Après la crise sanitaire, l’économie mondiale devrait s’engager sur le chemin d’une croissance verte dite soutenable tant sur le plan du réchauffement climatique sur celui de l’utilisation des ressources naturelles ou de la biodiversité.
Avec une population mondiale qui n’atteindra son pic qu’en 2050, autour de 10 milliards d’habitants, la croissance est une nécessité pour garantir à tout chacun des conditions de vie dignes et pour financer des dépenses de protection sociales amenées à progresser. Une course de vitesse est engagée entre ces contraintes et la nécessité de repenser le modèle d’expansion afin qu’il soit compatible avec la préservation de notre environnement.
Une course de vitesse
Le concept de rareté a toujours été au cœur de la problématique économique. Il est à la base du système de prix. Thomas Malthus comme Karl Marx estimaient que dans un monde fini la croissance l’est également. La contrainte alimentaire, le rendement décroissant du capital ne pouvaient que provoquer famines, accroissement de la mortalité ou exploitation de l’homme par l’homme et déboucher sur une révolution mondiale.
En 1972, le rapport Meadows que le Club de Rome a commandé au Massachusetts Institute of Technology marque une rupture dans la pensée économique en avançant l’idée que l’Homme doit mettre un terme à la croissance afin de préserver son environnement et donc la vie. Le rapport indique ainsi « qu’étant donné le stock limité et décroissant de ressources non renouvelables et l’espace limité de notre globe, il nous faut accepter le principe selon lequel l’augmentation de la population impliquera un niveau de vie moins élevé et une problématique plus complexe de la société humaine ». Ce rapport est publié après une phase de vive croissance qui intervenait après la crise de 1929 et la Seconde Guerre mondiale, phase qui concernait essentiellement l’Europe, le Japon et les ÉtatsUnis. Sa présentation est également intervenue avant le premier choc pétrolier qui a révélé la dépendance de l’Occident à l’or noir.
L’épuisement du pétrole sans cesse repoussé
L’épuisement du pétrole est devenu une antienne qui pour le moment est resté une illusion. Le pic de production (peak oil) était censé arriver au début des années 1980 avant d’être reporté en 2000 puis en 2020. Avec le pétrole de schiste, les experts n’osent plus, depuis, avancer la moindre date.
L’invention du développement durable
La question environnementale s’impose dans le débat public au début des années 1970 notamment avec l’apparition des premiers partis écologistes. Des ministères en charge de cette problématique sont créés afin de répondre à une préoccupation émergente au sein de l’opinion. En France, cette création intervient ainsi en 1971 avec la nomination de Robert Poujade comme Ministre de l’’Environnement. Les pouvoirs publics entendent répondre à la montée des contestations à l’encontre de l’urbanisation et des menaces pesant sur la flore et les animaux. Le réchauffement climatique commence à être réellement abordé dans les années 1980 notamment avec la création par l’ONU du Programme des Nations unies pour le développement et la création de la Commission Brundtland (1983 – 1987). Cette commission développe le concept de développement durable.
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur le l’évolution du climat (GIEC) est créé en 1988. Le premier rapport du GIEC publié en 1990 révèle au grand public les dangers du réchauffement climatique en cours. Après la publication de ce rapport, l’ONU organise à Rio une convention à laquelle participent 154 États. L’accord final appelle les pays à agir en fonction de leurs responsabilités et capacités pour stabiliser la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Il a été ratifié par 189 pays en 2004.
L’accord sur le changement climatique
Depuis la signature de cet accord mondial de lutte contre les changements climatiques, une conférence des parties prenantes à cet accord, une COP, se tient chaque année en novembre ou en décembre. En 1997, la COP 3 aboutit à l’adoption du protocole de Kyoto, qui fixe des objectifs de réduction des émissions de CO2 afin de lutter contre le changement climatique. Il est ainsi décidé de diminuer de 5,2 % les émissions des gaz à effet de serre sur la période 2008/2012 par rapport à leurs niveaux de 1990. En 2011, la COP17 de Durban a permis de définir un agenda d’engagements quand la suivante à Doha décide la prolongation de justesse du protocole de Kyoto en retenant une deuxième période d’engagement du début 2013 à fin 2020.
Neutralité climatique d’ici 2050
La COP21 qui s’est tenue à Paris en 2015 avait comme principale objectif l’élaboration d’une réponse mondiale à la menace du changement climatique afin de limiter l’augmentation de la température un niveau inférieur à 2 degrés par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre les efforts afin de la limiter à 1,5 degré. L’Accord de Paris qui en a résulté demande aux États signataires de travailler au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre et à la neutralité climatique d’ici 2050.
L’Accord de Paris établit un engagement contraignant de toutes les parties à préparer, communiquer et maintenir une contribution déterminée au niveau national et à prendre des mesures nationales pour y parvenir. L’Accord de Paris encourage les parties à prendre des mesures pour conserver et, le cas échéant, renforcer les puits et réservoirs de gaz à effet de serre, notamment en augmentant la surface dévolue aux forêts. Il appelle les États signataires à coopérer afin de faciliter l’atteinte des objectifs. L’Accord de Paris réaffirme l’obligation des pays développés d’appuyer les efforts des pays en développement. Un « bilan mondial », sera publié en 2023 et tous les cinq ans par la suite, afin d’évaluer les progrès réalisés collectivement dans l’atteinte des objectifs de l’Accord.
Ce dernier n’est pas contraignant. Il n’y a pas de mécanisme de sanction en cas de non-respect par les États des objectifs qui leur sont assignés. Plus de 175 pays ont signé l’Accord de Paris. Les États-Unis qui l’avaient signé en 2016 s’en sont retirés le 4 novembre 2020. Avec l’arrivée de Joe Biden à la Présidence, un retour des États-Unis est prévu. Les Etats sont donc amenés, de manière rapide, à décarboner leur économie.
Imposer la transition énergétique
A la différence du passage du charbon au pétrole, la transition énergétique en cours est de nature réglementaire. Elle est imposée afin de préserver l’environnement. La neutralisation carbone de l’activité économique mondiale est un défi de grande ampleur pour endiguer un processus de réchauffement qui a commencé il y a deux cents ans.
Comme le souligne Christian Gollier dans son ouvrage Le Climat après la fin du mois (2019), la concentration de dioxyde de carbone dans l’atmosphère est demeurée stable et inférieure à 280 parties par million (ppm) de l’an 1000 à 1800. Les émissions générées par les activités humaines étaient absorbées par les forêts et par les océans qui jouent le rôle de puits de carbone. Avec l’exploitation du charbon, les émissions sont passées à 23 280 ppm au début du XXe siècle. En 2018, elles dépassaient 410 ppm amenant un réchauffement climatique qui pourrait s’emballer à défaut d’être endigué.
Partisans de la décroissance
La menace climatique a remis au goût du jour la thèse de décroissance et du changement du modèle économique accusé de reposer sur la consommation à outrance. Celle-ci étant responsable du réchauffement, il faut la bannir, opter pour l’attrition, la frugalité économique. Dans un monde de ressources limitées, la population se doit d’être économe et réduire ses activités. Les partisans de la décroissance prolongent donc la pensée de Karl Marx et de Thomas Malthus.
En considérant que le taux de croissance à long terme est obligatoirement nul, ils oublient cependant le rôle joué par l’innovation et tout particulièrement les gains de productivité qui permettent de réduire la consommation des ressources et des émissions de CO2 pour une croissance plus importante. Les innovations vertes ne sont pas naturelles. Les entreprises ont tendance à privilégier les inventions qui confortent leurs activités et leur savoir-faire.
La rupture est une mise en danger à laquelle les grandes organisations, en raison de leur poids, de leur tradition s’adonnent avec parcimonie. Les start-ups plus mobiles, sans passé, sont évidemment plus réactives que les groupes installés. Kodak a raté la révolution de la photo digitale tout en ayant des brevets sur ce sujet. Sony n’a pas su prendre le virage à temps des smartphones, laissant la place à Apple, tout en disposant de la technologie et des compétences. La marque japonaise avait inventé dans les années 1970 les walkman et était en pointe sur les appareils photographiques. Dans l’automobile, Tesla est devenue la première capitalisation du secteur, devant les sociétés traditionnelles que sont Volkswagen ou Toyota.
Une révolution verte de la croissance
Le coût du réchauffement n’est pas internalisé d’où la lenteur des adaptations qui a prévalu ces vingt dernières années. En tant que tel, les émissions de CO2 ne grèvent pas ou peu les activités économiques. Christian Gollier et de nombreux économistes plaident pour la généralisation de la taxe carbone et pour son augmentation afin d’intégrer le coût réel des émissions de CO2.
Le rôle des consommateurs et des électeurs apparaît déterminant. Dans des pays où les associations de défense de l’environnement sont peu présentes, les acteurs économiques y sont peu sensibilisés. En Russie et dans de nombreux pays émergents, comme le Brésil, la question du réchauffement est moins prégnante. En revanche, en Europe, tout particulièrement en Europe du Nord et dans certaines grandes villes des États-Unis, l’opinion attend une action énergique des gouvernements sur ce sujet.
Les Organisations Non Gouvernementales jouent un rôle croissant en la matière tout comme certaines institutions financières. En Chine, les pouvoirs publics ont opté pour une révolution verte de la croissance. Le pays est devenu en quelques années le premier producteur de panneaux solaires, de cellules photovoltaïques et de batteries au risque de générer de nouvelles pollutions.
Avec la crise sanitaire, tous les États souhaitent au plus vite renouer avec une croissance forte et si possible pérenne. Elle est censée être soutenable sur le plan du développement durable grâce à une accélération de la transition énergétique. La conciliation de la croissance avec la lutte contre le réchauffement climatique est un enjeu majeur de la sortie de crise. Seul un effort important d’innovation peut résoudre cette contradiction apparente.
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