À la gare centrale de Varsovie, j’ai rencontré des héros ordinaires, discrets et humbles dans la solidarité : les Polonais se mobilisent spontanément pour accueillir des milliers de réfugiés ukrainiens.
Lundi 7 mars. L’horloge centrale affiche 22h30. Le hall de la principale gare de Varsovie est plein à craquer. Et il en est ainsi des deux autres gares de la ville. Les réfugiés affluent sans discontinuer. La Pologne accueille déjà plus d’un million deux cent mille ukrainiens. Ceux qui ne sont pas partis vers la Hongrie ou la Turquie convergent ici, vers la capitale polonaise, parfois en simple étape d’un périple vers l’ouest de l’Europe. Certains ont fui directement les bombes, les chars russes et des zones de guerre. Mais tous ont fui la peur et l’angoisse, l’incertitude d’un conflit qui en est à son douzième jour.
Varsovie, havre de paix
Les trains déposent ces personnes éprouvées par vagues permanentes. A chaque heure du jour et de la nuit. L’exil prend la forme d’un flux humain continu. Ces réfugiés débarquent dans une ville inconnue qui fait office de havre de paix pour ceux qui ont dû tout quitter. Beaucoup ont connu la longue attente dans le froid à la frontière. Les plus chanceux ont ici à Varsovie un ami ukrainien. Un parent. Un vague cousin. Mais la plupart ne peuvent compter sur aucun contact précis et doivent compter sur la générosité des Polonais. Comble de malchance : la hryvnia, la monnaie ukrainienne, n’a plus cours en Pologne. Les bureaux de change refusent désormais de l’acheter. A moins de faire des démarches chronophages auprès d’une banque nationale, ses billets sont devenus aussi utiles que du papier à jeter.
Paul ou comment aider spontanément
Paul Lasinski, un ami journaliste franco-polonais, porte deux grands sacs pleins à craquer. De l’eau. Des médicaments et des serviettes hygiéniques. Il passe à la gare presque tous les jours. Alors, ce soir, c’est lui qui fait mon éducation aux premiers secours dans une supérette voisine où nous complétons ses achats : « Tu ne dois prendre que les produits directement utilisables, emballés individuellement, pour faciliter le tri et la distribution ». Le coffre de sa voiture est rempli de produits de première nécessité. Et les vivres s’entassent dans la gare. La générosité des Polonais se mesure à la hauteur des piles de denrées. Paul précise : « En journée c’est différent. Certains produits sont plus vite épuisés que de nuit. Les trains n’arrêtent pas de déposer des gens. C’est clair : on va finir par être débordés ». Il tend au jeune bénévole blond et tonique les soupes lyophilisées qui trouveront bientôt preneur. Elles disparaissent derrière un comptoir en demi-cercle qui sert de lieu de stockage.
Nous retournons à sa voiture pour compléter notre livraison. Dehors, sur l’avenue Chalubinskiego, nous croisons dans la pénombre un couple de quinquagénaires chargés de lourds cabas. Mines placides. Pas assurés. La solidarité polonaise est sans éclat. Efficace et discrète. D’autres groupes arrivent aux abords de la gare. Des jeunes, nuques épaisses, biceps tatoués et allures de supporters de foot nerveux, les bras débordant de cartons remplis à ras-bord. Tous convergent vers le grand bâtiment gris et massif, reliquat d’architecture communiste des années 1970 noyé aujourd’hui au milieu de buildings flambants neufs. Le palais de la culture, réplique parfaite de son jumeau de Moscou, impose sa silhouette éclairée comme une lanterne magique. « Offert » à l’époque par Joseph Staline, ce même bâtiment rappelle plus tristement que c’est aussi un homme russe, Vladimir Poutine, qui est responsable – là aussi – d’un désastre humanitaire. Dans la ville des affiches le comparent à un nazi. Visiblement, les Russes n’ont pas ici que des amis.
Cette fois-ci nous déposons des coussins. A peine déposés, ils sont saisis par une femme qui les récupère et qui repart rapidement, déjà engloutie par la foule. Tant de gens à l’intérieur. Mais tant de calme. Ça circule avec fluidité dans le hall. Deux agents de police veillent de façon débonnaire à la sécurité. Mais la placidité est collective. Dignité dans la souffrance du peuple ukrainien. Au fond de la gare, devant les guichets, une longue file patiente silencieusement. C’est ici que les réfugiés peuvent récupérer un billet de transport gratuit, sésame vers d’autres régions polonaises ou vers les promesses de l’ouest. Montrer son passeport tamponné avec une date postérieure ou égale au 24 février suffit : jour armé, jour désormais sinistre dans la mémoire des Européens. Jour du déclenchement du conflit et jour de baptême des réfugiés.
ci en Pologne la prise de conscience a été collective. Ce pays – habitué par sa longue histoire tourmentée à subir des calamités durables venues de l’Est – est sur le pied de guerre. Un projet de loi en discussion à la Diète, la chambre basse du parlement national, prévoit de porter les effectifs de l’armée de 250 000 hommes à 300 000 hommes. L’OTAN y est déployé et ce sont principalement des avions américains qui assurent pour l’heure « la police du ciel ». Une nouvelle fois, les Polonais se sentent en première ligne européenne, gardiens de la bordure extérieure. Ils ne sont pas seuls. La visite de la vice-présidente américaine est annoncée pour la semaine suivante, tout comme le déploiement de missiles Patriot.
La menace de la guerre plane sur Varsovie
La menace de la guerre plane sur Varsovie
Notre civilisation européenne et nos valeurs sont mortelles car sous le feu possible de l’arsenal nucléaire russe. Personne ne fait confiance au président russe et beaucoup mettent en doute son équilibre mental ou sa santé physique.
L’armée de Poutine piétine dans les faubourgs de Kiev et déplorerait déjà de 2 à 3000 morts. On raconte ici en Pologne que les Russes ne voudraient pas reconnaître ces décès, refusant d’avouer leurs faiblesses militaires face à la courageuse armée ukrainienne et que les cadavres seraient abandonnés en conséquence sur le champ de bataille. Preuve que la désinformation et les rumeurs nourries par l’anxiété collective règnent souvent en temps de guerre…
L’ouest de l’Europe a en tout cas découvert l’Ukraine et sa géographie. Le Donbass, pourtant en guerre depuis 2014, est enfin devenu familier aux Français.
Un exemple de solidarité concrète
Paul, le binational, raconte sa prise de conscience : c’était un jeudi. Après une journée à structurer un dossier pour Science et Vie Découvertes, magazine jeunesse pour lequel il bosse. Ce jour-là il fait une pause-café en scrollant les réseaux sociaux sur son smartphone. Et sans surprise les images du conflit se déversent et l’image d’une multitude de réfugiés dans la détresse s’impose à l’écran. Un flash dans sa tête. Se rendre utile. Aller à la rencontre de ce peuple voisin. Aider. Paul se lève, fonce vers la supérette la plus proche. Entretemps, il mobilise son entourage qui achète pour plus de 1000 euro de médicaments. Il embarque tout ce que le coffre de sa voiture de sport peut contenir. Le temps de passer un coup de fil à son amoureuse pour lui dire de ne pas l’attendre pour le dîner et il est parti vers la frontière. « Pour aider en direct. Sans intermédiaire. Sans attendre. Je suis parti vers un point de passage le plus proche de chez moi, à 3 heures de route, au plus près de la Biélorussie. Je n’avais pas vraiment idée de là où j’allais. ». Après avoir déposé ses dons et les médicaments, il en reviendra avec deux personnes hébergées le soir même, chez lui. Le lendemain, au petit matin, il les déposera à la gare dans un train qui les emmènera vers leurs proches, au nord de la Pologne. Aider c’est simple quand on y met du cœur.
Des bénévoles polonais en action à la gare centrale
Dans le hall de la gare, les bénévoles sont affairés derrière de grandes tables. Jeunes pour la plupart. Polyglottes et devenus professionnels dans leur manière de gérer l’urgence. On ne voit aucune ONG institutionnelle qui ait pignon sur rue. La solidarité polonaise est active mais autogérée. C’est la générosité d’un peuple jusque-là divisé par la politique gouvernementale du PiS et harassé par une gestion critiquable de l’épidémie de Covid qui l’a fait redevenir grand et uni face à l’épreuve de la guerre à ses frontières. Les Ukrainiens sont des frères et sœurs. Accueillis comme tels. Aucun chichi. Les Polonais sont des faiseurs. Pas des causeurs.
Le gouvernement PiS restaure son image
Parmi les bénévoles qui s’activent on se fiche de savoir qui soutient le parti droit et justice ou pas. Le PiS, parti au pouvoir pointé du doigt par les autorités européennes, est soudain redevenu fréquentable après des années d’atteintes à l’état de droit et à l’indépendance de la justice. Le gouvernement est en première ligne face à une crise migratoire inédite par son ampleur depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ici dans cette gare, peu importe si tu fais du business et que tu votes PO, le parti libéral et pro-européen. Ici la seule politique qui vaille ce soir, c’est celle de la main tendue à l’autre. Ici les réfugiés repartent avec des bananes, des gâteaux secs, du café. Ils s’en vont avec un sourire ou un mot d’encouragement. Déjà un peu réconfortés.
Les anges gardiens de la route : des conducteurs bénévoles
Certains réfugiés s’organisent un téléphone à la main. Les plus jeunes surtout. Qui paraissent déjà prêts à partir. Dehors, une file de voitures et de minibus circule au pas devant le bâtiment de béton gris. Des groupes embarquent avec quelques bagages. Personne n’est lourdement chargé. Ils ont embarqué le strict nécessaire. Mais sans oublier les animaux de compagnie. Chiens, chats, lapins ou hamsters font partie du voyage. Un cousin à Hambourg ? Une solution de repli à Bratislava ? On est partis ! Nombreux sont les Polonais à s’improviser chauffeurs de longue distance pour convoyer gratuitement ces personnes vers la prochaine étape de leur périple de peine.
Polonais et Ukrainiens ne parlent pas la même langue. C’est donc parfois en silence qu’ils partageront l’intimité d’un habitacle sur quelques centaines de kilomètres. La voiture est chauffée. Et elle est sûre. La passagère et ses enfants récupèrent sur la banquette arrière pendant qu’un homme inconnu et aidant les convoie sur une route qui ne risque pas d’être bombardée.
On se quittera dans le matin blême, à côté d’un immeuble lointain, dans une ville parfois étrangère à chacun. Une accolade. Un sourire qui précède un timide « Do widzenia ». (Au revoir en polonais) A croire que c’est ainsi que grandit l’idée d’une véritable fraternité européenne…
La première vague de réfugiés, celle des plus débrouillards
Des voitures avec des plaques ukrainiennes sont garées aux abords de la gare. Parfois des grosses berlines très récentes. Ceux-là sont venus par leurs propres moyens. Paul encore « ceux qui sont arrivés à Varsovie sont la première vague. Souvent les plus éduqués, les plus débrouillards. Et Kiev compte des notables et une bourgeoise prospère. Ils sont arrivés rapidement, s’adaptant à la nouvelle situation, sans avoir subi le danger grandissant de jour en jour. Le pire ce sera bientôt. Les personnes pauvres, sans repère, sans contacts. Ceux qui viendront de plus loin. Plus fatigués. Chargés d’images atroces vues au cours de leur périple. C’est une crise qui va durer sauf si Zelensky et Poutine trouvent un compromis. Il leur faudra peut-être céder l’est du pays aux Russes, la Crimée et l’accès aux ports… C’est triste mais il faut espérer le un moindre mal ».
À la gare, des jeunes Ukrainiens qui parlent anglais recueillent des informations auprès des Polonais de leur âge. Les transports publics sont gratuits. C’est l’engagement du maire de Varsovie et des pouvoirs publics. Ce petit groupe a trouvé un hébergement en ville. Les cités universitaires offrent des lits vacants. D’autres sont simplement en attente d’une solution d’hébergement plus long.
Des réseaux sociaux utiles pour organiser la solidarité locale
Les groupes Facebook fonctionnent parfaitement bien. Les posts tombent en continu sur les groupes de solidarité polonais. On a besoin d’un hébergement pour une famille ukrainienne avec trois enfants en bas âge. Un médecin est-il disponible pour passer rapidement ausculter un vieil homme à la gare de Varsovie-Ouest ? Et un transport vers Praga c’est possible maintenant ? Des commentaires et autant de solutions arrivent en ligne. Incroyable. Mark Zuckerberg peut-il donc vraiment aider les gens avec sa plateforme pilleuse de données numériques ? Les réseaux sociaux retrouvent leur vocation originelle : mettre en contact des gens qui ne se connaissent pas par-delà les différences. Créer du lien, offrir de nouveaux services. Et du bonheur.
Des femmes courages : les mères ukrainiennes
Dans le hall, à l’étage, il y a ceux qui n’iront pas plus loin. Deux enfants d’une douzaine d’années aux bottes boueuses, le bonnet enfoncé sur les oreilles, et un regard à faire pleurer les pierres. Des familles menées par des femmes courages. Demain c’est la journée de la lutte pour les droits des femmes, ce sera le 8 mars, et nous devrions célébrer partout ces mères ukrainiennes qui nourrissent, rassurent et câlinent. Deux garçons d’une dizaine d’années dorment enlacés, ignorant la guerre dans leurs rêves peut-être doux ou plus tourmentés. Leurs visages se touchent. Leurs joues sont collées sur le carton qui est ce soir leur seul matelas de fortune. Ils ont l’âge de mes fils.
Peine dans le cœur…
Paul m’entraîne plus loin. Les bénévoles ont pensé à tout. Des couvertures pour ceux qui ont froid. Mais pas de lit, pas de matelas ou trop peu. Le verdict de Paul est sans appel « l’Etat polonais est absent ». Il dépose des albums à colorier. Des feutres. Des tétines. Nos sacs sont vides.
Paul est un père lui aussi. Sa fille vit et travaille à Paris. Elle a grandi avec lui ici, à Varsovie. Paul a deux langues et deux cultures. Et un cœur qui bat. « Tu n’en feras pas trop sur moi stp dans ton papier. Je fais juste ça comme ça, comme les autres… »
Je promets. Mais quand même l’ami, tu méritais un petit coup de chapeau.
Devant nous une mère vient chercher des couvertures supplémentaires pour ses enfants. Paul m’explique « le plus dur c’est pour ces mères isolées avec de jeunes enfants. Aller aux toilettes ou se ravitailler, c’est les laisser seuls quelques minutes. Et avec la fatigue l’angoisse arrive. La peur d’égarer un enfant dans la foule… Donc souvent elles ne bougent pas. Ou peu. Les besoins c’est ça aussi : les identifier et les ravitailler dans le coin de la gare où elles se trouvent avec les petits« .
Mon cœur se serre. Poutine a bien une mère, non ?
Partir ou rester : le dilemme d’un peuple
Paul le pense « on va finir par être débordés. Les réfugiés vont sortir de la gare. À côté, il y a Zlote Tarasy (un grand centre commercial moderne et luxueux). Les réfugiés iront tôt ou tard là-bas. Les centres d’hébergement officiels dignes de ce nom tardent à être mis en place. Et l’hébergement privé finit déjà par atteindre ses limites…«
Dans le hall, la majorité sont des femmes. Les enfants sont nombreux. Les hommes jeunes sont très minoritaires : les autorités ukrainiennes les ont mobilisés pour la guerre. Au passage de la frontière on a assisté à des drames. Des familles séparées. Des hommes en âge de porter les armes sont refoulés. Même si la plupart jouent le jeu du patriotisme nécessaire. Ils iront se battre.
Des personnes âgées sont là, à attendre près des escaliers, à observer le chaos depuis leur fauteuil roulant. Tous calmes et dignes. Mais la plupart des anciens sont restés au pays. Russes armés jusqu’aux dents ou pas, difficile de quitter son village, sa maison, son passé. Le tout, pour quel futur ? Ces visages dans le hall bondé sont graves et marqués. Ils ont connu le bloc soviétique et sa stabilité. Leurs yeux interrogent : ce monde est-il devenu fou ?
23h30. Le sommeil est dur à trouver quand on est installé sur un banc de fer ou sur une couverture au sol. Un homme de grande taille prend son visage dans ses mains. Secoue sa tête de tous côtés. À ses côtés, son camarade regarde fixement l’écran de son portable. Les prises sont toutes utilisées. Des câbles alimentent les GSM alignés. L’électricité est précieuse quand le téléphone portable est le seul lien avec ceux qui sont restés là-bas. Et un outil incontournable pour trouver des solutions, suivre l’actualité ou – tout simplement – traduire le polonais en leur langue.
Nous quittons le hall de gare. Ma nuit sera courte. Le soleil se lève tôt dans cette partie de l’Europe. Et je n’ai pas le cœur à dormir beaucoup.
La solidarité privée sera-t-elle encore au rendez-vous dans un mois ?
e m’installe avec Magda dans un café du centre. Beau soleil dans le ciel et froid sec dehors. Elle profite de sa pause déjeuner pour témoigner. C’est une fonctionnaire de la ville de Varsovie. Elle regarde discrètement les notifications sur son portable. Elle aussi est connectée à Facebook et ses groupes d’entraide. Elle cherche un hébergement durable pour une de ses amies ukrainiennes. « La solidarité est au rendez-vous, c’est une vague spontanée. Ok. Mais le plus dur est à venir. Il faut s’attendre à plusieurs millions de réfugiés. Vous, les Européens de l’ouest, vous serez encore là dans un mois ?«
Pour elle, la gratuité des transports pour les réfugiés aide beaucoup. Elle m’évoque en revanche les problèmes de scolarisation qui vont advenir pour les réfugiés qui choisiront de s’installer à Varsovie « Les classes sont déjà surchargées avec la réforme de l’éducation. Il y a déjà jusqu’à 35 élèves par classe. Et deux petites réfugiées en plus viennent d’arriver dans la classe de ma sœur. Elle doit leur consacrer du temps pour simplement les aider à communiquer, elles qui ne parlent pas notre langue. Ça va vite devenir impossible ».
Les bénévoles sur le pont
En ville, la guerre est peu visible. Les drapeaux sont certes pavoisés aux couleurs de l’Ukraine, des façades affichent le jaune et bleu désormais familier aux quatre coins de l’Europe. On croise pour l’heure relativement peu de réfugiés qui sont pour certains de passage et qui ne trainent pas dans les rues. Aucun ne fait la manche. Question de dignité sûrement. Ici, ce sont les gares qui font office de vitrine terrible du conflit. Et aussi le premier des refuges. J’y retourne. Seul cette fois-ci. Les piles de nourriture ont diminué. Il est 11h00. Il y a de l’hypoglycémie et de la nervosité dans l’air. Les gens se pressent devant les étals. Et les bénévoles polonais, bien qu’épuisés, répondent toujours présents face à l’immense besoin de solidarité. Je reconnais les visages de la veille, ils sont toujours en service. Voilà des héros discrets et ordinaires.
Je me pose dans un coin. Je prends des photos en essayant de saisir les réfugiés de dos. Question de dignité aussi.
Frédéric, un Français engagé
Un tour sur Facebook. Je tombe sur le post de Frédéric Chauveau. C’est un professeur de l’école française de Varsovie qui est aussi conseiller élu par la communauté française pour la représenter.
Solidarité active : il vient d’héberger pour deux nuits une famille de quatre personnes. La maman, dentiste à Kiev, a laissé au pays son époux enrôlé dans l’armée. Elle voyage avec sa mère et ses deux enfants de 7 ans et un an et demi. Ils repartent par le train pour le Bade-Wurtemberg. Les visages sont souriants pour la photo partagée en ligne.
Frédéric ne porte pas dans son cœur l’hôte du Kremlin : « Voilà ce que ça donne quand un frappadingue se prend pour un tsar ».
Marta et Macek et la solidarité de proximité
18h30. Je retrouve Marta et Piotr dans un café du centre. Elle a étudié le français et travaille dans le secteur éducatif. Lui a réussi sa reconversion : après avoir travaillé pendant une décennie comme fonctionnaire dans les services du Premier Ministre, il gère désormais des locaux professionnels ouverts aux sociétés publicitaires qui cherchent un lieu pour faire des tournages ou des shootings. Sa société est enfin bénéficiaire depuis un an. Même si l’inflation et la faiblesse du PLN (ou Zloty, la devise polonaise) l’inquiète…
Piotr situe l’origine des groupes de solidarité qui fonctionnent à plein sur Facebook : » ils sont nés clairement avec l’épidémie de Covid. On avait 14 jours de confinement obligatoire quand on était touché. Et il fallait bien aider pour approvisionner les gens coincés chez eux et vaincre l’isolement des plus vulnérables« .
Marta analyse l’élan de solidarité polonais comme de la générosité de proximité. Les femmes de ménage et les nounous ukrainiennes, souvent parfaitement intégrées aux familles polonaises qui les emploient, font partie intégrante de la société varsovienne. Nadia est une femme ukrainienne qui a travaillé pour les parents de Marta vieillissants avant de travailler à son tour pour elle. « Mes parents sont même allés en Ukraine dans le village natal de Nadia. C’est un peu la famille. Et Ici tout le monde a une « pani Nadia » (une « Madame Nadia »).
Marta m’explique que sa voisine a organisé l’aménagement d’un appartement pour sa femme de ménage. « Elle a fait une liste de fournitures de ce qui manquait et chacun a contribué dans la famille ou le quartier« .Son fils Titus fait aussi de la collecte. Elle trouve ça normal. « Mais il y a un risque de saturation. Que les gens ne puissent pas donner davantage« . Les scouts organisent aussi des collectes comme les écoliers. Chacun s’y met.
Un problème de coordination au niveau de l’action du gouvernement polonais ?
Piotr vient justement sur le terrain politique « je pense que c’est la stratégie de Poutine que la Pologne arrive à saturation et que la solidarité privée cesse. D’ailleurs maintenant les gens commencent à se poser la question : mais où est le gouvernement ? Il y a clairement un problème de coordination« .
Le gouvernement a certes annoncé en grande pompe qu’il donnerait 40 PLN par personne accueillie aux Polonais qui hébergent des réfugiés sous leur toit. Une loi vient d’être votée en urgence par la diète ce même jour. Le gouvernement veut légaliser le séjour des Ukrainiens réfugiés en Pologne, leur donner le droit de travailler, le droit à l’éducation et aux soins médico-sociaux pour une période d’au moins 18 mois et qui pourrait être prolongée jusqu’à 3 ans. Le marché du travail semble en capacité d’absorber 700 000 travailleurs d’après les estimations des experts économiques qui pointent notamment les besoins du secteur de la restauration, affecté par l’épidémie de Covid.
Tous les Ukrainiens ne veulent cependant pas fuir leur pays. Loin de là.
La belle-mère de Piotr est Ukrainienne. Sa famille a refusé de quitter l’est de l’Ukraine pour éviter que leur maison neuve ne soit pillée ou détruite. Piotr se veut lucide : « Notre enthousiasme collectif va retomber. Cela fait deux semaines qu’on accueille. Mais qu’est ce qui se passera après deux mois ou dans deux ans ?« .
Des ambitions militaires russes qui inquiètent
Le couple s’inquiète des ambitions russes. Et fait des réserves en conséquence. « J’ai acheté de l’essence. De la nourriture déshydratée. Et nous avons changé nos zlotys en dollars. Nous avons même repéré une maison dans la campagne qui pourrait servir de base de repli si la situation dégénère« .
Piotr s’inquiète aussi de la stratégie américaine trop belliciste à ses yeux : « Les Américains nous poussent vers la guerre en nous proposant de nouveaux avions de chasse« . Piotr souhaite une action diplomatique pour résoudre ce conflit… Les tentatives diplomatiques du Président Macron ne sont même pas évoquées… Il est toujours ingrat de discuter avec un président autoritaire qui n’en fait qu’à sa tête.
Retour à Paris dans un avion plein de réfugiés
Mercredi 9 mars. Avion retour pour Paris. L’Airbus est plein à craquer. 45 minutes de retard au décollage. Contrôle des passeports et longue file devant le comptoir Air France. Des réfugiés qui voyagent en famille. Les hommes portent sur le ventre des sacs – ceintures qu’on devine remplis de devises. Les femmes vont se rafraîchir aux toilettes. Avant de partir, la police de l’air appelle deux passagers pour un dernier contrôle. L’homme d’une soixantaine d’années, très élégant, qui doit répondre à la police n’emmène pas large. Mais il se rassoit et l’avion finit par s’envoler.
Je tente de discuter avec ma voisine. L’échange tourne court. Elle ne parle pas un mot d’anglais. À l’arrivée avec sa fille et son gendre, elle s’oriente dans le terminal d’arrivée de l’aéroport Charles de Gaulle avec assurance. Ceux-là ont sans doute un but précis. Un point de chute. Ils sont à Paris. Ils sont déjà sauvés. Au moins temporairement.
Dans le kiosque à journaux, la guerre s’étale partout en une. Et des réfugiés ukrainiens continuent d’arriver à Varsovie…
Le peuple européen vaincra. Et c’est la solidarité qui forgera la victoire.
CAGNOTTE POUR LES REFUGIES UKRAINIENS
Il y a une cagnotte pour les réfugiés, il faut ajouter le lien Aide DIRECTE aux Réfugiés FR-PL-Ukraine: https://zrzutka.pl/en/v7fhmx
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Crédit photos : Paul Lasinsk.
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