A quelle sauce serez vous mangés par le Fisc ?

A quelle sauce serez vous mangés par le Fisc ?

Halte aux fous ! Par clémence et bonté d’âme, il faut supposer que les deux ministres qui ont signé le Rapport sur la fiscalité des Français de l’étranger ne l’ont pas lu (pour le lire cliquez ICI). C’est un tel salmigondis bureaucratique qu’on a pitié de ceux qui ont souffert pour le rédiger. Exemplaire de ce que ne doit pas être l’administration, la fiscalité, les relations entre l’Etat et les citoyens, c’est le contre modèle absolu qui devrait être enseigné dans les écoles, y compris à l’ENA.

 

Le modèle de la bureaucratie

Qui  a rédigé ce Rapport? Pourquoi ? Le changement de fiscalité avait conduit à une telle hausse d’impôts pour les Français de l’étranger que Gérald Darmanin avait accepté un moratoire et commandé un Rapport. Le voilà. Il est signé Olivier Dussopt et Jean-Baptiste Lemoyne, transmis au Parlement. Il préfigure l’avis que donneront les ministres lors de la discussion budgétaire. En réalité, il est réalisé par la DNIR, la Direction Nationale des Impôts des non Résidents qui n’oublie pas, au passage, de se plaindre de sa triste condition.

Que contient le Rapport ? Tout d’abord, quelques chiffres, trop rares d’ailleurs, sur les Résidents à l’étranger. Sur les 1.775.875 Français inscrits au 1er janvier sur les registres consulaires, 470.801 sont Résidents à l’étranger non contribuables. Une augmentation régulière de 6% par an. Les autres n’ont pas de revenus en France, ou trop peu, ou bien sont agents de l’Etat ou autres et paient leurs impôts en France. Plus 6 % par an, de quoi s’interroger. Surtout quand le Rapport répète, sans rire, qu’il s’agit de conserver « l’attractivité fiscale de la France ». Quand on sait que la France est le pays recordman des taxes et prélèvements, on mesure l’ironie du Fisc.

 

Les impôts n’augmenteront pas, sauf pour les expats

Les non résidents non contribuables paient 1.5 milliards d’impôts. Pas si mal pour des non-contribuables, qui paient sur les revenus de France. Et paient des impôts dans leur pays de résidence. Leurs revenus sont de 3,980 milliards. Si l’on veut calculer leur taux d’imposition moyen, ce que ne fait pas la DNIR, on arrive à 38%. (1.5/3.9) La DNIR ne le fait pas parce qu’elle explique sans cesse que les Français de l’étranger sont favorisés. Elle utilise la vieille astuce des études de cas, « cas » choisis pour étayer ses thèses, manipulation à destination des parlementaires et des non spécialistes. Parfois, d’ailleurs, elle se trompe. Mais qu’importe, ces cas n’ont qu’un objet rhétorique, faussement objectif. Elle le reconnait elle-même en expliquant que toute modélisation ou simulation est impossible car trop complexe, compte tenu de la diversité des situations. Non: compte tenu de la complexité de la fiscalité, devenue la plus injuste et la plus aberrante du monde, puisqu’elle favorise les malins et pénalise les naïfs.

L’administration fiscale, dans ce rapport défend deux « acquis fiscaux », pour l’Etat. Le premier, c’est la réforme qui a porté le taux d’imposition minimum à 30% à partir de 25659€ de revenus : « Revenir sur l’augmentation du taux minimum et sur les différentes mesures favorables l’ayant accompagnée est à exclure ». Mesures favorables, c’est une façon de parler. L’essentiel des exonérations de charges dont bénéficient les autres contribuables est interdit aux Français de l’étranger. Question de principe pour la DNIR ! Qui se déchaine, invoque la Constitution, la natalité à l’étranger, la proportionnalité de l’impôt, mille arguments d’autant plus tendancieux qu’elle reconnait que le bon système – qu’elle promet d’améliorer – est celui dit du régime « Schumacker ». Ce régime, imposé par la Cour de justice de l’UE, est réclamé par les associations de contribuables. Il consiste, en simplifiant, à aligner la taxation de Français de l’étranger pour leurs revenus en France sur celles des résidents en France. L’administration a été obligée d’accepter l’arrêt Schumacker[1], comme pour la CSG, mais freine tant qu’elle peut. Il faut faire la demande chaque année, et par voie contentieuse.

 

56 millions d’impôts supplémentaires pour les Français de l’étranger

Faire appliquer le droit par l’administration par recours contentieux, alors que l’Etat est là pour appliquer la loi est une honte. Consciente de cet abus, le recours au régime «Schumacker » pourrait être facilité, accorde le Fisc dans sa bienveillance. On pourrait, suggère-telle, « passer d’une procédure contentieuse à une procédure déclarative ». Ce serait la moindre des choses.

Pourquoi l’administration ne veut pas revenir sur la malheureuse réforme ? Parce qu’elle doit rapporter…56 millions d’euros supplémentaires[2]. Ainsi, l’impôt n’augmentera pas, ont affirmé Président et gouvernement, sauf pour les Français de l’étranger. Soit, en moyenne, 119 euros par non-contribuable. Avec des hausses, selon le Rapport, de parfois +89% ! Et l’augmentation touche principalement ceux qui touchent moins de 43. 047 €. Tous des privilégiés.

Ce que recommande le Rapport c’est d’ « apporter des aménagements limités afin de contenir, sans toutefois la combler, la hausse d’impôt qui en résulte ». Bel aveu : quoiqu’il arrive, les impôts augmenteront.

Pour faire plaisir aux parlementaires, le fisc étudie quelques pistes. Tel un barème spécifique pour les Français de l’étranger. Une drôle de construction intellectuelle : parce que ceux-ci ont d’autres revenus, ils seraient « favorisés » et devraient en conséquence avoir droit à un barème spécifique qui leur ferait payer plus ! Mais n’ont-ils pas d’autres conditions de vie, d’autres frais, et … d’autres impôts ? N’est ce pas en totale contradiction avec l’arrêt Schumacker ? Autre piste : appliquer le système de la « décote », une particularité fiscale française que le monde ne nous a jamais envié et que l’on parle de supprimer depuis des lustres. L’administration n’y est pas favorable, car cela reviendrait à un avantage fiscal. Or quoiqu’il en soit « accorder les réductions et crédits d’impôt devrait être exclu ».

 

Les effectifs du fisc pour les expats en augmentation

Mais qui sont ces génies qui commettent de tels aveux ? La DNIR se plaint d’être en sous-effectifs. Elle ose même affirmer que ses effectifs ont été réduits. Elle ne sait pas compter : dans son Rapport, de 347 agents en 2016, on passe à 435 en 2020. Normal d’augmenter les impôts pour payer les nouveaux emplois de la DNIR.

Ainsi, quand on diminue le nombre le nombre d’enseignants, d’agents dans les consulats et ambassades, on augmente le nombre de contrôleurs fiscaux ! Que disent Le Drian et Le Moyne, merci, bravo ?  Normal, la DNIR se plaint du « goulot d’étranglement » dans lequel elle se trouve: « 350.000 appels téléphoniques par an, 150.000 contacts par e-mail ». Pourquoi tous ces Français de l’étranger appellent ? Parce que c’est incompréhensible, Kafkaïen, ubuesque, injuste !

 

10.483€ par mois pour les conseilleurs, la taxe pour les payeurs.

Exemple de littérature bureaucratique à faire étudier dans les Alliances françaises :  « La mise en œuvre du PAS de droit commun à compter du 1er janvier 2023 a donc été retenue car elle permettra notamment aux collecteurs de mettre en œuvre le processus déclaratif propre au PAS, i.e. les déclarations DSN et PASRAU, et à l’administration de consolider la fiabilisation des processus de traitement de données, de calcul et d’interaction avec les collecteurs, sous forme de périodes de préfiguration ». Et ces superbes intelligences d’avouer que le travail, parce que c’est trop compliqué, doit être fait par le contribuable. Le reste est à l’avenant. L’injustice et l’abus de droit, fièrement arborés, en plus.

Pour information, l’Observatoire de l’Ethique Publique, fondé par René Dosière[3], indique que parmi les Conseillers ministériels les mieux payés, ceux d’Olivier Dussopt détiennent la palme : 10.482€ brut/mois, en moyenne.

Pourquoi, en plus d’un an, aucun de ces conseillers ministériels si bien payés, ne s’est demandé comment faisaient nos voisins ? Pas un mot sur ce qui se passe à l’étranger dans ce lamentable Rapport. Anglais, Italiens, Grecs, Indiens ont-ils tous leurs DNIR ? Beaucoup s’en passent. A se demander si la DNIR, création récente, juillet 2017, ne devrait pas  être supprimée.

 

Suggestions aux ministres

Quant aux deux ministres qui ont commis l’erreur de signer un tel rapport, voici quelques suggestions :

  1. Lire le rapport
  2. L’oublier.
  3. Etudier ce que font les autres.
  4. Tenir l’engagement répété du Président auquel ils se réfèrent sans cesse: baisser les impôts et simplifier la bureaucratie. On attend.

S’ils n’y arrivent pas, il y a une cinquième voie : ne plus être ministre. Si c’est pour répéter ce que dit l’administration, personne n’en a besoin. Les administrateurs seront toujours plus compétents que les amateurs. Ce qu’on attend, c’est une politique.

 

Laurent Dominati

Fondateur de lesfrançais.press

Ancien Ambassadeur de France, ancien Député de Paris

 

 

 

 

 

 

[1] « Les contribuables non-résidents domiciliés dans un des Etats de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen qui tirent l’essentiel de leurs revenus de France et ne bénéficient d’aucun mécanisme de nature à minorer l’imposition de leurs revenus en fonction de leur situation personnelle et familiale dans leur État de résidence peuvent bénéficier du régime dit des « contribuables non-résidents Schumacker » Ils sont alors assimilés à des personnes fiscalement domiciliées en France tout en restant tenus à une obligation fiscale limitée à leurs seuls revenus de source française. Ils peuvent, de la même manière que les contribuables fiscalement domiciliés en France, faire état, pour la détermination de leur impôt sur le revenu, des charges admises en déduction du revenu global et bénéficier des réductions et crédits d’impôts. Ils sont ainsi imposés selon les règles de droit commun applicables aux contribuables domiciliés fiscalement en France, sans application des taux minimum et taux moyen d’imposition »

[2] « Pour l’imposition des revenus 2019 de source métropolitaine, le rendement de la mesure est estimé à environ 56 M€. ».

[3] Ancien Rapporteur spécial des services du Premier ministre de la Commission des Finances, comme je le fus. Ce qui permet de contrôler les comptes un peu particuliers, des services secrets par exemple , ou de l’Elysée.

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