Le 16 juillet 2016 à 13 h 40, Simon Bachelet, 26 ans, s’est éteint à l’hôpital Jolimont de Warquignies en Belgique, après avoir passé la nuit au poste de police. L’autopsie conclura à une mort par overdose, le jeune Français ayant absorbé des substances illicites durant la soirée dans un festival belge précédant son décès.
Non-assistance à personne en danger
Mais un peu plus de cinq ans après les faits, on apprend aujourd’hui que la chambre du conseil du tribunal de première instance du Hainaut, division Tournai, a finalement décidé de renvoyer quatre policières devant le tribunal correctionnel, du chef de non-assistance à personne en danger. Une première victoire pour Maître Mayence, qui représente la famille de la victime, partie civile, alors que le ministère public plaidait le non-lieu à l’égard des policières impliquées dans ce qui se rapproche d’une affaire Chovanec bis. Contacté par nos soins, Maître Mayence n’a pas souhaité commenter le dossier à ce stade.
Simon Bachelet avait pourtant un avenir bien tracé devant lui. Originaire de Saint-Chamassy, un petit village français au plein cœur de la Dordogne, le jeune homme, guitariste à ses heures perdues, avait migré en 2015 pour le nord de la France, à Lille, pour intégrer l’équipe de Décathlon France en tant qu’ingénieur tests. Avec quelques amis, il avait acheté un pass pour le festival de Dour.
LSD trop fortement dosé
Et alors que la fête battait son plein, Simon et deux de ses amis ont été abordés, le vendredi 15 juillet vers 23 h 30, par un dealer qui leur a vendu à chacun un buvard de LSD, une drogue dont ne trouvera pourtant trace dans le sang et les urines de Simon. Une sorte de timbre imprégné de LSD que Simon placera sur sa langue. « On s’est rendu compte immédiatement que la dose était trop forte et qu’on aurait dû la couper, confiera un ami de Simon. J’ai recraché le buvard. Pas Simon. Il fumait occasionnellement des joints mais n’était pas habitué au LSD. »
Après quelques minutes, Simon commencera à délirer. « Il deviendra incontrôlable et ingérable, dira un ami. Il a disparu vers 0 h 45. » Vers 2 h 30, Simon sera aperçu, nu avec un simple T-shirt, courant sur le site du festival. C’est à ce moment qu’il sera intercepté par les services de sécurité du festival qui décideront d’appeler les forces de l’ordre. Interpellé administrativement à 2 h 54, Simon sera conduit dans la foulée, menotté, au commissariat où il sera placé, à 3 h 01, en cellule, sous vidéo-surveillance.
Délire psychotique en cellule
Dans les minutes qui suivirent sa mise sous écrou, Simon poursuivra son délire psychotique, restera très agité, plongera sa tête dans la cuvette des toilettes dont il ira jusqu’à boire l’eau, frappera à plusieurs reprises contre les murs et la porte de sa cellule avec ses bras et sa tête, hurlant des propos incohérents. Sans que les deux policières chargées de sa surveillance et que nous appellerons Julie et Sarah ne pensent à intervenir. « Il était vêtu uniquement d’un T-shirt qu’il a mis dans les toilettes du cachot. Il était déchaîné , expliquera Julie, auditionnée par le juge d’instruction. […] Il a ensuite mis sa tête dans les toilettes comme s’il essayait de sortir des toilettes. C’est ce que j’ai dit à ma collègue. Et cela nous a fait sourire. »
« Il se tapait un peu partout dans le cachot. […] Tant qu’il était comme ça, il n’y avait pas grand-chose à faire. Il fallait attendre qu’il se calme. […] Il hurlait, je ne comprenais pas ce qu’il hurlait. […] Après quelques heures à continuer son délire, il a fini doucement par se calmer. Il a fini par s’allonger sur le lit. J’ai vu sa jambe tendue contre le bord du lit et je voyais sa jambe trembler. »
Une des policières mises en accusation devant le juge
Pas de soutien médical
Il est alors 5 h et, étonnamment, aucun médecin n’a encore été appelé pour l’ausculter. Julie avise alors sa supérieure hiérarchique, la commissaire X, qui envoie un policier fédéral s’enquérir de l’état de Simon. « Je l’ai vu toucher le pied et la personne et, après, il est reparti. »
Au moment de quitter son service à 6 h, Simon était toujours allongé sur le lit.
« On voyait qu’il respirait fort. Pour moi, il n’avait pas l’air bien et, en même temps, je ne suis pas médecin. […] À la fin de mon service, on pouvait distinguer des hématomes un peu partout sur son corps mais qui n’étaient pas présents au début de sa détention. D’après moi, ces hématomes proviennent du fait qu’il s’est tapé un peu partout dans la cellule durant plusieurs heures. »
Une des policières mises en accusation devant le juge
Auditionnée à son tour, la policière Sarah expliquera qu’à son arrivée en cellule, Simon était « agité mais cependant pas agressif. […] Il était complètement dans un délire car il prenait l’eau des WC et la buvait. […] On a demandé à la commissaire X d’aller voir s’il était possible de calmer le jeu. […] Il a commencé à dormir vers 4 h-4 h 30 (NdlR : 4 h 55 selon les images des caméras de surveillance). Et comme je ne sais pas utiliser le système de caméra, j’ai utilisé mon propre GSM pour filmer son attitude pour la montrer à X. Comme elle était fort occupée et qu’elle n’a pas eu l’occasion de le voir, j’ai filmé l’écran pour lui montrer plus tard. »
Vers 5 h 50, les commissaires X et Y, responsables hiérarchiques cette nuit-là, se rendent sur les lieux pour vérifier l’état de Simon.
« Il avait les deux yeux ouverts, il était calme, il respirait normalement. Je lui ai demandé s’il allait bien. Il n’a pas prononcé un mot mais plutôt un acquiescement muet. Comme il semblait se reposer, nous sommes sorties et nous avons vaqué à nos occupations. […] Son état ne nous a pas semblé anormal et nous n’avons décelé aucun signe de danger lors de notre entrevue. »
Une des commissaires mise en accusation devant le jufe
Une déclaration qui ne corrobore pas avec les images des caméras de surveillance qui montrent que Simon respirait anormalement rapidement dès 5 h 38. Or, ce n’est finalement que vers 6 h 24, alors que le jeune homme avait chuté de son lit, « avait les yeux ouverts et émettait des sons inquiétants » , que les commissaires X et Y consentiront enfin à faire appel au service médical. Qui, après avoir stabilisé le jeune homme, l’évacuera, intubé, vers l’hôpital de Warquignies sur les coups de 7 h. Il y décédera à 13 h 40.
Dans ses conclusions, la chambre du conseil estime qu’il « ressort clairement du dossier répressif et de l’ensemble des témoins que monsieur Bachelet était en danger. […] Son attitude et sa détresse durant sa détention ont consisté en un péril grave pour son intégrité physique. Le péril était réel et actuel, sa mise en danger était plus que sérieuse et le péril était grave. Son comportement fautif n’exclut pas qu’une aide lui soit prodiguée. Monsieur Bachelet a été jeté en cellule sans le moindre soin alors qu’il était visiblement sous l’influence de produits stupéfiants et qu’il se portait des coups sans pouvoir se maîtriser. »
En résumé, estime la chambre du conseil, les quatre policières aujourd’hui renvoyées en correctionnelle auraient dû demander l’intervention d’un médecin et qu’elles ont failli à leur tâche d’assurer la sécurité de Simon. « Les images des caméras, le comportement de monsieur Bachelet, ses appels, sa détresse sont tels que les inculpées n’ont pu que se rendre compte du danger [qu’il encourait]. »
Le dealer qui a fourni le LSD à Simon devra quant à lui répondre de détention et vente de produits illicites ayant entraîné la mort du jeune Français.
Le récit des dernières heures de Simon Bachelet (rapporté par le journal La Libre)
Il aura fallu 3 h 23 pour qu’un médecin soit enfin appelé pour ausculter Simon.
Depuis son arrivée au commissariat et jusqu’à son départ en ambulance, Simon Bachelet n’a jamais disparu des caméras de surveillance. L’analyse des vidéos ne laisse planer aucun doute sur l’état délirant du jeune Français. Nous sommes parvenus à nous en procurer le procès-verbal. Voici le compte-rendu des faits, minute par minute.
3 h 01 : Simon est placé en cellule, en présence de 3 puis 5 policiers qui, en le traînant, cognent sa tête contre le lit du cachot. Il ne porte sur lui qu’un t-shirt. Pas de pantalon ni sous-vêtement. Les policiers lui retirent ses menottes. Simon se débat. Un policier lui apporte un caleçon qu’il ne met pas.
3 h 03 : Les policiers quittent la cellule. L’un d’eux marche sur Simon. Le jeune homme se relève puis frappe la porte de la cellule avec ses mains. Il le fera de nombreuses fois par la suite. Il enlève son t-shirt et l’on constate des rougeurs sur son épaule et son genou. Il se couche, s’assied, se lève, tombe.
3 h 05 : Il plonge sa tête dans les toilettes du cachot et s’asperge le visage. Il est agité, glisse et tombe.
3 h 15 : Il tape à plusieurs reprises la porte avec ses poings et crie à nouveau.
3 h 19 : Il chute puis frappe à nouveau violemment la porte avec son poing.
3 h 30 : Il frappe la caméra.
3 h 32 : Il frappe très violemment contre la porte de la cellule, d’abord avec son poing, ensuite avec ses deux mains. Deux marques sont visibles sur le bras droit.
3 h 34 : Il chute au sol en arrière puis se cogne la tête contre le W.-C. Il continue à être agité mais ses mouvements sont plus lents.
4 h 23 : Des traces rougeâtres apparaissent sur son visage.
4 h 39 : Debout, il vacille, s’appuie sur le W.-C. puis sur se redresse. Il semble perdre l’équilibre et est plus ralenti dans ses mouvements.
4 h 47 : Il se recroqueville et a visiblement du mal à tenir la position debout. Il parvient à se redresser mais présente des troubles de l’équilibre.
4 h 53 : Assis sur son lit, il tombe vers l’arrière. Il se couche et respire fort. Il continue à bouger ses jambes et ses pieds. Par moments, les mouvements de poitrine semblent s’arrêter (apnée).
5 h 03 : Sa jambe gauche tremble. Sa respiration s’accélère puis se calme.
5 h 04 : Une personne rentre dans la cellule. Cette personne lui touche la jambe en la tapotant. Pas de réaction de la part de Simon.
5 h 25 : Il bouge plus fort ses bras et ses jambes pendant un bref instant puis reprend sa position.
5 h 26 : Sa respiration commence à être saccadée. Les mouvements de respiration sont plus secs et irréguliers.
5 h 38 : Les mouvements du corps sont plus saccadés. Il a des petites secousses et sa respiration s’accélère.
6 h 04 : Il présente des mouvements du corps qui font penser à des secousses.
6 h 09 : Des spasmes violents provoquent un déplacement de la victime vers le bord du lit.
6 h 21 : Suite à de multiples convulsions, la victime tombe du lit. Les convulsions se poursuivent.
6 h 24 : Les commissaires X et Y entrent dans la cellule. Un médecin est appelé.
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