Le Crédit Suisse est au bord du gouffre. L’actionnaire saoudien, 10% du capital, ne veut plus payer. Son investissement fond comme neige au soleil suisse. L’action a plongé de 98% depuis 2008, moins 30% ces derniers jours. Tant pis pour l’Emir. Le pétrole, c’est plus sûr. Voir : le cours du pétrole chute aussi. Moins 40% depuis les sommets de juin 2022. Finis les superprofits, bien fait.
Plus personne ne croit en rien. Ni dans les banques suisses, ni dans les obligations d’Etat.
Si la banque suisse va mal, toute montagne devient marécage. Plus personne ne croit en rien. Ni dans les banques suisses, ni dans les obligations d’Etat. Crédit vient de credere, croire. Avoir foi, confiance.
La Silicon Valley Bank, spécialiste de la new tech, a été sauvée par le gouvernement américain. Elle était saine, dit-on. Pourquoi, frappés d’un vent fou, des geeks californiens sont-ils venus en masse retirer leurs billes de la SVB ? Par précaution, onze banques américaines ont déposé 30 milliards dans la First Republic, 14ème banque américaine, dont l’action avait décroché de 73%. « Le système bancaire dispose d’un crédit solide, de liquidités abondantes, d’un capital important et d’une forte rentabilité. Les événements récents n’ont rien changé à cette situation« , disent en chœur les banques. De quoi s’inquiéter.
Pourquoi les banques seraient-elles fragiles ? Avec la hausse des taux d’intérêt, elles devaient retrouver des marges et des couleurs. Sauf qu’elles ont un paquet d’obligations d’Etat. A priori du solide, la dette des Etats, mais quand les taux montent, leur valeur baisse. Quand les banques centrales ont augmenté les taux, le poids de la dette a changé, pour les banques comme pour les Etats : tout dépend comment est constituée la dette, en quelle monnaie, à quels taux, variables ou non, etc.
En 2022, la dette mondiale, selon l’Institute of International Finance, était de 305.000 milliards de dollars, soit 348% du PIB mondial. Moitié dette privée, moitié dette publique. En 2007, avant la crise financière, elle était de 142.000 milliards ; soit 243% du PIB mondial. Constat : la dette publique a explosé. Pas grave, tant que l’on peut payer, c’est-à-dire tant que la croissance reste supérieure aux taux. Et tant que quelqu’un croit que l’on va payer.
« La France dans le trio de tête pour la dette, aux côtés de l’Italie et de la Grèce »
La France, avec 3000 milliards de dettes, est le premier emprunteur d’Europe. La France a profité de l’euro et des taux bas. Mais la BCE a encore augmenté ses taux de 0.5%. « La sortie du “quoi qu’il en coûte” est loin d’être faite », explique l’ancien ministre socialiste Moscovici, désormais premier président de la Cour des Comptes. Elle a encore augmenté (hors inflation) de 3,5 % en 2022, observe-t-il d’un œil sévère, lui qui fut si gourmand. « En 2027, nous pourrions nous retrouver dans une situation où la France serait dans le trio de tête pour la dette, aux côtés de l’Italie et de la Grèce ». Les pays du « Club Med », se moquent les argentiers de l’Europe protestante du Nord. Ils pratiquent moins la confession, qui efface les péchés et les dettes.
Grèce, Portugal, Espagne ont fait de remarquables efforts. La France a poursuivi le « quoi qu’il en coûte » après l’épidémie. 35 milliards cette année, cette fois contre l’inflation. Une stratégie originale, qui consiste à donner des chèques pour maintenir le pouvoir d’achat, jusqu’à ce que les règles de l’économie se vengent : la France a donc connu une inflation plus basse que les autres pendant six mois, elle est désormais plus haute. 10, puis 20% de hausse pour les prix alimentaires. On résiste difficilement au vent, surtout celui des fous.
Comme la dette atteint 113% du PIB, la hausse des taux inquiète. La France emprunte pour boucler ses dépenses : 57% du PIB, record.
Economiser 10 milliards par an, de qui se moque-t-on ?
Alors quand le gouvernement demande, « pour des raisons financières », dit Emmanuel Macron, de repousser l’âge légal de la retraite, (même si l’âge légal est le plus bas de tous les pays européens, même s’il le restera après la réforme, même si une vraie réforme, par points, supprimerait l’âge légal), tout le monde est contre.
Economiser 10 milliards par an, alors qu’on en trouve pour la covid, l’essence, la défense, l’inflation : de qui se moque-t-on ?
Les ministres ont beau torturer les trimestres et les amendements : bras d’honneur, insultes, la colère est devenue plus légitime que l’élection, les voitures brûlent comme des cierges : crise de foi. La parole publique ne vaut même pas un communiqué de banquiers.
Heureusement, le billet vert tient. L’euro aussi. Si les émirs doutent des banques suisses, si les geeks sabordent la spéculation sur la high-tech, les pauvres du tiers monde mettent leurs économies en dollar. Ils ont raison : les pays les plus pauvres, émergents ou endettés seront les plus touchés. Pas besoin de théorie de la domination pour cela, le petit peuple mondial sait, sans les aimer, que les douteux banquiers de Wall Street feront moins de bêtises que les guides suprêmes et autres tribuns. La preuve : en initiés, les actionnaires des banques fragiles se sont précipités pour vendre leurs actions.
Si tout tombe, les derniers à tomber, ce seront les dollars.
En cas de crise, le dollar reprend les couleurs de l’or. Les Gafams font la révolution digitale. L’Amérique musèle les Russes ; vit du pétrole et du gaz de schiste, (interdit en Europe mais importé), investit dans les puces et les nouvelles énergies. Si tout tombe, les derniers à tomber, ce seront les dollars.
D’ailleurs ils montent : le PIB par habitant aux États-Unis augmente depuis 15 ans plus vite que celui des Allemands ou des Français. Selon le FMI, il est 80% au-dessus de celui des Français. Il y a mieux, plus près : les voisins suisses sont 100% au-dessus des Français : pour le revenu, pas pour l’estime de soi. Nous sommes 20% moins riches que les Allemands, un écart qui s’est creusé depuis 2007, après les réformes Hartz. Ceux qui défendent le mieux le pouvoir d’achat des travailleurs ne sont pas en France. La France est descendue au 25e rang mondial en revenu par habitant. Et les diplomates se demandent pourquoi la France perd en influence ?
Un immense chantier s’ouvre donc, qui ne coûte rien : la réforme de l’Etat.
La seule façon de réduire la dette, d’augmenter le pouvoir d’achat, est d’augmenter la croissance. Pour cela, mener des réformes structurelles : l’énergie (produire plutôt qu’interdire) ; l’éducation (libérer plutôt qu’uniformiser), l’industrie (supprimer les entraves plutôt que subventionner), les services (s’ouvrir au monde plutôt que se « protéger »).
Mais tout commence par le haut. Par la question de confiance. Qui a confiance en l’Etat ? Partout où il s’exerce, il est affaibli, dénigré, d’autant qu’il est, maladroitement, partout. Justice, police, diplomatie, défense, finances, retraites, santé, éducation, logement, énergie, transports, médias, la crise de l’Etat est un virus partout débilitant.
Un immense chantier s’ouvre donc, qui ne coûte rien, que des efforts intellectuels : la réforme de l’Etat. La Cour des Comptes dénonce la fausse décentralisation, l’empilement des compétences, la multiplication des normes, la superposition des responsabilités : c’est-à-dire l’irresponsabilité. La crise du crédit est une crise de confiance, mais une banque peut restaurer son crédit, une garantie suffit. Mais la confiance placée dans la parole publique, comment la reconstruire ? En reconstruisant l’Etat. Fastoche ! Surtout sans majorité ni gouvernement. Autant commencer dès maintenant. Des volontaires ?
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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