Depuis les années 1980, les taux d’intérêt sont orientés à la baisse au point d’être devenus négatifs, modifiant en profondeur les stratégies de placement et d’endettement de tous les acteurs économiques.
Les taux d’intérêt réels étaient, en moyenne, au sein de l’OCDE, de 7 % en 1980. Ils ont diminué de manière progressive depuis près de quarante ans ; les crises successives n’ont eu comme conséquence que d’accentuer la pente.
Une multitude de facteurs joue en faveur de cette baisse : les politiques monétaires expansionnistes, le vieillissement de la population, l’excès d’épargne, la baisse de la productivité, la déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment des bas revenus, etc. La politique monétaire a pesé fortement sur les taux d’intérêt à long terme du fait de la diminution des taux directeurs et des rachats d’actifs réalisés par les banques centrales.
Fin de l’orthodoxie monétaire
Les taux directeurs des principales banques centrales s’élevaient à 4 % au milieu des années 1980. Ils sont aujourd’hui nuls voire négatifs. En parallèle, la base monétaire des banques centrales de l’OCDE est passée de 800 à 20 000 milliards de dollars de 1980 à 2020. Progressivement, les autorités monétaires ont abandonné l’orthodoxie monétariste pour opter pour des politiques que de non conventionnelles sont devenues normales. Les politiques de rachats d’actifs ont écrasé la courbe des taux favorisant la baisse des taux longs, ce qui était le but recherché.
Au-delà des causes purement monétaires, des facteurs plus structurels jouent également en faveur de la baisse des taux. Le ralentissement du progrès technique figure parmi ceux-ci. La diminution graduelle de la croissance de la Productivité Globale des Facteurs épouse celle des taux d’intérêt réels à long terme. La progression de la productivité qui était de 2% par an en 1980 pour les pays membres de l’OCDE, tend progressivement vers zéro. La croissance potentielle suit le même mouvement. Dans les faits, la baisse des taux apparaît plus rapide que celle des gains de productivité et de la croissance potentielle.
Les faibles taux d’intérêt s’expliquent également par un niveau élevé de l’épargne. Le taux d’épargne mondial est passé de 24 à 27 % du PIB de 1980 à 2020. Le taux d’épargne national moyen au sein de l’OCDE était de 21 % du PIB en 2019. Depuis la crise financière de 2008, il est supérieur au taux d’investissement.
La baisse inquiétante de la productivité
L’épargne occidentale est imputable non seulement à un moindre investissement mais aussi à une progression plus faible de la consommation et à l’augmentation des excédents de la balance des paiements courants.
La moindre propension à la consommation est liée à un partage de la valeur ajoutée défavorable aux salariés et à une remise en cause du modèle économique hérité des Trente Glorieuses. Les ménages reçoivent des messages contradictoires. Ils sont censés consommer pour relancer l’économie mais ils sont accusés en consommant de contribuer au réchauffement de la planète.
L’augmentation de l’épargne privée s’accompagne d’une forte demande pour des titres sans risque comme les obligations d’Etat autoalimentant ainsi la baisse des taux. Cette propension à l’épargne sans risque repose sur de multiples causes. L’anticipation du vieillissement démographique est souvent mise en avant même s’il est difficile d’en mesurer les effets. La succession rapide des crises inciterait les agents économiques à se protéger plus qu’auparavant.
La succession des crises engendre une épargne de précaution
La baisse de l’investissement serait également la conséquence d’un refus de prise de risques, les investisseurs privilégiant des actifs jugés sûrs comme les obligations et la pierre. La diminution des gains de productivité les conforterait dans ce sens. Les faibles taux d’intérêt seraient le signe d’un problème nécessitant un renforcement de la sécurisation. Si demain ne vaut rien, ce n’est pas la peine de prendre le moindre risque. Elle s’explique également par le moindre poids de l’industrie au sein du PIB. Les besoins en équipements diminuent en particulier dans les pays occidentaux qui ont donné la préférence aux services.
La masse monétaire stérilisée
Longtemps, entre les taux d’intérêt et les taux l’inflation, une corrélation existait. Or, depuis quelques années, cette relation s’est affaiblie. Les banques centrales ont longtemps agi sur les taux afin de réduire ou d’augmenter l’inflation. Depuis la crise financière, la baisse des taux directeurs a eu peu d’effets sur les prix. L’augmentation de la masse monétaire générée par la baisse des taux et les rachats d’obligations n’a pas induit une hausse de l’inflation. Le durcissement des ratios prudentiels pour le secteur financier, la hausse des prix de certains actifs, immobilier et actions ainsi que l’accroissement de l’effort d’épargne ont sans nul doute stérilisé une partie de la monnaie distribuée.
Un rapport de force défavorable aux travailleurs
L’absence de l’inflation est également la conséquence d’un rapport de force défavorable aux travailleurs. Cette absence n’a plus les mêmes conséquences que dans le passé. Logiquement, un faible taux de chômage conduit à une augmentation des prix. Or, que ce soit aux Etats-Unis ou en Allemagne avant la crise sanitaire, le plein emploi avait peu d’effet sur le montant des salaires.
La concurrence s’est accrue avec la mondialisation et la digitalisation, pesant ainsi sur la formation des prix. Le lien entre les prix et les taux s’est atténué car l’investissement est plus faible qu’auparavant et qu’il n’y a pas de goulets d’étranglement au niveau de l’offre.
Néanmoins, une remontée attendue des prix devrait conduire mécaniquement à une hausse des taux d’intérêt nominaux à défaut de concerner les taux réels. La perspective d’une reprise économique, les éventuelles relocalisations en Occident de certaines productions actuellement réalisées dans les pays émergents, et la transition énergétique devraient se traduire par une accélération de la hausse des prix.
Stagdéflation
Pour le moment, les investisseurs demeurent prudents face à une telle éventualité. En effet, tout dépend de l’ampleur de la reprise et de l’évolution des politiques monétaires. Avec la crise sanitaire, la dette publique a augmenté de 20 points de PIB au sein de l’OCDE tout comme celle des entreprises. Cette crise a également provoqué une forte augmentation de l’épargne, dans une proportion moindre. En l’absence de politique monétaire expansive, les taux d’intérêt auraient connu, sans nul doute, une hausse.
Leur maintien durant les deux à trois prochaines années pourraient donc stériliser le marché du financement. Le retour à la normale ne sera pas aisé à conduire compte tenu des niveaux élevés d’endettement et des écarts entre les différents Etats. Le pilotage monétaire au sein de la zone euro devra être fin afin d’éviter des tensions entre le Nord et le Sud d’autant plus si la croissance n’est pas au rendez-vous.
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