Il neige sur Bruxelles où je suis installé. Le plat pays est assoupi. Le Belge se calfeutre, le Français, ce pleutre, demeure au logis. Il aura, ainsi, le temps de découvrir les 4 livres de février…
Sous le frimat rien ne va. Le pied du promeneur pressé glisse sur la neige, la tétanie musculaire le guette alors qu’il aperçoit le faîte de son toit. L’allée du garage est encore à déneiger et pas un scout en vue pour donner un coup de balais.
Dans cette Sibérie de Wallonie ou de Flandre seul le lecteur calfeutré pourra se réjouir : Y-a-t-il plaisir plus vif que de lire bien au chaud chez soi quand dehors souffle la bise glacée ?
« Les Héroïques »de Paulina Dalmayer
Il neige sur Bruxelles, sur Anvers et la campagne Namuroise. Et dans le roman de Paulina Dalmayer il neige aussi sur les rues de Cracovie. « Les Héroïques » (Grasset 2021) narrent l’histoire de Wanda qui, au crépuscule de sa vie, se remémore sa jeunesse polonaise, elle la diplômée de médecine devenue actrice dans la célèbre troupe du dramaturge Grotowski. Roman sur l’émancipation d’une jeunesse prise au piège d’un régime communiste qui l’étouffe, Les Héroïques nous rappellent que le vent de liberté des années 60 a également soufflé à l’Est. Des troquets enfumés aux scènes de théâtre, la vie de cette femme d’exception prend forme dans un récit porté par la plume élégante et inspirée de l’écrivain qui signe là un roman à résonance autobiographique. La femme de lettres d’origine polonaise nous livre des interrogations existentielles sur la fin de vie, mais aussi une réflexion politique sur la création de zones de liberté dans un régime autoritaire. La première des libertés étant celle d’aimer, comment nourrir des amours multiples quand on est une femme dans une société patriarcale en train de se fissurer ?
Paulina Dalmayer a longtemps oeuvré dans le journalisme qui l’a conduite à commettre un récit/essai détonnant basé sur son expérience de l’Afghanistan « Aime la guerre ! » (Le Livre de Poche, 2015). Une suite du roman Les Héroïques est déjà annoncée.
« Le chardonneret » de Donna Tartt
Autre géographie glacée, celle de New-York et d’Amsterdam où se déroule une partie de l’action du roman magistral de Donna Tartt, « Le chardonneret » récemment récompensé par le prix Pulitzer. Ce récit au long court déroule sur plus de mille pages haletantes l’histoire d’un jeune garçon qui se retrouve en possession d’un tableau de valeur suscitant la convoitise d’hommes d’affaires peu recommandables. Le tableau est un prétexte pour évoquer l’Amérique dans sa diversité sociale, des bonnes familles new-yorkaises un peu snobs aux américains white trash rêvant de faire fortune à Vegas. C’est la rencontre entre l’Amérique des collectionneurs d’art et celle des petits truands à l’affut d’un mauvais coup à faire. L’auteur possède un sens du récit rare, s’appuyant sur une érudition exceptionnelle quand elle décrit le quotidien d’un restaurateur de meuble ancien, une habileté dans l’incarnation pour brosser le portrait de personnages extrêmement attachants qu’il s’agisse de Théo ou de Boris son double déglingué. Ce grand roman américain qui vous fera voyager sur les talons de Théo trouve peu d’équivalent de ce côté-ci de l’Atlantique et mérite d’investir de son temps dans cette fresque romanesque appelée à devenir un monument de la littérature de fiction.
« Splendide Amour » de Marie Jousse
Oeuvre plus chaleureuse et intimiste à déguster au coin du feu pendant que les flocons tombent, « Splendide Amour » de Marie Jousse fait penser à un roman de Françoise Sagan. 143 pages légères sur le thème classique du triangle amoureux à la Jules et Jim. L’auteur possède un style naturel basé sur des phrases rassemblées, sans un mot de trop, qui rendent la lecture agréable et fluide. Sa construction romanesque en chapitres courts structure avec une réelle efficacité son récit et constitue un des éléments de son style qu’on retrouve aussi dans ses autres fictions. Elle qui exerce dans sa vie profane le beau métier de galeriste à Laval, livre ici un troisième roman dédié aux sentiments les plus nobles, l’amour pour un père disparu mais qui demeure omniprésent par son empreinte sentimentale, la passion échevelée et pure pour des hommes solides ou évanescents qui tels des marins incertains choisissent l’héroïne comme port d’attache avant que de disparaitre. Vous aimerez comme moi cet auteur prometteuse qui mérite d’être découverte par un large lectorat.
« Soif » d’ Amélie Nothomb
Enfin, pour celles et ceux que la neige lasse et qui veulent tenter une expérience littéraire singulière, je vous propose de découvrir ou redécouvrir notre chère Amélie Nothomb, écrivain Belge parmi les plus prolifiques, femme d’esprit audacieuse qui s’est mise cette-fois ci dans la peau du plus célèbre des crucifiés, Jésus lui même !
Il en faut de l’audace et peut-être un petit grain de folie pour se glisser dans la tête et les pensées du supplicié qui vit ses derniers instants. De la dernière nuit en prison jusqu’à la Passion sur la croix le Jésus de Nothomb est avant tout un homme qui doute, un homme qui a peur, un homme qui se demande quel est ce destin un peu trop grand que Dieu son père lui a réservé. Il trouve des mots très humains pour dire sa passion charnelle pour Marie-Madeleine comme dans le film polémique de Martin Scorsese, la dernière tentation du Christ. Le Jésus de Nothomb livrera quelques belles réflexions profondes au passage et notamment une parabole sur la soif « on en apprend des vérités si fortes qu’en ayant soif, qu’en éprouvant l’amour et qu’en mourant : trois activités qui nécessitent un corps ».
Dans « Soif » (Albin Michel, 2019) vous redécouvrirez peut être le mystère de l’incarnation… Ou irez chercher plus banalement une bière au frigo. Car quand il fait froid dehors il fait aussi souvent soif au coin du feu.
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