, notamment pour le personnel infirmier.

Un besoin criant de clarté et d’équité

L’accord du 17 mars 2025 met donc fin à une ambiguïté juridique ancienne. Mais il le fait dans une forme qui ébranle la confiance des agents publics frontaliers. Sans communication claire, sans période de transition, et sans mécanisme d’accompagnement, il frappe de plein fouet des familles qui avaient fondé leur stabilité financière sur un régime légalement établi.

Toutefois, côté belge, le gouvernement a réagi aux annonces de son administration. Ainsi  le Vice-premier ministre et ministre des Finances et des Pensions, Jan Jambon, a expliqué qu’il n’y aurait pas d’imposition pour cette année et 2024. « Les administrations ont effectivement conclu un accord interprétatif qui pose de nombreux problèmes. J’ai demandé de prévoir des mesures transitoires. Il ne peut pas y avoir de rétroactivité. Une période transitoire sera mise en place jusqu’à la fin de l’année au moins », a déclaré le Ministre devant ses parlementaires. Mais qu’elle sera la position de la France ? Pour obtenir un accord, il faut être deux.

Autre acteur, la « Task Force Frontaliers 3.0 de la Grande Région », financée entre autres par la Chancellerie d’État du Land de Sarre, le Ministère du travail du Luxembourg, la Région Grand Est, ou par les chambres de représentants du Grand Est, a analysé cette convention fiscale. Elle appelle à la prudence, à l’information des agents concernés et, surtout, à une clarification rapide des effets du télétravail sur l’imposition des traitements publics. Il est impératif d’éviter que des divergences d’interprétation entre les deux États ne donnent lieu à des doubles impositions ou à des contentieux interminables.

Ce qui est certain, c’est que la modification fiscale semble bel et bien entérinée. Plus qu’une affaire technique, cette réforme soulève des enjeux humains, politiques et sociaux majeurs des deux côtés de la frontière, soulevant des inquiétudes légitimes chez nos compatriotes français.

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